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Lesbiennes, bi, trans, afro-féministes, travailleuses du sexe... L'autre manif du 8 mars

Dimanche, diverses associations et collectifs – LGBT, pro-travailleurs du sexe, afro-féministes... – ont défilé dans les rues de Paris pour une manifestation féministe. Et ce, à deux jours de la manif «officielle», dont ces groupes se démarquent. Rencontres.
par Kim Hullot-Guiot, avec Marie Rouge (photos)
publié le 7 mars 2016 à 12h05

Une manifestation réunissant différentes organisations féministes a eu lieu dimanche à Paris, deux jours avant la journée internationale des droits des femmes. A Belleville, dont le cortège partait, point d'Osez le féminisme ! ou d'autre association féministe institutionnelle, mais des collectifs LGBT, pro travailleurs du sexe, afroféministe… Des femmes, surtout, quelques hommes aussi, en tous genres et de tous horizons. Avec un mot d'ordre : l'inclusion. Témoignages.

Lucie, 19 ans : «On est toutes des femmes, qu’on ait une quéquette ou une zézette»

Lucie, 19 ans, étudiante en sciences de l’éducation et militante au Mag Jeunes LGBT depuis un an et demi. Photo Marie Rouge

«Je suis ici avec une association qui s'appelle Le Mag Jeunes LGBT. On a un local à Nation où les jeunes peuvent venir, c'est un endroit convivial, safe, on accueille tout le monde indépendamment de l'identité de genre ou l'orientation sexuelle. On fait aussi des interventions en milieu scolaire. On est ici pour le droit des femmes et des minorités de genre, parce qu'on représente tout le monde et qu'on veut vraiment le montrer. [La manifestation traditionnelle du 8 mars] n'est pas inclusive, nous, on l'est ! Ça ne serait pas logique d'y aller alors que certaines personnes qui sont avec nous ne pourraient pas forcément y être libres et y êtres respectées comme elles ont le droit de l'être. Par exemple, ils ne parlent que des femmes assignées filles à la naissance, alors qu'on est toutes des femmes : qu'on ait une quéquette ou une zézette, notre genre se définit dans notre tête !»

Diane, 49 ans : «On veut être humaniste pour tout le monde»

Diane, 49 ans, sans profession et militante Acceptess-T. Photo Marie Rouge

«Je m’appelle Diane, je suis une femme transgenre, mais une femme d’abord. Je suis au chômage en précarité, vue ma transition. J’étais commerciale-technicienne dans l’agro-alimentaire. [Aujourd’hui] pour moi, c’est vraiment la journée de toutes les femmes, qui se se définissent pas par un critère bien… défini, et on souffre toujours d’oppression, toutes les femmes. On se retrouve plus facilement précarisées et il est important d’être là pour avoir une visibilité, expliquer que nous sommes solidaires pour lutter contre ce système oppressif.

[Etre ici], c'est d'abord un message politique et humaniste pour les femmes et c'est aussi un message pour les groupements féministes radicaux qui ont une vision très étriquée, qui ont une définition de la femme et pas des femmes. Il est temps de comprendre qu'on est toutes des femmes différentes mais avec une oppression commune, donc il est temps de lutter toutes ensemble. Les groupes féministes radicaux sont transphobes, ils ne définissent la femme que par rapport au sexe, elles sont arriérées. J'ai la chance, physiquement, ça ne se voit pas sur moi (elle sourit), mais j'ai tellement d'amies qui sont exclues car elles portent encore des critères physiques masculins et alors ce ne serait pas des vraies femmes. Non, ce sont des femmes. L'histoire de chaque femme appartient à chacune.»

A la manifestation féministe du 6 mars, à Paris, entre Belleville et l’Hôtel de Ville. Photo Marie Rouge

«[Ce qu'il faut changer] : avoir le même salaire, ne plus subir de harcèlement - dont on dit que «non ce n'est pas du harcèlement», changer les idées préconçues sur le viol, et après, pour ma paroisse, c'est avoir nos papiers d'identité, ne plus passer devant un juge, ne pas être obligé-e de dire qui l'on est parce que nos papiers ne sont pas conformes, simplement être intégré-e-s. On veut que toutes les femmes soient intégrées au même niveau que les hommes. Il n'y a aucune raison que les hommes aient un meilleur salaire, plus d'avantage, alors que nous on devrait n'être que des accompagnantes. Il faut arrêter ça, on est une force prédominante, la société doit être complètement mixte, et ne pas exclure.

