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« Le Web permet à une nouvelle forme de violence contre les femmes de se répandre »

La violence sexiste se propage en ligne, aidée par une législation encore insuffisante. Les conséquences sont pourtant réelles et profondes pour les victimes.

Publié le 18 février 2016 à 16h56, modifié le 19 février 2016 à 09h58 Temps de Lecture 3 min.

Pour Léa Clermont-Dion, trop peu est encore fait pour lutter contre la violence sexiste en ligne

Par Léa Clermont-Dion

« T’as du sable dans le vagin », « Salope », « Conne », « tu devrais avoir le cancer ». Les attaques sexistes pleuvent dans le far-Web, répandues ici et là, dans le cyberespace parfois dans un anonymat complet et trop souvent en toute impunité. Un constat s’impose. Les dispositions législatives nationales semblent trop souvent insuffisantes pour limiter le discours haineux et sexiste.

Contrairement à ce que les auteurs de telles invectives semblent croire, la violence en ligne n’est pas sans conséquence, elle peut parfois entraîner la mort. Que l’on se souvienne de la tragique histoire de la jeune canadienne Amanda Todd, qui s’est suicidée en 2012, à l’âge de 15 ans, après avoir subi des menaces au revenge porn, soit la diffusion en ligne de contenu sexuellement explicite sans le consentement des personnes concernées. Un jeune homme dont elle avait fait la connaissance en ligne exigeait qu’elle se dévête devant sa webcam. À force de chantage, il est parvenu à lui soutirer plusieurs photos compromettantes. Ce qui ne l’a pas empêché de mettre ses menaces à exécution en publiant en ligne les clichés obtenus. Peu avant son suicide, Amanda a diffusé une vidéo sur YouTube dans laquelle elle racontait le harcèlement qu’elle avait vécu.

La haine contre les femmes n’est pas un phénomène marginal. En octobre 2015, l’ONU a publié un rapport qui démontre 73 % des femmes internautes dans le monde auraient expérimenté une cyberviolence sexo-spécifique : sextorsion, harcèlement, slut-shaming, fat-shaming, (« haro sur les salopes », « sur les grosses »), etc.

Sexisme et discours haineux

Toutes les manifestations de sexisme sur le Web ne relèvent pas de la catégorie du discours haineux. Le Conseil de l’Europe définit le terme de discours de haine comme « toutes formes d’expression qui propagent, incitent, promeuvent et justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme et d’autres formes de haine. »

Définir juridiquement la sexophobie reste un défi et très peu de pays ont pris des dispositions pénales. La Grèce, les Pays-Bas et la Suède ont adopté des lois, souvent contestées, sur le cyberharcèlement. La France et la Grande-Bretagne ont, eux, choisi de cibler la revenge porn. Le Canada cible, pour sa part, le discours haineux.

Mais la liberté d’expression sans limite continue d’être la règle en ligne. Ce qui permet à un individu comme Roosh V, antiféministe très connu sur le Web, misogyne assumé faisant l’apologie de l’homme blanc privilégié, de profiter de cette situation pour disséminer ses idées. Ce célèbre blogueur va même jusqu’à en appeler à la légalisation du viol dans des lieux privés. Comment se fait-il qu’il puisse continuer à propager la haine des femmes en toute impunité ? Trop peu de dispositions législatives nationales s’intéressent spécifiquement à la propagation du discours haineux sexiste. Il est vrai que l’équilibre entre liberté d’expression et la non-discrimination est difficile à définir. Il faudrait également savoir quelle juridiction a autorité pour sévir contre Roosh V, si l’espace sans frontière du Web est l’endroit où il s’exprime.

Sentiment d’impunité

Quand le recours à la loi n’est pas une option et que l’agresseur est anonyme, ou connu, tenter de se faire justice à travers les médias sociaux sur Twitter, YouTube et Facebook est toujours envisageable, mais bien souvent très peu efficace. Facebook ne reconnaît pas la violence sexo-spécifique et ne censure pas les discours haineux envers les femmes.

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Le Web est encore jeune. Les activités en ligne méritent d’être analysées, interrogées et observées au prisme du respect des droits humains. L’anonymat confère à l’internaute un sentiment d’impunité qui encourage l’outrance verbale, ce qui peut favoriser la propagation de discours haineux, notamment sexistes, qui peuvent s’avérer lourds de conséquences.

Dans nos sociétés, la liberté d’expression peut être limitée dans certaines circonstances. Contrôler le cyberespace est nécessairement une question d’ordre international. Nous devons tous nous interroger sérieusement sur les mesures à prendre afin d’enrayer la diffusion de la haine en ligne. Le genre n’est évidemment pas le seul facteur de discrimination. Il faut également porter une attention particulière à d’autres cibles de la haine comme l’orientation sexuelle, l’origine, la religion, etc. Un important travail d’éducation sur l’utilisation des outils numériques doit être accompli tout comme une sensibilisation aux enjeux d’égalité des sexes dès l’enfance.

Le Web permet à une nouvelle forme de violence contre les femmes de se répandre. Il est urgent d’agir.

Léa Clermont-Dion est doctorante en science politique à l’Université Laval. Sa thèse porte sur la cyberviolence faite aux femmes. Elle prépare également un documentaire sur la question.

Le Monde

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