INTERACTIF. Ile-de-France : votre bled, c’est quoi son blaze ?

De nombreuses villes de banlieue parisienne jouissent d’un surnom aux origines parfois mystérieuses. Popularisés par le rap, propagés sur Internet, de nouveaux sobriquets viennent s’ajouter aux plus anciens.

 
 

    «Moi je suis de Boboche mais je vis sur Paname. Et oit ?» « J'habite au KB mais j'ai grandi à Gégenne.» Vous n'avez rien compris ? On vous fait la traduction : le premier locuteur vient de Bobigny (Seine-Saint-Denis) mais habite à Paris, le second vit au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) mais est originaire de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Voici quelques exemples de surnoms dont sont affublées de nombreuses villes d'Ile-de-France — nous avons recensé quelque 150 communes à être ainsi dotées d'un sobriquet.

    Certains sont anciens et bien connus, à l'instar de «Paname», vieux d'un siècle et chanté par Léo Ferré, Renaud ou Booba. Mais beaucoup d'autres sont plus récents, façonnés dans les cours de récréations ou les halls d'immeubles, popularisés par le rap et affichés fièrement par des cohortes d'ados sur leurs blogs et les réseaux sociaux. D'aucuns témoignent d'une inventivité débordante.

    «Ce qui me frappe, c'est que les argotiers exploitent absolument tous les moyens pour forger de nouveaux mots, s'enthousiasme le linguiste Alain Rey face à ces surnoms. Ca montre que la morphologie du français est très vivante.» Et le lexicographe d'apporter son expertise sur la formation de ces nouveaux surnoms. «Gégenne ou Boboche, c'est ce qu'on appelle la réduplication, explique-t-il. Ca consiste à prendre une syllabe du mot dont on répète le son. C'est un procédé très fréquent dans la langue enfantine.»

    Acronymes, resuffixation et calembours

    Modifier le dernier élément de certains noms, comme «Brétoche» pour Brétigny (Essonne), c'est de la resuffixation. « Les fins en -oche, c'est un classique, note Alain Rey. Morlingue pour Morangis (Essonne), c'est plus intéressant car ça coïncide avec un vieux mot d'argot : un morlingue, c'est un porte-feuille.» Le linguiste s'amuse aussi des «surnoms alphanumériques», comme «Ple6» pour le Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) ou «30Blay» pour Tremblay (Seine-Saint-Denis). «C'est un procédé moderne mais je compare ça aux rébus du XVIe siècle», sourit Alain Rey.

    Bien évidemment, le verlan n'est pas en reste, avec par exemple «Teil-Cré» pour Créteil (Val-de-Marne). Mais «il est un peu essoufflé le verlan : ça devient des mots familiers comme les autres», relève Alain Rey. Le linguiste n'est guère plus amène avec les acronymes («VLG» pour Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), «procédé d'une banalité monstrueuse».

    Et puis, il y a les surnoms les plus fantaisistes. D'abord ceux qui jouent sur le contraste entre une banlieue parfois morose et une Californie fantasmée par le cinéma ou les clips : Orly (Val-de-Marne) devient «Orlywood», Longjumeau (Essonne) «Longbeach». «Ce sont des mots-valise interlinguistiques, diagnostique Alain Rey. C'est de la pure rigolade.» Enfin, il y a de purs calembours : «Blankok» pour Le Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), en référence à Bangkok (Thaïlande) ou «Ram-Teillebou» pour Rambouillet (Yvelines) («teillebou» pour bouteille en verlan).