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Ce que la première version de la « loi travail » changeait pour Delphine, 42 ans, chef d’entreprise

La loi El Khomri donnera aux entreprises plus d’autonomie dans la modulation du temps de travail, une plus grande latitude de négociation avec les syndicats, et une meilleure anticipation du coût des licenciements.

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Publié le 08 mars 2016 à 18h48, modifié le 18 mars 2016 à 11h03

Temps de Lecture 5 min.

La ministre du travail Myriam El Khomri lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 8 mars.

Attention : cet article reflète le projet de loi dans sa première version, présentée en février, et non les modifications annoncées par Manuel Valls le 14 mars.

La semaine dernière, nous avons tenté de montrer les effets concrets de la réforme du code du travail engagée par le gouvernement sur un salarié « lambda », que nous avions baptisé Michel. Mais quels effets aurait cette réforme sur un entrepreneur ?

Pour le savoir, prenons un nouveau cas fictif (toujours non exhaustif), celui de Delphine. A 42 ans, cette femme a créé et dirige depuis cinq ans une PME de 55 salariés. Le scénario se place là encore dans l’hypothèse où le projet de loi sur la réforme du droit du travail serait voté dans sa version initiale.

1. Un accord de compétitivité « offensif »

2. Un référendum des salariés plutôt qu’un accord majoritaire

3. Des possibilités d’aménager le temps de travail

4. Des licenciements moins coûteux

1. Un accord de compétitivité « offensif »

L’entreprise de Delphine, qui a souffert comme beaucoup de la crise économique, renoue avec le succès. Elle vient d’être contactée par un grand groupe international pour un contrat énorme, mais à des conditions qui vont être difficiles à réaliser, sauf à modifier le temps de travail de ses employés. Il va falloir emporter l’adhésion de ceux-ci et convaincre les syndicats.

La loi El Khomri va venir en aide à la chef d’entreprise : jusqu’ici, en cas de menaces sur l’emploi, une entreprise pouvait signer avec ses salariés un accord de compétitivité pour diminuer temporairement les salaires ou augmenter le temps de travail. Désormais, grâce à la loi, cet accord peut également être invoqué dans les cas de conquêtes de nouveaux marchés ou d’important surcroît d’activité.

Autre nouveauté : si les syndicats, représentant plus de 50 % des salariés aux élections professionnelles, le signent, des salariés qui refuseraient de s’y plier pourraient être licenciés pour faute, et non plus licenciés économiques comme à l’heure actuelle. Ce qui signifie moins d’indemnités à payer.

2. Un référendum des salariés plutôt qu’un accord majoritaire

L’accord de compétitivité que Delphine voulait mettre en place rencontre une forte opposition des syndicats, qui refusent de le signer. Notre entrepreneuse est dans l’embarras : si elle ne parvient pas à renégocier le temps de travail dans son entreprise, elle ne tiendra pas le rythme de production imposé par son gros client.

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Seule solution : négocier un nouvel accord d’entreprise. Jusqu’ici, un accord ne pouvait être que plus favorable à l’accord existant au niveau de la branche d’activité (le commerce, les services, l’hôtellerie…). Avec la loi, ce n’est plus le cas, et Delphine peut négocier directement au niveau de son entreprise et en fonction de ses problématiques.

Sa marge de négociation est aussi plus large : avant la loi, une heure supplémentaire devait être majorée de 25 %. Mais Delphine a obtenu des syndicats une augmentation de seulement 10 %. Surtout, la « période de référence » pour le paiement des heures supplémentaires a été allongée : jusqu’ici, celles-ci devaient être réglées après chaque semaine, et au maximum, en cas d’accord, au bout d’un an. Désormais, cette période peut aller jusqu’à trois ans. De quoi refaire un peu de trésorerie.

Reste à obtenir l’accord des syndicats, plus difficile avec la loi, puisqu’il faut désormais qu’ils représentent au moins 50 % des salariés, contre 30 % auparavant. Dans l’entreprise de Delphine, une organisation, qui réunit la moitié des voix, est vent debout contre l’accord. Ce n’est donc pas gagné.

Mais là aussi, la loi va aider Delphine : désormais, il suffit de l’accord d’une ou plusieurs organisations représentant au moins 30 % des voix pour obtenir un référendum interne des salariés. Ce que préfère Delphine, certaine que ses employés sauront se ranger à ses arguments.

3. Des possibilités d’aménager le temps de travail

L’accord est validé ! Comme l’espérait Delphine, qui s’est appuyée sur un syndicat favorable à ses vues, les salariés ont ensuite approuvé, à bulletin secret, ses propositions. Elle va donc pouvoir mieux gérer le temps de travail de son personnel en fonction des commandes qu’elle reçoit.

Grâce à l’accord signé, Delphine peut demander à ses salariés de travailler plus, jusqu’à 46 heures par semaine, et durant un maximum de seize semaines d’affilée. Elle pourra plus facilement gérer sa surcharge de travail ainsi.

Elle peut également faire travailler plus longtemps les quelques apprentis mineurs qu’elle emploie, jusqu’à dix heures par jour. Auparavant, elle aurait dû obtenir l’accord de la médecine et de l’inspection du travail pour le faire. Désormais, il suffit de les informer.

Louis, un ami de Delphine, lui aussi chef d’entreprise, et qui doit souvent gérer des « coups de chaud » dans sa production, a utilisé une autre solution : grâce à un autre volet de la loi, et à des syndicats plus conciliants, il a pu proposer à ses salariés un passage au forfait jour, qui permet de fonctionner en nombre de jours travaillés par an et non en horaires hebdomadaires.

4. Des licenciements moins coûteux

L’accord d’entreprise est enfin en place. Mais la lutte aura été âpre, au point que quelques salariés se sont coupé de la direction, et ont des comportements que Delphine estime inadmissibles : refus de travailler, retards systématiques… Elle souhaite donc les écarter de ses effectifs, mais sait que leur licenciement risque d’être contesté aux prud’hommes.

Avant la loi, l’indemnité pour licenciement abusif était soumise à un « plancher » minimum, fonction de l’ancienneté dans l’entreprise, et qui pouvait monter bien plus haut, en fonction du jugement aux prud’hommes. En résultait une difficulté pour l’entreprise, forcée de « provisionner » des sommes en attendant de savoir ce qu’elle devrait finalement payer.

La loi inverse les choses en imposant désormais un plafond, qui va de trois à quinze mois de salaire. L’entreprise de Delphine sait donc à l’avance qu’elle n’aura pas à payer plus d’un certain montant, ce qui rend plus simple pour elle d’anticiper les licenciements.

L’entreprise de Louis, l’ami de Delphine, a de son côté des difficultés, et il doit licencier. Or sa société est une filiale d’un grand groupe international, qui va plutôt bien. Et avant la loi, il aurait donc risqué qu’un juge refuse de qualifier les licenciements auxquels il veut procéder d’« économiques ».

Désormais, ce n’est plus au juge de le trancher : il suffit de quatre trimestres de baisse du chiffre d’affaires, ou d’un trimestre de perte d’exploitation, pour pouvoir procéder à des licenciements économiques. On peut même invoquer une « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ».

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