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«Je ne suis pas féministe», dites-vous?

La critique du féminisme repose sur une vision caricaturale de la chose.
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À l'occasion du 8 mars, Journée internationale de la femme, et dans la foulée des déclarations de Lise Thériault, Stéphanie Vallée et Marie-France Bazzo, je propose quelques réflexions sur la perception erronée que certaines personnes se font du féminisme.

Pourquoi vouloir se distancier de ce mouvement ? Comment expliquer leur réticence à se décrire comme féministes ? Le féminisme est une idéologie défendant l'égalité des hommes et des femmes. Si on est pour l'égalité de tous, il faut être pour l'égalité des hommes et des femmes. Des luttes spécifiques doivent être menées pour combattre des inégalités spécifiques entre les deux sexes. Le féminisme est, en ce sens, constitutif de l'humanisme.

Les féministes sont égalitaristes. Il est incohérent de se dire égalitariste, mais pas féministe. Un égalitariste qui voudrait faire l'économie du féminisme, de l'antiracisme et des autres luttes contre les différentes formes de discrimination défendrait une version abstraite de l'égalitarisme, divorcée de la réalité vécue des gens.

La réticence à l'égard des mouvements collectifs

Certains se font une interprétation caricaturale du féminisme et le décrivent comme une «religion», une «Église» ou un «dogme». Sans mauvais jeu de mot, ils font alors du féminisme un «homme de paille». Cette caricature est utilisée à cause du malaise ressenti face à un militantisme qui les dérange. Leur dérangement est cependant très souvent révélateur de leur position privilégiée, que ce soit celle d'une femme qui s'est laissée porter par les acquis de la génération précédente, ou que ce soit celle d'un mâle blanc dominant.

Certains prennent plaisir à dire qu'ils ne sont pas féministes, qu'ils ne sont d'aucun parti et qu'ils ne souscrivent à aucune idéologie. Ils montrent toutefois par le fait même qu'ils endossent pleinement l'idéologie de l'individualisme. Car, en effet, il doit bien y avoir une chose qui leur tient à cœur : ne cherchent-ils pas à gagner leur vie, à réussir leur carrière et à tenir compte de leur avantage personnel ? Très certainement.

Mais y a-t-il un problème à accorder beaucoup d'importance à gagner sa vie, à réussir sa carrière et à tenir compte de son avantage personnel ? Pas du tout. Le problème se pose seulement lorsque tout cela est combiné au rejet de toute forme d'allégeance à un mouvement ayant un caractère collectif. C'est ici que les ambitions personnelles, en soi légitimes, deviennent problématiques, puisqu'elles révèlent un repli sur sa propre personne, ce qui est une autre forme de repli identitaire, caractérisé cette fois-ci par trois valeurs : me, myself and I.

Juger à partir de sa propre expérience

Il n'y a pas que la réticence à l'égard de tout ce qui est collectif qui explique le refus de se décrire comme féministe. D'autres ont eu des rapports personnels difficiles avec certaines personnes qui le pratiquaient avec de la hargne, du ressentiment ou un esprit revanchard. Ou alors ils ont été éduqués dans un environnement où l'on ne pouvait déceler aucune forme de sexisme, d'inégalité ou d'iniquité. Dans les deux cas, le problème est le même : on construit tout à partir de son expérience vécue.

Or, il faut regarder plus loin que sa propre personne, que ses propres expériences, que son propre vécu. Il ne faut pas tout construire à partir de son petit bout de lorgnette. Il faut regarder au-delà, voir les statistiques, comparer les salaires, constater la culture du viol, noter le propos sexiste, remarquer la violence conjugale, prendre acte des agressions non dénoncées et déceler dans tout ça la présence parfois larvée, parfois affirmée, du patriarcat.

Un mouvement collectif

Certes, les comportements sexistes se produisent à l'occasion de relations interpersonnelles. On est informé des propos sexistes, du harcèlement, des agressions physiques, de l'abus de pouvoir et même, parfois, des viols. Les enjeux deviennent toutefois collectifs lorsque ces comportements prennent la forme de régularités qui existent dans plusieurs sociétés. On peut alors parler d'une culture du viol. On est ainsi placé en face d'un phénomène collectif.

Passer de la dimension individuelle à la dimension collective, c'est, par exemple, se rendre compte que la disparition de 4 000 femmes autochtones en 25 ans ne doit pas être prise en charge par une série d'enquêtes policières, mais bien par une commission d'enquête. En somme, c'est se rendre compte du caractère systémique de l'oppression exercée à l'encontre des femmes. C'est se sortir des inégalités observées à l'échelle domestique pour appréhender les inégalités observées à l'échelle de la société dans son ensemble.

Vu que les problèmes ont une nature collective, les solutions doivent elles aussi prendre une forme collective. On songe par exemple à la création du Conseil du statut de la femme, à la loi sur l'équité salariale, à la loi sur les congés parentaux, aux centres de la petite enfance (CPE) et à la commission d'enquête sur la disparition des femmes autochtones. Or, pour obtenir des changements systémiques de ce genre à l'échelle collective, il est impossible de ne s'en tenir qu'à des actions individuelles déployées en rangs dispersés. Il faut de la coordination, de la cohésion, de la coopération et de l'organisation. Les regroupements de femmes, appuyés par un nombre de plus en plus grand d'hommes, constituent ensemble un mouvement animé par une idéologie spécifique : le féminisme.

Une interprétation caricaturale de l'activisme féministe

Certains estiment que l'enrôlement obligatoire dans quelque groupe que ce soit reflète un totalitarisme inacceptable et dangereux, mais personne n'oblige qui que ce soit à embarquer dans quelque groupe que ce soit. On peut, après tout, être féministe sans s'engager dans un groupe militant particulier. On doit alors quand même respecter ceux qui s'engagent. Il y a toute une gamme possible d'engagements dans la cause féministe : par des femmes et par des hommes ; en s'insérant dans un groupe militant ou à l'extérieur d'un groupe militant ; en militant seul ou en ne militant pas du tout.

Si l'on critique ceux qui se font une vision caricaturale du féminisme, ce n'est pas pour leur reprocher de ne pas militer ou leur reprocher de militer seul : on s'objecte seulement aux faux arguments invoqués pour critiquer ce mouvement. Le féminisme n'est pas une chapelle, une religion, une Église, un groupe qui excommunie ou un totalitarisme dangereux qui enrôle obligatoirement.

Accepter le pluralisme

Quand on met en évidence le fait que la critique du féminisme repose sur une vision caricaturale de la chose, le critique va souvent se réfugier dans une posture prétendument «ouverte» et «tolérante» et reprocher à ses opposants de ne pas être capable d'accepter le désaccord, la dissidence et le pluralisme des points de vue. C'est mal comprendre les féministes que de réagir de cette façon. La seule chose qui est dénoncée est le faux pluralisme qui consiste à opposer son opinion à une version caricaturale du mouvement féministe. Ceux qui s'appuient sur une vision caricaturale du féminisme ne manifestent pas une ouverture pluraliste, ils manifestent au contraire de l'intolérance. Il ne faut donc pas s'étonner s'ils se font ensuite taper sur les doigts !

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