Documentaire sur Histoire à 20 h 40
En 1943, 86 hommes et femmes juifs ont été sélectionnés et tués par des nazis à des fins d’expérimentation médicale (vendredi 11 mars, à 20 h 40, sur Histoire).
Peu après la libération de Strasbourg, en novembre 1944, on demanda à Léonard Singer de sortir des cadavres du sous-sol de l’institut d’anatomie de la Reichsuniversität de Strasbourg. Celui qui deviendra professeur de psychiatrie décrit, des années plus tard, devant la caméra, ce qu’il a vu : des quartiers de corps humains nageant dans le formol. Qui étaient ces personnes ? Comment leurs corps étaient-ils arrivés là ?
Pendant longtemps, seul le nom de Menachem Taffel fut connu. Le matricule 107 969 tatoué sur son bras gauche permit de l’identifier. Les réalisateurs Emmanuel Heyd et Raphaël Toledano racontent comment l’historien et journaliste allemand Hans-Joachim Lang a retrouvé le nom des 86 en 2003.
L’anthropologue SS Bruno Beger fut envoyé à Auschwitz en juin 1943 pour y sélectionner les détenus qui feraient l’objet d’expérimentations médicales
Vivant à Tübingen, celui-ci découvre dans les années 1990 que le professeur August Hirt a demeuré dans sa ville entre 1944 et 1945, après avoir quitté Strasbourg, où il enseignait l’anatomie. Le professeur Hirt, gueule cassée de la Grande Guerre, terrorisait ses étudiants alsaciens. Lors de l’inauguration de la Reichsuniversität, le 23 novembre 1941, il fit la rencontre de Wolfram Sievers, l’un des directeurs de l’Ahnenerbe, un institut de recherche dont le but était de prouver la validité des théories nazies sur la supériorité des « Aryens ». Deux semaines plus tard, l’assistant d’Hirt, l’anthropologue SS Bruno Beger, proposa à Sievers « l’acquisition de crânes juifs à visée de recherche anthropologique ».
Beger fut ensuite envoyé à Auschwitz en juin 1943 pour y sélectionner les détenus qui feraient l’objet d’expérimentations médicales. Le départ d’Auschwitz eut lieu le 30 juillet 1943, les 86 (57 hommes et 29 femmes) arrivèrent au Struthof, en Alsace, trois jours plus tard et furent gazés.
Les cadavres furent ensuite conduits à la Reichsuniversität. Un assistant du professeur Hirt, Henri Henrypierre, comprit que la cause de leur mort était criminelle : il releva secrètement les matricules tatoués sur leurs avant-bras. Cette liste permit à Hans-Joachim Lang de retrouver leurs noms.
Filmé assis sur une chaise dans une pièce sombre d’un bloc du camp d’Auschwitz, l’historien allemand raconte comment il est allé à la rencontre des descendants de certaines victimes. L’homme que l’on devine tourmenté finit par livrer ses interrogations : fallait-il tout leur dire au risque de remuer le couteau dans la plaie ?
Montage astucieux
Sa pudeur et son débit lent font écho aux plans que proposent Emmanuel Heyd et Raphaël Toledano : leur caméra s’est arrêtée là sur une fenêtre d’un bloc, ici sur un corridor froid. Les silences et les fonds noirs ponctuent avec justesse les précisions qu’il apporte sur ce crime. L’absence de narration est compensée par un montage astucieux. En réussissant à créer une tension entre les images et les propos, les réalisateurs offrent un point de vue cinématographique que l’on retrouve rarement dans les documentaires.
Il faut attendre le générique de fin pour découvrir les noms de ceux qui ont été interrogés. Sont dévoilées l’identité des historiens, des acteurs de la mémoire, mais aussi des prisonniers du Struthof qui ont survécu. Cette subtile mise en abyme conclut ce film dont le message est évident : si l’horreur des crimes nazis est indépassable, c’est aussi parce que rien n’est plus tragique qu’un mort sans nom.
Le Nom des 86, d’Emmanuel Heyd et Raphaël Toledano (Fr., 2014, 55 min). Vendredi 11 mars, à 20 h 40, sur Histoire.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu