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Terrorisme

En immersion à Molenbeek: le récit d'une journaliste infiltrée dans les milieux islamistes 

Le bar "Les Beguines", à Molenbeek, appartenait à Brahim Abdeslam, l'un des terroristes des attentats de Paris.

Le bar "Les Beguines", à Molenbeek, appartenait à Brahim Abdeslam, l'un des terroristes des attentats de Paris. - Emmanuel Dunand - AFP

Hind Fraihi, journaliste belge de confession musulmane, avait infiltré durant plusieurs semaines en 2005 les milieux islamistes, qui prospéraient déjà à l'époque dans la commune de Molenbeek, en Belgique. Dix ans après, son livre d'enquête traduit en français est publié ce jeudi en France.

Un sentiment de frustration. C'est ce qui prédomine chez Hind Fraihi, journaliste belge, à l'évocation de la commune bruxelloise de Molenbeek, qui a vu grandir plusieurs terroristes impliqués dans les attentats de Paris. "Il y a dix ans, lorsque j'ai infiltré les milieux radicaux de Molenbeek, le terreau islamiste existait déjà. On m'a dit que j'exagérais, que je faisais du sensationnalisme, et rien n'a été entrepris pour endiguer le phénomène".

Ce jeudi, son enquête datant de 2005, qui décrit une "enclave musulmane au coeur de la Belgique", paraît en France (*) après avoir été traduite du flamand, permettant de mieux comprendre la genèse d'un phénomène stupéfiant: comment une telle commune a-t-elle pu devenir un foyer jihadiste?

Un "village méditerranéen sans le soleil"

"Le Maroc est loin d'ici, mais Molem' (le surnom de Molenbeek, Ndlr) se trouve au centre de la Belgique, et attire les Marocains de l'ensemble du pays", écrit dans son ouvrage Hind Fraihi, elle-même d'origine marocaine. Une identité maghrébine qui n'a pas changé dix ans après, selon elle:

"C'est une commune dans le centre de Bruxelles, très dense, jeune et dynamique, mais c'est aussi une enclave, où une part de la population est déconnectée. La plupart des familles se connaissent, et beaucoup ne se sentent pas citoyens belges. Ils regardent la télévision arabe, et s'intéressent à la politique au Moyen-Orient, pas en Belgique."

"Même si on a un travail, on reste différent"

Cette déconnexion s'est traduite pour une minorité d'entre eux par une radicalisation au cours des dernières années, "par manque d'actions politiques de prévention, et de perspectives données à la jeunesse". Pourtant, la journaliste estime que le chômage et la pauvreté, qui touchent de plein fouet Molenbeek, ne sont pas les seuls facteurs de la radicalisation. 

"Certains jeunes diplômés, issus d'un milieu moderne et progressiste, se radicalisent aussi, sûrement parce qu'ils n'ont pas le sentiment d'être acceptés. Même si on a un travail, on reste un étranger, un musulman pour les autres. On est "différent", notamment depuis le 11-septembre."

L'instrumentalisation de la violence subie par des peuples comme les Palestiniens et les Syriens achève d'entraîner ces jeunes dans une nébuleuse extrémiste. "Nous sommes dans un choc quotidien à voir les attentats se succéder au Moyen-Orient dans l'indifférence totale. Cela génère un sentiment d'injustice qui peut parfois être utilisé à tort", explique-t-elle.

Les mosquées clandestines balayées par Internet

Dans son livre, Hind Fraihi, qui s'était faite passer à l'époque pour une étudiante en sociologie et avait joué sur ses racines marocaines pour ne pas éveiller les soupçons, raconte comment elle a pu se rendre dans diverses mosquées clandestines de la ville, "cachées derrière des portes de garage".

"A l'époque, on y trouvait des fascicules extrémistes ou des prêches qui prônaient ouvertement la violence contre les chrétiens ou les juifs, et pourtant, les autorités publiques n'ont rien fait pour les stopper", regrette-t-elle. "Aujourd'hui, c'est trop tard, les méthodes ont changé. Le recrutement se fait sur Internet, de façon plus accessible, et a disparu des mosquées cachées. C'est encore plus dangereux, car plus difficile à stopper."

Les musulmans pris dans un étau

Au détour de ses pérégrinations dans Molenbeek, la jeune femme a discuté avec de nombreux habitants d'origine maghrébine: des femmes cachées sous leur niqab, des commerçants halal, des jeunes délinquants, des imams progressistes. Un constat s'impose selon elle, constat qu'elle a réitéré en retournant à Molenbeek après les attentats de novembre.

"La population qui vit un islam modéré, et qui constitue la majorité des habitants, souffre doublement. Elle est prise en otage entre les islamistes radicaux qui prônent la violence, et les extrémistes de l'extérieur racistes et islamophobes. Tant que l'on n'acceptera pas ces musulmans sans leur donner la sensation qu'ils sont différents, la rupture s'accentuera."

(*) "En immersion à Molenbeek", Hind Fraihi, Ed. La Différence