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Ouverture à Grande-Synthe du premier camp humanitaire de France

Constitué de 213 maisonnettes en bois chauffées, il devrait accueillir lundi ses premiers occupants. Une première en France.

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Publié le 06 mars 2016 à 20h40, modifié le 07 mars 2016 à 19h49

Temps de Lecture 5 min.

La ville de Grande-Synthe (Nord), déménage d’ici au mercredi 9 mars les 1 050 migrants kurdes qui campent dans la boue depuis des mois. Ils seront relogés, avec les 300 mis à l’abri par la préfecture, dans un camp humanitaire pensé et financé par Médecins sans frontières (MSF). Damien Carême, le maire Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de la ville et Angélique Muller, la responsable de Médecins sans frontières (MSF) exposent les spécificités de cette première en France.

Vous allez être le premier maire de France à avoir sur votre commune un camp humanitaire construit par Médecins sans frontières. Quel est votre état d’esprit au premier jour du déménagement ?

Damien Carême : Je suis satisfait que les femmes, les enfants et les hommes qui vivaient dans des conditions indignes puissent accéder à une installation plus humaine. Médecins sans frontières a fait un travail extraordinaire. Le nouvel espace reste évidemment sommaire, mais je suis heureux que nous soyons capables d’héberger dignement 1 500 personnes dans les 213 cabanons en bois chauffés, disponibles dès aujourd’hui, qui augmenteront jusqu’à 375. Ils auront à leur disposition des lieux de vie, des prises électriques pour recharger leurs téléphones, des douches, des toilettes, des lieux de distribution et un espace où Médecins sans frontières et Médecins du monde pourront à tour de rôle les soigner.

Le nouveau camp est plus loin du centre-ville. Tout le monde déménagera-t-il ?

Angélique Muller : Le déménagement s’opère sur la base du volontariat. Mais nous travaillons depuis deux mois à convaincre les familles et disposons déjà d’une liste de près de 800 volontaires pour changer de lieu. En fin de semaine dernière, nous avons organisé des visites sur le nouveau camp, pour qu’ils puissent constater l’évolution des travaux, et les retours sont très positifs.

Concrètement, comment va se passer le déménagement ?

Angélique Muller : Vingt-cinq collaborateurs de MSF vont superviser 100 bénévoles de toutes les associations locales et internationales en action depuis des mois, présents sur les deux sites. Nous serons aux deux bouts de la chaîne, capables d’organiser en même temps les départs et les arrivées.

Damien Carême : Côté municipalité, nous mettons cinq bus à disposition qui feront des navettes jusqu’à 17 h 30. L’idée est que les gens n’emportent que leurs effets personnels. Des kits d’hygiène leur seront distribués à l’arrivée ainsi que des kits de nuit. Ils ne viendront pas avec leur matelas.

Que se passera-t-il si mercredi des migrants ne veulent pas changer de lieu ?

Damien Carême : Ils seront évacués jeudi par la police. Je ne veux pas garder deux camps et je considère qu’ils mettent de la mauvaise volonté s’ils refusent de migrer vers le nouvel espace que nous leur offrons.

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J’ai besoin de récupérer très vite ce terrain. Je m’y suis engagé en tant qu’élu, auprès des riverains et je vais construire, à la place du campement du Basroch, un quartier écologique.

  • A Grande-Synthe, près de 3 000 migrants, essentiellement kurdes, vivent les pieds dans l'eau non loin du centre-ville.

    A Grande-Synthe, près de 3 000 migrants, essentiellement kurdes, vivent les pieds dans l'eau non loin du centre-ville. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Aux portes de Dunkerque, à 30 kilomètres de la jungle de Calais, ils s'entassent dans la boue et le froid, l’humidité et le vent.

    Aux portes de Dunkerque, à 30 kilomètres de la jungle de Calais, ils s'entassent dans la boue et le froid, l’humidité et le vent. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Jusqu’à cet été, ils étaient 80. Aujourd'hui, c’est « une ville dans la ville » ; une cité où la botte de caoutchouc est obligatoire.

    Jusqu’à cet été, ils étaient 80. Aujourd'hui, c’est « une ville dans la ville » ; une cité où la botte de caoutchouc est obligatoire. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Les enfants sont nombreux ; une bonne centaine, sans doute. Sur des cartons de récupération, ils mettent en couleur leur vie de jeune exilé.

