Et si... on bannissait les pesticides ?

Fongicides, herbicides, insecticides… Plusieurs centaines de pesticides différents sont aujourd’hui utilisés sur les exploitations agricoles en Europe. Depuis l’après-guerre, leur utilisation s’est généralisée et ils sont devenus, avec les engrais chimiques, un des piliers de l’agriculture intensive. Aujourd’hui, de plus en plus d’agriculteurs choisissent de sortir de ce modèle pour des raisons de santé, d’éthique ou économiques. A quoi ressemble le travail d’un agriculteur sans produits phytosanitaires, et surtout, peut-il en vivre ?

Le retour à la terre

Beaucoup d’agriculteurs sont passés par ce préalable indispensable pour accompagner la suppression des produits phytosanitaires sur une exploitation : un état des lieux des sols.

« On a tellement mis cette idée dans la tête des agriculteurs qu’il fallait de gros tracteurs et des produits, qu’au final il y a une méconnaissance du principal outil de travail, la terre », déplore Lydia Bourguignon, cofondatrice du Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols (LAMS).

Aux agriculteurs qu’elle rencontre, elle préconise avant tout l’arrêt du labour profond (entre trente et quarante centimètres). Cette pratique, qui s’est généralisée avec l’utilisation de grosses machines agricoles, s’avère mortifère pour la microbiologie des sols et donc, pour leur fertilité.

Pour favoriser la richesse des sols, les engrais verts se substituent aux engrais chimiques. Ce couvert végétal permettra, en plus de capter l’azote et les minéraux essentiels à la fertilisation des sols, de maintenir et protéger la terre en hiver.

Les alliés naturels

Favoriser la présence d’insectes pour limiter les pesticides peut sembler contradictoire. Et pourtant, c’est précisément ce que recherchent ces agriculteurs qui ont choisi d’encourager la biodiversité sur leurs exploitations.

Pour enclencher un cercle vertueux, certains vont même jusqu’à réintroduire des pucerons sur une culture. Ils attirent ainsi les coccinelles, dont les larves se nourrissent de l’insecte ravageur. Dans un monde idéal guidé par l’agro-écologie, l’homme n’aurait qu’une intervention limitée dans ce milieu qui s’autorégule.

Même si on en est loin, c’est ce principe qui a convaincu Philippe Fourmet, céréalier dans la Meuse, de passer ses 300 hectares de céréales en biodynamie. « Quand vous avez compris la manière dont fonctionne la nature, vous vous demandez si vous voulez rester dans un système totalement artificiel ou pas. » Ainsi commence une tout autre approche du métier. « Il faut prendre en considération tout l’environnement qui est autour de la vigne », résume François Chidaine, vigneron en Touraine.

Zéro pesticides, c’est possible ?

En agriculture conventionnelle, les pommes reçoivent trente-six traitements par an, les betteraves, de seize à dix-huit. Et toutes ces particules volatiles peuvent atteindre les exploitations qui n’utilisent pas de pesticides.

Pour se protéger des multiples épandages des champs voisins, les agriculteurs entretiennent arbres, bandes enherbées et haies autour de leurs cultures. Mais impossible de mettre un champ sous cloche. Alors pour s’assurer que la récolte respecte la charte de l’agriculture biologique, l’organisme certificateur contrôle les exploitations labellisées deux fois par an.

Pour Adrien Peltier, paysan boulanger dans l’Eure-et-Loir, côtoyer les champs cultivés en conventionnel, c’est aussi une forme de résistance. Installé dans la ferme familiale avec son frère Benjamin, il espère que la trentaine d’hectares qu’ils cultivent pourra faire bouger les mentalités dans leur département, où seulement 0,6 % des surfaces agricoles utiles sont en bio.

Un modèle viable ?

De la ferme expérimentale de la Bourdaisière, en Touraine, à la ferme du Bec Hellouin, en Normandie, l’Institut national de recherche agronomique (INRA) s’intéresse à la rentabilité de plusieurs fermes qui fonctionnent en agro-écologie.

De plus en plus, l’agriculture biologique apparaît aussi comme un moyen d’être payé le prix juste pour sa production. Pour le céréalier Philippe Fourmet, c’est le système conventionnel qui fragilise économiquement les agriculteurs : « C’est quand vous avez des années difficiles que vous vous apercevez que vous êtes d’une fragilité extrême et que vous dépendez totalement de l’extérieur. »

Le passage en agriculture biologique serait-il une forme d’émancipation? Les agriculteurs reprennent le contrôle sur la manière dont ils cultivent, mais aussi, dans de nombreux cas, sur la manière dont ils vendent. AMAP, Ruche qui dit oui, magasins de producteurs, vente à la ferme… les réseaux de distribution en circuit court se multiplient.

Texte, photos et videos
Anna Moreau
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