Des féministes «radicales» ont encore une méthode de définition qui est très psychiatrisante, qui date du début du XXe siècle, et elles restent dans leur cloisonnement. Elles jouent pour elles-mêmes et contre elles-mêmes à la fois, alors que nous on veut jouer pour tout le monde, on veut lutter pour tout le monde, on veut être humaniste pour tout le monde, c'est hyper important.»

Acceptess-T, association d'auto-support des trans migrants ou précaires

Fatima, 53 ans : «La priorité, c’est d’estimer les femmes»

Fatima, 53 ans, militante de la Coordination de lutte pour les sans-papiers de Saint-Denis. Photo Marie Rouge

«On est venus aujourd’hui car c’est la fête nationale des femmes. On est là pour soutenir les sans-papiers, on est là pour déclarer la liberté de toutes les femmes qui sont dans la précarité, qui sont maltraitées, on est là pour soutenir les réfugiés car la loi est un peu dure avec eux. On revendique la régularisation de toutes les femmes qui travaillent dans l’ombre. On est sorties de l’ombre. Elles travaillent au noir, elles n’ont pas de contrat et ne peuvent pas être régularisées. (Parmi les sans-papiers), les femmes sont particulièrement précarisées.

La priorité, c’est la liberté des femmes, c’est de les estimer. Les femmes sont mamans, soeurs, travailleuses, elles gardent les enfants, les personnes âgées, elles sont tendres. On demande l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Pour le salaire, pour la liberté, pour beaucoup de choses.»

Ophélie, 24 ans : «Les femmes d’origine africaine sont souvent vues uniquement comme des corps»

Ophélie, 24 ans, comédienne et militante de Mwasi, collectif afroféministe. Photo Marie Rouge

«Je suis ici avec une vingtaine de membres de Mwasi, un collectif afroféministe. Les femmes d'origine africaine sont souvent vues uniquement pour leurs qualités physiques, pas pour ce qu'elles ont dans la tête, pour leurs diplômes etc. Nous sommes là pour dire que les femmes sont pas que des corps. Etre dans un collectif afroféministe est nécessaire pour être pleinement représentée, [pour lier] la lutte contre le racisme et la lutte féministe. J'ai déjà participé à des collectifs féministes «classiques» et les choses que j'y mettais en avant n'étaient pas reconnues. Les causes que les féministes blanches défendaient étaient «légitimes» selon elles, les miennes ne l'étaient pas. Par exemple quand je disais que j'avais moins de chance d'obtenir un travail auquel je postulais, elles ne le comprennaient pas. Mais c'est normal : les personnes non racisées sont dans une société qui les inclut. L'afroféminisme est un mouvement auquel je peux m'identifier, dans lequel je me reconnais. C'est important d'être entre pairs.»

Aurore, 20 ans : «Les prostitués subissent beaucoup plus de violences avec l’état d’urgence»

Aurore, 20 ans, étudiante et prostituée, sympathisante du Strass. Photo Marie Rouge

«Plus que jamais les femmes, les personnes non binaires et les trans sont victimes de violences et en tant que prostitué-e-s, on subit beaucoup plus de violences en ce moment avec l’Etat d’urgence. Les gens sont plus méfiants, ils ont une tendance plus forte au racisme donc les personnes racisées sont précaires face à ça. Les filles qui sont dans la rue, ou les personnes trans, subissent plus de violence, [y compris] policière.

Cette manifestation se veut intersectionnelle : c’est le rassemblement de toutes les sortes d’oppressions, qu’on soit né homme, femme, trans, non-binaire, homo, hétéro, bi, asexuel… Alors que dans les terrains plus traditionnels, on a moins cette réunion des oppressions qu’on subit. [L’urgence, c’est] : le recul sur la loi sur la pénalisation du client. C’est bien la dernière chose à faire pour protéger les travailleurs du sexe ! Pour le reste, je pense pas qu’il y ait de priorité absolue, si ce n’est l’arrêt de la violence envers les femmes.»

