Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Climat

En Amérique, des enfants attaquent l’Etat parce qu’il soutient les combustibles fossiles

Au nom de la défense des générations futures et du droit à vivre dans un environnement non pollué, deux dizaines d’enfants des États-Unis ont porté plainte contre l’Etat. Ils lui reprochent de favoriser les combustibles fossiles. Le juge examine l’affaire ce mercredi 9 mars.

Le procès est inédit. Ce mercredi 9 mars 2016, 21 enfants et adolescents venus de plusieurs États états-uniens affronteront en justice l’État fédéral et les lobbies du pétrole et du charbon, qui le soutiennent. Le juge doit décider s’il accepte d’entendre la plainte des enfants ou s’il la considère irrecevable, comme le lui demandent leurs adversaires.

Les enfants ont déposé devant la Cour fédérale de district (le tribunal fédéral de première instance) de l’Oregon, une plainte contre l’administration Obama et neuf agences fédérales. Ils affirment bénéficier du droit constitutionnel fondamental d’être protégés des dangers causés par la pollution des gaz à effet de serre, et que leur gouvernement a l’obligation, de par la confiance que lui ont accordée les citoyens, de protéger l’atmosphère et le climat, qui sont indispensables à leur vie.

Le juge Coffin entendra les avocats du gouvernement des États-Unis et des lobbies de l’industrie extractive (pétrole, charbon, gaz), qui affirment l’irrecevabilité de cette plainte, et ceux des enfants, représentés par l’association Children’s Trust et le Dr James Hansen, climatologue et ancien chercheur de la Nasa, qui disent agir au nom des générations futures.

Écraser les revendications constitutionnelles des jeunes plaignants

L’industrie des combustibles fossiles a très vite compris les enjeux d’un tel procès. Elle s’est associée au gouvernement fédéral, le 13 janvier dernier, pour écraser les revendications constitutionnelles des jeunes plaignants. Ses trois lobbies ont demandé de prendre part au procès : l’American Fuel and Petrochemical Manufacturers, représentant ExxonMobil, BP, Shell, Koch Industries, et pratiquement toutes les autres raffineries et fabricants de produits pétrochimiques états-uniens, l’American Petroleum Institute, représentant 625 sociétés pétrolières et gazières, et la National Association of Manufacturers.

L’industrie fait valoir qu’une décision en faveur des enfants l’obligerait à une restructuration importante de son business model et risquerait d’invalider des milliers de contrats pour l’extraction et le développement des combustibles fossiles. L’avocat des associations professionnelles a confirmé que les trois lobbies, qui représentent presque toutes les entreprises de carburants fossiles aux États-Unis, parleraient « d’une seule voix » au procès. Le juge a accepté leur participation à la procédure.

Le Dr James Hansen, climatologue et ancien chercheur de la Nasa, et sa petite-fille Mary, l’une des plaignantes.

Le 15 janvier, deux jours après les lobbies industriels, le Centre juridique de la Terre, le Mouvement mondial catholique du climat (GCCM) et le Conseil du leadership des femmes religieuses (LCWR) ont déposé un mémoire d’amicus curiae (« amis de la cour ») soutenant les jeunes plaignants. LCWR compte plus de 40.000 membres. GCCM est un réseau international de plus de 250 organisations et personnalités catholiques, dont le pape François et les évêques. Le groupe catholique se fonde sur la récente encyclique du Pape, Laudato si.

La doctrine de la confiance publique

Un amicus curiae est une personnalité ou un organisme, non directement lié aux protagonistes d’une affaire judiciaire, qui propose au tribunal de lui présenter des informations ou des opinions pouvant l’aider à juger l’affaire. Contrairement, donc, aux lobbies de l’industrie, les groupes catholiques ne participeront pas réellement au procès. Mais leur soutien donne une dimension internationale à cette procédure.

Les enfants sont aussi soutenus par Michael MacCracken, directeur des programmes scientifiques de l’Institut pour le climat, un expert dont le témoignage avait servi de fondement à la décision de la Cour suprême dans un procès qui opposait plusieurs villes et États des États-Unis, dont le Massachussets, à l’Agence de l’environnement (EPA), et qui concernait déjà le changement climatique.

Dans leur argumentation, les jeunes demandeurs affirment que le gouvernement fédéral a violé leurs droits constitutionnels à la vie, à la liberté et à la propriété en permettant et en facilitant l’exploitation des combustibles fossiles. Les jeunes demandent donc au tribunal d’ordonner au gouvernement fédéral d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de redressement climatique fondé sur la science.

La plainte s’appuie sur une théorie juridique développée par Mary Wood, professeure de droit à l’université de l’Oregon, à partir de la doctrine de la « confiance publique » (public trust doctrine). C’est l’idée que les gouvernements doivent préserver et conserver certaines choses pour l’usage du public, comme les rivières, les mers et les bord de mer… Ce concept a été utilisé pour la première fois aux États-Unis par la Cour suprême en 1892 pour déclarer que les eaux navigables et les terres submergées soient conservées en « trust » par le gouvernement, qui doit les préserver pour ses citoyens.

Pour Mary Woods, « si les eaux navigables étaient cruciales pour les citoyens en 1892, alors, certainement, l’air, l’atmosphère, et les systèmes climatiques méritent aussi d’être préservés pour le public ».

Un plan national fondé sur les meilleures données scientifiques

Les enfants allèguent que le gouvernement fédéral, en favorisant le développement et l’utilisation de combustibles fossiles, ne respecte pas leurs droits constitutionnels. Pour eux, le gouvernement des États-Unis, qui reconnaît depuis plus de cinquante ans que le dioxyde de carbone (CO2) produit par la combustion des énergies fossiles provoque le réchauffement planétaire et que l’utilisation de ces combustibles déstabilise le système climatique, n’a pas mis en œuvre ses propres plans de stabilisation du climat. Au contraire, le gouvernement fédéral soutient activement la production de combustibles fossiles et leur consommation et donc, aussi, la pollution et le changement climatique. Les citoyens les plus jeunes et les générations futures des États-Unis auront à supporter les conséquences des dégâts produits par l’utilisation abusive des combustibles fossiles.

Quelques-uns des jeunes plaignants, en mars 2016

Pour Julia Ohlson, directeur exécutif de Children’s Trust, « ce procès demande au tribunal d’ordonner ce que l’industrie craint le plus : un plan national fondé sur les meilleures données scientifiques, pour assurer à nos enfants de pouvoir vivre dans un pays pourvu d’air pur et d’un climat sûr. Ces lobbies vont maintenant devoir affronter des preuves scientifiques dans une salle d’audience, devant un tribunal, et non pas dans les couloirs du Congrès, où leurs dollars de lobbying leur assurent de pouvoir influencer les décisions. Nous sommes convaincus que ces jeunes et notre équipe de scientifiques internationalement reconnus présenteront des éléments propres à justifier l’ordonnance, par le tribunal, d’un plan climat national ».

« Je pense que mon gouvernement a la responsabilité de nous protéger contre le changement climatique, car la Constitution nous donne le “droit à la vie, à la liberté, et à la poursuite du bonheur” », dit Victoria Barrett, 16 ans, l’une des plaignantes venue de Westchester, dans l’État de New York.

Fermer Précedent Suivant

legende