    Les enfants sont nombreux ; une bonne centaine, sans doute. Sur des cartons de récupération, ils mettent en couleur leur vie de jeune exilé. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Indispensable lien avec l'extérieur, les téléphones portables sont rechargés au seul point d'électricité du camp.

    Indispensable lien avec l'extérieur, les téléphones portables sont rechargés au seul point d'électricité du camp. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Pour la vaisselle, c'est à l'entrée du camp. A deux pas des gendarmes qui contrôlent les entrées.

    Pour la vaisselle, c'est à l'entrée du camp. A deux pas des gendarmes qui contrôlent les entrées. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Médecins sans frontières s'estime là sur « une décharge à ciel ouvert » ; un camp inorganisé de migrants qui ont déjà payé le passage vers la Grande-Bretagne.

    Médecins sans frontières s'estime là sur « une décharge à ciel ouvert » ; un camp inorganisé de migrants qui ont déjà payé le passage vers la Grande-Bretagne. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Les tentes sont petites, basses. Chacun apporte près de lui quelques litres d'eau pour éviter les allers-retours vers le point sanitaire.

    Les tentes sont petites, basses. Chacun apporte près de lui quelques litres d'eau pour éviter les allers-retours vers le point sanitaire. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Les gendarmes ne laissent pas passer de matériaux de construction, empêchant les constructions de bois.

    Les gendarmes ne laissent pas passer de matériaux de construction, empêchant les constructions de bois. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Le feu est un des fondamentaux de la route de l’exil. Un moyen de faire cuire et de se chauffer. Très vite les migrants renouent avec ce savoir ancestral.

    Le feu est un des fondamentaux de la route de l’exil. Un moyen de faire cuire et de se chauffer. Très vite les migrants renouent avec ce savoir ancestral. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Moins de 50 douches pour près de 3 000 personnes. Des douches tenues par les passeurs qui en faisaient payer l'accès jusqu'à la reconquête par les associations.

    Moins de 50 douches pour près de 3 000 personnes. Des douches tenues par les passeurs qui en faisaient payer l'accès jusqu'à la reconquête par les associations. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Un lavabo, quelques gouttes d'eau... La douche est un luxe rare en attendant qu'un coin spécifique pour les femmes et les enfants soit mis en place par MSF.

    Un lavabo, quelques gouttes d'eau... La douche est un luxe rare en attendant qu'un coin spécifique pour les femmes et les enfants soit mis en place par MSF. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • « C’est le camp de la honte », reconnaît le maire. Ce président du Réseau des élus hospitaliers du Nord–Pas-de-Calais est aujourd'hui dépassé.

    « C’est le camp de la honte », reconnaît le maire. Ce président du Réseau des élus hospitaliers du Nord–Pas-de-Calais est aujourd'hui dépassé. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • La fillette a été soignée par MSF après être tombée sur le fourneau familial. Partout le danger guette les enfants en bas âge.

    La fillette a été soignée par MSF après être tombée sur le fourneau familial. Partout le danger guette les enfants en bas âge. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Le bois est un trésor. A couper soi-même pour ceux qui disposent de scies, à se procurer auprès des associations qui en apportent une camionnette de temps en temps.

    Le bois est un trésor. A couper soi-même pour ceux qui disposent de scies, à se procurer auprès des associations qui en apportent une camionnette de temps en temps. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Dans la cuisine collective, plusieurs familles gardent quelques conserves, des oignons et du sel. Dans ce camp sans repas fourni par l'Etat, chacun se débrouille.

    Dans la cuisine collective, plusieurs familles gardent quelques conserves, des oignons et du sel. Dans ce camp sans repas fourni par l'Etat, chacun se débrouille. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

  • Planté au bout de nulle part à l'entrée du camp, ce miroir est une étape obligatoire. On s'y regarde avant de « sortir en ville », on s'y recoiffe. Comme un rappel de l'humanité perdue par cette vie dans la boue.

    Planté au bout de nulle part à l'entrée du camp, ce miroir est une étape obligatoire. On s'y regarde avant de « sortir en ville », on s'y recoiffe. Comme un rappel de l'humanité perdue par cette vie dans la boue. DIANE GRIMONET POUR LE MONDE

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Angélique Muller : Nous aurions souhaité disposer de plus de temps, mais nous ferons le point avec la mairie sur l’avancée du déménagement d’ici mercredi.

