Les "pays sûrs": une façon de contourner le droit international sur les réfugiés?

Un enfant marche dans une flaque boueuse dans un camp de fortune installé à la frontière greco-macédonienne, près du village d'Idomeni

© SAKIS MITROLIDIS - AFP

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Par Sarah Hammo avec Sandro Calderon

L’Union européenne multiplie les initiatives pour freiner l’arrivée de réfugiés sur son sol. Depuis ce lundi, un accord est en négociation avec la Turquie. Moyennant une série de contreparties, Ankara est prête à reprendre à l’avenir toutes les personnes arrivées illégalement sur les îles grecques, y compris les réfugiés syriens. Ces expulsions se baseraient sur un accord de réadmission signé entre la Turquie et la Grèce.

Mais ce plan inquiète l’ONU et les ONG. Ce jeudi, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme a jugé "illégales" les expulsions collectives de migrants figurant dans ce projet d’accord. Pourtant, à l’issue du sommet de ce lundi, la Commission était très clair : la légalité de ce plan est garantie puisque la Grèce considère la Turquie comme un pays d’origine sûr. Ce serait là, d'après la Commission, une base suffisante pour pouvoir renvoyer des réfugiés vers la Turquie.

La Turquie remplit-elle les critères d'un pays sûr?

Mais quelle est la définition d’un pays sûr? Au sein de l’Union européenne, ce concept est basé sur la Convention de Genève et sur une directive européenne sur les procédures d’asile. Selon un document de la Commission, un pays est considéré comme sûr lorsqu’un système démocratique y est mis en place et que, de façon générale et permanente, il n’y a ni persécution, ni torture, ni traitement ou punition inhumains ou dégradants. Il faut aussi qu'il n'y ait pas de menace de violence et pas de conflit armé.

Actuellement, la très délicate question est donc de savoir si la Turquie répond bien à tous ces critères. Et la réponse n'est pas claire, un débat juridique est en cours sur cette question. Dans la société civile et parmi les eurodéputés, on dénonce le fait que la Commission européenne balaie d'un revers de la main les actes et les mesures discriminatoires à l’encontre des minorités ethniques et religieuses dans sa définition d’un pays d’origine sûr. Une lacune qui permet dans les faits à la Grèce de placer la Turquie dans sa liste des pays sûrs.

La Commission européenne reconnaît effectivement des cas de discrimination et de violation à l'encontre notamment des minorités, dont les Kurdes, ou à l'encontre des journalistes par exemple. Mais elle considère néanmoins que, du fait de l'adhésion de la Turquie à la Convention européenne des droits de l'homme, la possibilité de recours en justice garantit l'efficacité du système de sanctions contre les violations de ces droits.

Pas (encore) de liste européenne des pays d'origine sûre

Aujourd'hui, douze États membres sur 28 ont une liste nationale de pays sûrs. Mais on note de grandes différences entre pays. La liste belge par exemple compte sept pays là où l'irlandaise n'en compte qu'un seul. Le Royaume-Uni compte 26 pays, mais dont certains sont sûrs uniquement pour les hommes...

Une liste commune se fait attendre depuis des années. La Commission européenne y pense depuis la fin des années 90, mais les Etats membres ont bloqué jusqu’ici. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés s'en inquiète aussi. Cet organe de l'ONU craint de voir les demandeurs d’asile de pays jugés "sûrs" automatiquement rejetés sans avoir la possibilité de se défendre.

Mais la Commission n'a pas pour autant renoncé à son projet de liste européenne de pays sûrs. La crise des réfugiés a même incité la Commission à relancer l'idée. Elle a présenté en septembre dernier une proposition de règlement qui établit sa fameuse liste. On y retrouve sept pays : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Kosovo, le Monténégro, la Serbie et la Turquie.

Une manière de rejeter un maximum de demandes d'asile?

Si cette liste est considérée par la Commission comme un outil pour répondre à la crise des réfugiés, c'est qu'elle est censée rendre les régimes d'asile plus efficaces au niveau national. L'inscription d'un Etat sur une liste de pays sûrs impliquerait l'obligation pour les États recevant une demande d'asile de la traiter de manière accélérée, tout en assurant des évaluations sur base annuelle individuelle au cas par cas.

Les ONG craignent qu'en réalité la Commission ait comme objectif de rejeter un maximum de demandes d'asile plutôt que d'accueillir dignement les réfugiés comme l'impose le droit international.

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