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Le dernier chic du Web américain ? Se moquer des Blancs

Le succès du hashtag #WHITEPEOPLEBELIKE permet de traiter avec humour de vraies questions raciales et identitaires. Un travail commencé dans les années 1990 dans les universités américaines.

Par  (contributrice, Le Monde Afrique)

Publié le 02 mars 2016 à 22h14, modifié le 04 mars 2016 à 15h05

Temps de Lecture 7 min.

« Oh mon dieu, c’est trop épicé ! » Cette phrase postée sur Twitter est illustrée par un verre d’eau sous le robinet. Alliance étrange entre le texte et l’image qui ne prend son sens qu’avec le hashtag #whitepeoplebelike.

Traduire « White people be like » en français est délicat. La formule sonne mal et met le doigt sur un tabou racial. « Les Blancs sont comme ci, les Blancs sont comme ça »… Une façon de pointer les habitudes des Occidentaux et de se moquer de leur façon d’être, de faire et de penser.

Aux Etats Unis, sur les réseaux sociaux Twitter, Instagram, Tumblr et Vine, les phrases, images et vidéos pullulent portant ce hashtag et ses nombreuses variantes, #whitesbelike, #whitepeoplesayings, #onlywhitepeople ou #whitepeopleproblems. C’est même l’une des tendances virales les plus populaires du moment sur la Toile américaine.

« Les Blancs ont peur de manger du gluten, mais ils sont prêts à faire des trucs comme ça », lit-on au-dessus de la photo d’un jeune homme en train de caresser un tigre.

Certaines saillies sont devenues cultes sur la Toile, comme celle-ci, partagée plus de 17 700 fois sur Tumblr et plus de 1 300 fois sur Twitter. « Les Blancs ont détruit les trois quarts du monde pour importer des épices mais ils ont le culot de ne pas assaisonner leur bouffe. »

Aux Etats-Unis, l’humour en ligne participe du débat de société sur les stéréotypes et les privilèges des Blancs. Les médias l’ont compris et abondent dans cette forme de dérision. Buzzfeed, un des sites au contenu le plus viral et au trafic le plus important, publie régulièrement des articles intitulés : « 17 façons qu’ont les Blancs de danser », « Le genre de trucs que les Blancs disent », ou encore « Les 10 choses les plus racistes qui sont arrivées à des Blancs ».

On y trouve aussi des quizz afin de tester son niveau de blanchité (ou blanchitude ?) : « Bénéficiez-vous de la suprématie blanche ? », « A quel point êtes-vous un stéréotype blanc ? » Selon vos réponses, plusieurs conclusions s’offrent à vous. « Bravo, vous n’êtes pas blanc ! », « Vous n’êtes pas si blanc que ça ! » ou « Vous êtes super-blanc ! ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Dear White People » : le campus en voit de toutes les couleurs

La tendance virale s’est même invitée au cinéma dans un film de 2014 acclamé par la critique, Dear white people (Chères personnes blanches), du réalisateur Justin Simien, une satire sur le fait d’être noir dans un environnement blanc. Samantha White, une étudiante métisse, y anime une émission de radio controversée sur un campus américain. Elle dénonce les stéréotypes et les discriminations. « Le nombre d’amis noirs requis pour ne pas avoir l’air raciste vient de passer à deux. Et désolée, mais non, votre dealer ne compte pas », ironise-t-elle au micro.

Critique des privilèges

Cette façon très décomplexée d’évoquer la race et la couleur de peau peut paraître étrange voire problématiques en France, où les statistiques ethniques sont interdites. Mais aux Etats-Unis, tourner en dérision ces différences est devenu un sport national en 2008 grâce à Christian Land et son blog Stuff white people like (Les choses que les Blancs aiment). 138 activités prisées des Blancs y sont passées au peigne fin : boire du café, être obsédé par l’idée de sensibilisation aux problèmes de la société, aimer la diversité ethnique (mais seulement quand il s’agit de restaurants). « Si vous vous retrouviez bloqué dans le fin fond des bois sans électricité, sans eau courante et sans voiture, vous pourriez décrire cette situation comme un cauchemar ou comme le pire des scénarios après un crash d’avion. Les Blancs appellent cette situation : faire du camping. » écrit-il. Le blog est devenu si populaire que son auteur en a tiré un livre classé parmi les best sellers du New York Times.

« Des tendances virales peuvent très bien traiter de véritables problèmes de société à travers l’humour », estime Eric Weitz, chercheur de l’université Trinity de Dublin et spécialiste de l’humour sur les réseaux sociaux. « Le hashtag #whitesbelike semble offrir une plate-forme qui permet la critique ironique des privilèges invisibles des Blancs qui régissent notre société occidentale », poursuit-il.

« #whitesbelike est unique dans l’humour ethno-racial, dans la mesure où ce hashtag cible une majorité, un groupe privilégié », ajoute Limor Shifman, de l’université de Northwestern. « Le simple fait de créer des stéréotypes associés à la blanchité est radical. Comme l’a expliqué le critique culturel Richard Dyer, le Blanc est considéré comme transparent, comme la catégorie par défaut. »

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De fait, l’ironie à propos des Blancs sur la Toile américaine est aussi la contestation d’une classe dominante, d’un ordre social. « Quand je parle de Blanc, je parle bien évidemment d’une classe sociale privilégiée. Quand une classe sociale est dominée par une couleur de peau, on fait un raccourci », explique le blogueur Christian Land.

Le phénomène s’appuie sur un travail commencé dans les années 1990 dans les universités avec les « Whiteness studies », des recherches centrées sur les raisons sociologiques, historiques et culturelles de l’identification à la « blanchité » comme construction sociale et idéologique donnant droit à des privilèges sociaux sur la base de la couleur de la peau.

Racisme inversé ?

Des humoristes comme Louis CK en ont fait un ressort comique : « Le truc le plus cool quand on est blanc, c’est que tu peux entrer dans une machine à remonter le temps et visiter n’importe quelle époque. Quand t’arrives là-bas, c’est à chaque fois putain de génial, et ça, c’est vraiment un privilège blanc. Les Noirs ont pas intérêt à s’amuser avec les machines à remonter le temps. Un mec noir dira : non non, ça ira, je ne vais nulle part avant 1980, non merci, je ne veux pas y aller. »

Mais de quelle couleur sont les gens qui font de l’humour sur les Blancs ? Toutes. « Les Blancs, dans un effort de solidarité, trouvent ça cool de se moquer de leur propre blancheur », écrit The New Republic. Mais rire d’eux-mêmes ne ferait que renforcer leurs privilèges selon le Dailydot. « Quand un groupe oppressé rit en privé, ça provoque un sentiment de soulagement et de pouvoir, mais la blague a beaucoup plus d’impact si les gens de la culture dominante sont touchés, réagissent, écoutent et s’ouvrent au dialogue ».

De rares commentateurs ont fustigé #whitepeoplebelike en parlant de racisme inversé. Un argument que balaie Nelly Quemener, maîtresse de conférence en science de l’information à Paris III. « S’il y a une forme de stéréotypisation des Blancs, est-ce du racisme pour autant ? Nous ne sommes pas sur une même forme d’exclusion. Les Blancs ne sont pas exclus de la société, dit-elle. Il s’agit davantage, selon moi, d’une stratégie minoritaire de mise en abîme des positions de pouvoir. »

Aamer Rahman, comédien de stand-up australien originaire du Bengladesh, a répondu à sa manière dans un sketch intitulé « Reverse Racism » (Racisme inversé). Il y explique que pour pouvoir être accusé de racisme contre les Blancs, il faudrait remonter le temps, coloniser les Blancs, voler leurs terres, faire un commerce fondé sur l’esclavagisme puis les détruire pendant quelques siècles pour finalement convaincre leurs descendants d’immigrer dans un système qui privilégie les Noirs et basanés à tous les niveaux économiques et sociaux. « Si j’avais des centaines et des centaines d’années de ça derrière moi et que je montais sur scène pour dire : “Hey, c’est quoi leur souci aux Blancs ? Pourquoi ils ne savent pas danser ?” Là, ça serait du racisme inversé », conclut-il.

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