“Kurdistan, la guerre des filles”, ce soir sur Arte : le combat caché des femmes kurdes

Leur lutte contre Daech a fait le tour du monde. Mais leur détermination ne date pas d'hier: depuis plusieurs décennies, nombre de militantes kurdes se battent pour une société égalitaire. Mylène Sauloy est partie en Irak et en Syrie prendre le pouls de leur projet révolutionnaire.

Par Marie Cailletet

Publié le 08 mars 2016 à 10h50

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h30

Elles sont devenues le visage de la lutte contre Daech. Kalach à l'épaule, treillis joliment accessoirisés de foulards bariolés, les combattantes kurdes sont celles qui font détaler les djihadistes de l'organisation Etat islamique. Et fantasmer les médias qui relatent à l'envi leurs hauts faits d'armes à Kobané la syrienne ou dans le Sinjar irakien, réduisant leur action à la lutte armée.

Mais, au-delà de leur expertise avérée de la guérilla, les Unités de défense féminines sont aussi les héritières, et les zélatrices, d'un mouvement de résistance, créé il y a près de quarante ans en Turquie autour de Sakiné Cansiz, cofondatrice du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). C'est le projet émancipateur de ce mouvement des femmes kurdes, cette utopie d'une société égalitaire, démocratique, multiconfessionnelle et multiethnique, son corpus idéologique et son histoire que dévoile Kurdistan, la guerre des filles, le film de Mylène Sauloy, diffusé par Arte. « Le côté spectaculaire a intéressé tout le monde, s'agace la documentariste. Mais personne ne s'est posé la question de savoir comment, dans ces pays musulmans, ces sociétés patriarcales où pas une femme ne sort au coin de la rue sans être accompagnée d'un homme, de telles brigades de combattantes pouvaient exister. C'est à croire que l'idée d'un potentiel bouleversement des valeurs fait peur. »

Rendre hommage aux militantes du PKK assassinées

Documentariste engagée, voilà plus de vingt ans que Mylène Sauloy interroge, de films en reportages, d'Amérique latine en Tchétchénie, la résistance des peuples opprimés. En 2003, lors d'un énième séjour dans le Kurdistan d'Irak où se sont réfugiés des milliers de combattants du PKK au lendemain de l'arrestation de leur leader, Abdullah Ocalan, et de sa condamnation à perpétuité, elle tombe par hasard sur des camps de femmes. Des Kurdes de Turquie mais aussi des Irakiennes, des Syriennes et des Européennes. « Je les savais très militantes, mais c'était autre chose de les voir construire une petite ville à flanc de montagne. Pour tout vous dire, j'étais assez perplexe sur la pérennité de cette expérience. » Elle y retourne en 2005 pour Marie Claire, y passe du temps, continue de documenter la tentative des Femmes libres du Qandil, une zone montagneuse située dans l'est de l'Irak, de faire émerger un autre modèle de société, féministe, paritaire, démocratique et écologique. De retour à Paris, elle tente, en vain, de monter un film. D'autres projets la happent, les images tournées dans le Qandil continuent de dormir.

L'assassinat à Paris, en janvier 2013, des militantes du PKK Sakiné Cansiz, Fidan Dogan (Rojbin) et Leyla Söylemez, sans doute commandité par les services de renseignement turcs, va réactiver, pour Mylène Sauloy, l'urgence à exhumer l'épopée des Femmes libres. « Rojbin était une amie. Elle faisait partie de ces Kurdes d'Europe qui rejoignent le Qandil parce qu'ils sentent qu'une partie de leur âme est là-bas. J'ai eu envie de leur rendre hommage. »

Elles ont tenu le siège et œuvré à la chute des djihadistes

Une révolution démocratique, laïque et féministe

Mais c'est au Kurdistan de Syrie, le Rojava, région de facto autonome depuis 2013, que Mylène Sauloy va prendre la mesure de cette révolution démocratique rêvée des années auparavant. Imaginez une région dirigée en pleine guerre civile sur le principe de l'égalité entre hommes et femmes, une société qui transcende les clivages communautaires, ethniques et religieux. « Le Rojava est l'aboutissement d'un projet de gouvernance sociale inédite, selon lequel il n'y aura pas de libération des Kurdes sans émancipation des femmes. Je pense que c'est une utopie possible, une autre façon de considérer le monde qui peut changer l'histoire du Proche-Orient si on lui laisse une chance de vivre, pourquoi pas de s'étendre », confie la réalisatrice.

Pas sûr, en effet, que les régimes autoritaires et rigoristes de la région voient d'un œil bienveillant cette révolution démocratique, laïque et féministe. Avant que d'essaimer, il faudra qu'elle survive à l'indifférence des Occidentaux, aux bombes turques. « C'est dommage, on n'était pas loin. Ces derniers temps, de nombreux politiques avaient pris position pour sortir le PKK des organisations terroristes. Une façon de reconnaître que, sur le terrain, ses militants sont en première ligne pour combattre Daech. Une grande partie de la solution passe par les Kurdes, mais on ferme les yeux sur les exactions d'Erdogan », conclut tristement Mylène Sauloy.

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