Comment s’opérera ensuite la gestion quotidienne de ce nouveau lieu ?

Damien Carême : Utopia 56, l’association qui assure toute la logistique du festival des Vieilles Charrues, coordonnera la présence sur place de multiples bénévoles. Les nombreuses associations et bénévoles qui palliaient déjà dans l’ancien camp les manquements de l’Etat vont continuer à opérer, et restent les bienvenues, mais de façon plus organisée qu’aujourd’hui, sous le regard d’Utopia 56. Cela signifie que des repas seront délivrés, des distributions de vêtements organisées et que des maraudes sociales continueront.

Angélique Muller : En plus des consultations médicales locales assurées dans un bâtiment en dur disposant d’eau courante et des systèmes de référencement médicaux aux structures sanitaires, MSF continuera ses maraudes. Aller à la rencontre des gens vulnérables, des gens malades reste essentiel pour nous. Et jusqu’à fin avril nous distribuerons le pétrole qui permettra à chaque famille de se chauffer.

Damien Carême : Je dois ajouter qu’une association assurera l’entretien des sanitaires et des douches. L’AFEJI s’occupera de la gestion des sanitaires – nettoyage des douches, des toilettes, régularisation de l’accès aux douches et système de maraude.

Qui paie pour l’installation et le fonctionnement de ce premier camp humanitaire aux normes internationales ?

Angélique Muller : MSF consacre 2,6 millions d’euros à cette installation. Nous ne voulons pas être remboursés par l’Etat. Nous sommes un acteur indépendant et jouons à Grande-Synthe notre rôle d’association humanitaire, comme nous le faisons ailleurs dans le monde face à des êtres humains qu’on laisse vivre dans des conditions extrêmes.

Cela dit, notre réalisation montre à l’Etat qu’il n’y a pas besoin d’une dizaine de millions d’euros pour installer dignement entre un et deux milliers de migrants. Le bénévolat est important, les gens ont envie d’aider et il nous semble important d’un point de vue citoyen de leur permettre de le faire.

Damien Carême : La mairie de Grande-Synthe, elle, a investi 500 000 euros pour cette installation et nous espérons bien que l’Etat nous rembourse cette somme. Nous souhaitons aussi qu’il prenne en charge les 2,5 millions d’euros annuels de fonctionnement du lieu. La municipalité de Grande-Synthe n’a pas les moyens de le faire.

Ce camp sera-t-il contrôlé comme peut l’être le camp de conteneurs de Calais ?

Damien Carême : Non ! Bien évidemment. Il y aura juste quatre gendarmes devant empêchant les gens d’y entrer avec des tentes.

Angélique Muller : Il était hors de question que les entrées et les sorties soient contrôlées. Nous sommes des humanitaires, pas des policiers. Nous avons exprimé clairement notre volonté de libre accès sans enregistrement ou prise d’empreintes.

Il est de notoriété publique que le camp du Baroch est tenu par les passeurs. Le nouveau camp le sera-t-il aussi ?

Damien Carême : La ville espère reprendre la main. Dix-sept passeurs ont été arrêtés ces quinze derniers jours. Je suis un élu et je souhaite aussi que la police et la justice fassent leur travail. Pour que les interventions policières continuent à être possibles sur le nouveau camp en cas de besoin, la commune vient d’acheter les deux tiers du terrain sur lequel est installé le nouveau camp.

Angélique Muller : MSF est locataire d’un tiers de la parcelle.

Avez-vous observé des arrivées depuis Calais ?

Angélique Muller : Des arrivées ponctuelles mais pas en grand nombre. Mais la population des deux camps diffère, ici 90 % de la population est kurde d’Irak, il se peut que les Kurdes irakiens de Calais viennent. Ils forment un groupe de quelques centaines, ce qui est absorbable.

En octobre-novembre, les migrants étaient 2 500 à Grande-Synthe, ils sont un peu plus de 1 000 aujourd’hui et n’ont été que quelques centaines à partir dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO) du gouvernement. Que sont devenus les autres ?

Damien Carême : Vous vous posez vraiment la question ? Ils avaient payé pour aller en Grande-Bretagne… Ils y sont très certainement à l’heure où nous parlons.

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