Tugçe, 32 ans : «La guerre reproduit le système patriarcal» 

Tugçe, 32 ans, étudiante turque à Paris, militante de la Voix des femmes pour la paix. Photo Marie Rouge

«On est un collectif qui milite contre la guerre, parce que la guerre reproduit le système patriarcal. Les femmes, les personnes LGBTI, les «minorités» religieuses sont davantage victimes de la guerre : elles subissent des violences sexuelles, cela nous touche dans nos corps. A Belleville, on est là pour dire qu’il fut avoir la solidarité des féministes de France et aussi des autres immigrés, il faut qu’on soit tous ensemble pour reconstruire la paix.»

A Belleville, dimanche 6 mars. Photo Marie Rouge

Delphine, 29 ans : «On a un gouvernement qui n’a pas de courage»

Delphine, 29 ans, porte-parole de FièrEs et serveuse. Photo Marie Rouge

«On est là parce que c'est bientôt la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, du coup toutes les féministes et toutes les personnes intéressées se mobilisent et prennent la rue pour différentes revendications, pas toutes les mêmes, mais il y a quand même de quoi faire ! Nous [avec FièrEs], on va beaucoup parler des violences dont sont victimes les femmes migrantes en particulier, on va parler du contexte actuel d'Etat d'urgence, de déchéance de nationalité, etc. Et sur les femmes en général c'est beaucoup plus large, il y a les thématiques féministes qui sont l'accès à l'IVG, les droits des femmes, l'absence des femmes dans les cercles de pouvoir, les violences dont elles sont victimes, le harcèlement les viols, les agressions, leur place dans l'espace public, il y a énormément de thèmes, et puis nous, FièrEs en particulier, on est aussi sur les questions lesbiennes, bi, trans, donc la PMA, la réforme de la filiation, les droits des trans, le changement d'état civil, le parcours médicalisé, etc.

Pourquoi il y a cette manif et puis l'autre [celle du 8 mars, ndlr] ? C’est qu’on se clive sur plusieurs sujets, je pense au voile notamment. C’est pour ça que le collectif 8 mars pour toutes s’est créé, pour faire une seconde manifestation où certains sujets comme le port du voile ou comme la prostitution seraient traités de manière différente. Du coup évidemment que dans cette manifestation là il y a des gens qui ont un avis sur le voile ou sur la prostitution, qui vont se sentir plus inclus qu’ailleurs. Nous chez FièrEs, on a pas de position sur le sujet, c’est une position, c’est assumé, comme ça le débat reste possible. Les questions lesbiennes, trans, de toutes façons dans toutes les assos féministes "mainstream" faut toujours les remettre en avant, les râbacher… Personne ne nous exclut mais personne nous inclut de manière automatique en fait !

Vu à la manifestation féministe parisienne du 6 mars. Photo Marie Rouge

C’est difficile de prioriser les luttes, mais c’est clair [qu’un des sujets urgents] c’est clairement le changement d’état civil, démédicalisé libre et gratuit pour les trans. Les personnes trans sont non seulement discriminées mais aussi assassinées dans le silence le plus complet, et assassinées socialement également. Ensuite, la PMA, qui était dans le calendrier politique, et qu’on a plus parce qu’on a un gouvernement qui n’a juste pas de courage… On est quand même sous un gouvernement qui remet un ministère des droits des femmes associé à l’enfance et à la famille, ça dit quelque chose politiquement, c’est un message fort envoyé. On a l’impression que les droits des femmes sont un peu cosmétiques pour eux et qu’ils n’ont pas compris l’enjeu. D’être ramenées au rôle procréatif dans lequel on veut enfermer les femmes. Pour moi c’est vraiment un message politique qui veut dire qu’ils sont tout sauf féministes.»

«Tu ferais mieux de courir car j’ai mon gang de chattes/meufs». A la manifestation féministe du 6 mars à Paris. Photo Marie Rouge

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