Comment rire des Blancs en France, alors que les statistiques ethniques sont interdites, que le mot « race » a été supprimé en 2013 de la législation et que, comme le dit Nelly Quemener, maîtresse de conférence en science de l’information à Paris III, « le modèle républicain, qui prône un modèle d’égalité entre tous ses citoyens, a du mal à accepter qu’on énonce une identité propre » ?
Quelques humoristes français ont essayé : Thomas Ngigol du Jamel Comedy Club, Gad Elmaleh avec son blond, incarnation de l’homme blanc dominant ou encore Omar et Fred. « Omar décrit de plein de manières différentes le stéréotype du Noir. La figure en contraste c’est Fred, il incarne le stéréotype du Blanc. Ce qui est discuté là et qui fait l’objet du rire, c’est que Fred décrit plein de figures typiques de la blanchité », poursuit Nelly Quemener.
Norman, Youtubeur, a lui aussi signé en septembre 2015 une vidéo intitulée Etre blanc. Enorme succès : plus de 10 millions de vues en ligne. Il se moque gentiment de lui-même. « Moi je suis un Blanc, un bon gros babtou, et parmi les Blancs, je suis vraiment très très blanc, c’est à dire quand je prend une photo la nuit avec un flash, je reflète la lumière, on dirait un panneau de circulation ».
Mais la tendance virale américaine #whitesbelike a-t-elle un équivalent français ? Malgré d’immenses différences culturelles, la réponse, surprenante, est oui. Le terme et hashtag #babtou, ou #babtou fragile est en train de faire florès. « Toubab », terme d’Afrique de l’ouest dérivé de « toubib » pour désigner un médecin blanc, est devenu « babtou » en verlan. L’adjectif fragile qui lui est parfois accolé désigne le cliché de l’homme blanc fébrile et peureux.
« C’est tes vrais cheveux ? »
Sur Twitter, le hashtag #babtou accompagne des phrases humoristiques de type « La prochaine fois que j’ouvre des huîtres je mets des gants #babtou fragile ». Ou encore « Les babtous c’est des oufs, ils vont manger un simple riz haricot rouge, ils vont te dire ‘très exotique comme plat, j’ai voyagé l’espace d’un instant’».
Dans la même mouvance, le hashtag #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs a lui aussi eu son buzz en février 2016. « C’est tes vrais cheveux ? Je peux toucher ? Ils sont super-lisses, on dirait des poils de chiens #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs », lit-on sur Twitter.
En France, où la question de la blanchité est longtemps restée absente du débat et du monde de l’humour, il aura fallu attendre 2013 pour que deux livres d’universitaires abordant la question. Maxime Cervulle a publié Dans le blanc des yeux, diversité, racisme et médias (éditions Amsterdam), alors qu’un collectif dirigé par l’historienne Sylvie Laurent et le journaliste Thierry Leclère signait De quelle couleur sont les blancs ? (éditons La Découverte).
Pourquoi un tel décalage ? « Aux Etats Unis, explique Nelly Quemener, l’idée même d’identité est devenue dans les années 80 et 90 le ressort de mouvements sociaux. L’énonciation de soi est intégrée dans le jeu politique et institutionnel. Les quotas dans les universités, par exemple, ont produit des formes de catégorisation des personnes ».
Pour la plupart des auteurs, la difficulté française à designer quelqu’un comme blanc, ou à se penser comme blanc, vient du fait que cette catégorie semble innée. La question de la couleur reste centrée sur les non-blancs, dans une pensée universaliste et républicaine qui tente de rendre invisible les couleurs et les différences.
« En France, tout le monde doit se ressembler »
« La spécificité de la blanchité, c’est que le Blanc est construit comme une propriété chromatique et sociale étant du côté de l’universel. (…) Le minoritaire se trouve du coté du particularisme, du coté de la difficulté », expliquait en 2014 Maxime Cervulle, l’auteur de Dans le blanc des yeux, dans un entretien à France-Culture.
Christelle, une jeune femme interrogée pour le web documentaire « Strolling » sur l’identité noire française, résumait ainsi la situation : « La dynamique française est contre l’idée de communauté. Ils n’aiment pas ça ici. Tout le monde doit se ressembler et être aussi blanc que possible. Le fantasme français c’est l’homme nouveau, sans religion, qui embrasse toutes les cultures, mais juste un peu. C’est un fantasme fou que personne ne comprend, même ceux [qui tentent de] le suivre. »
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