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Au Sénégal, l’éducation pour tous... en vidéo

L’association Ecoles au Sénégal a filmé et mis en ligne gratuitement les programmes de troisième et de terminale en format cours.

Par  (Contributeur Le Monde Afrique, Dakar)

Publié le 10 mars 2016 à 18h14, modifié le 11 mars 2016 à 12h54

Temps de Lecture 6 min.

Chérif Ndiaye, fondateur d'Ecoles au Sénégal.

Sur son grand tableau blanc, Chérif Ndiaye note au feutre le résultat d’un rapide calcul : 3 025 543. C’est le nombre d’élèves que compte le Sénégal, des classes de la petite enfance jusqu’au baccalauréat. Des jeunes qui ne le connaissent pas, mais dont il s’est promis avec acharnement d’améliorer l’éducation, gratuitement, grâce à un peu d’ingéniosité et aux possibilités qu’offre Internet.

Dans son bureau qui lui sert aussi de salle de classe, Chérif a le phrasé précis et didactique d’un instituteur. Pourtant, il n’en est pas un. Son métier à lui, c’est « entrepreneur social ». En 2011, il a lancé Ecoles au Sénégal (EAS), une association à but non lucratif dont l’objectif est de mettre librement à disposition l’intégralité des programmes scolaires en vidéo sur Internet. Sa façon de lutter contre les inégalités dans l’enseignement pré-baccalauréat.

« Immortaliser un savoir-faire »

A l’origine directeur de Sign Up, une agence de conseil en communication, il s’est retrouvé en difficulté, il y a cinq ans, pour recruter du personnel qualifié. « Au Sénégal, quand tu cherches un bon développeur web, un bon financier ou un bon manager, tu n’en trouves pas, affirme-t-il. Ceux qui existent sont recrutés par les grandes boîtes. Dès lors, les PME et les start-up se retrouvent sans personnel compétent, car l’éducation ne répond pas aux besoins du marché du travail. »

En se penchant plus avant sur la question, il réalise que le problème est plus vaste que les seules failles d’orientation. Avec seulement 31,6 % de réussite au bac en 2014, des centaines de fraudes découvertes au concours de recrutement des enseignants et un terrible déséquilibre éducatif entre Dakar et les régions, l’éducation sénégalaise se porte mal. « Quand un pays recrute des vacataires sans formation pour remplacer les enseignants, tolère des classes à plus de 60 élèves et ne lutte pas efficacement contre le décrochage scolaire, il ne faut pas s’étonner des échecs et des disparités entre les élèves », s’offusque Chérif.

En 2011, il décide de récupérer auprès du ministère de l’éducation l’intégralité des programmes scolaires de la 6e à la terminale. Il les numérise et propose les PDF en téléchargement libre sur le site d’Ecoles au Sénégal, fraîchement créé. Mais une année plus tard, au moment du bilan, il se rend compte que la sauce ne prend pas. Son site n’a que peu de visites. « Les jeunes ne veulent pas lire des centaines de pages de cours numérisés, comprend-t-il. Ils préfèrent apprendre par vidéo sur YouTube ou les réseaux sociaux. »

Changement de stratégie. En 2013, il engage trois professeurs de mathématiques. Il les filme en train de faire cours devant son tableau blanc ou directement dans leur salle de classe de 3e et de terminale. Il refond le site qui ne proposera désormais que des vidéos courtes de plusieurs leçons, suivies d’exercices corrigés. « Nous avons recruté des enseignants de qualité issus d’écoles publiques réputées, explique-t-il. Notre ambition était à la fois de montrer aux élèves, aux parents et aux autres enseignants un exemple de cours clair et structuré, tout en immortalisant un savoir-faire qui se perd dans l’enseignement public. »

« Fierté et reconnaissance »

Au départ, le projet est considéré avec méfiance. « Les enseignants se demandaient ce qu’ils gagneraient à diffuser leur savoir en ligne, dit Chérif. C’est pourquoi nous avons dû les rémunérer. Mais après être passés devant la caméra, et avoir été remarqués sur Internet par leurs élèves, ils en tiraient une fierté et une reconnaissance difficile à trouver en classe. » Le bouche-à-oreille faisant son œuvre, ce sont bientôt d’autres enseignants, intrigués par le projet, qui demandent à Chérif s’il peut filmer leur cours.

« Nous sommes passés d’une équipe de huit personnes, dont trois professeurs, à une équipe de treize avec un prof de philo, un prof de français et un prof d’histoire-géographie. » Ce qui permet à Ecoles au Sénégal de couvrir l’intégralité des cours de terminale, toutes séries confondues, ainsi que le programmme de 3e en mathématiques, sciences de la vie et de la terre et physique-chimie. La plupart des cours sont préparés et tournés dans le bureau de son association, située dans l’incubateur CTIC, au centre-ville de Dakar. « Nous réalisons les vidéos entre 18 heures et 22 heures, quand les professeurs ne sont plus sous contrat avec l’enseignement public, poursuit Chérif. Et puis tourner le soir permet de limiter le bruit des voitures qui circulent sous nos fenêtres. »

En 2013, EAS a remporté le prix de la Fondation France Télécom pour le numérique, qui lui a permis de lever ses premiers fonds. « Faire tourner la plate-forme, coûte chaque année entre 35 millions et 40 millions de francs CFA [53 000 à 76 000 euros], précise Chérif. J’utilise pour cela l’intégralité des bénéfices de ma société Sign Up. Mais si l’on veut mettre en ligne tous les programmes à l’horizon 2017, il va falloir un investissement plus conséquent. »

Chérif n’est pas avare d’ambition pour son « bébé » qu’il espère voir grandir vite : « En ce début d’année, nous avons ouvert une filiale en Guinée pour, de la même manière, mettre en images les programmes guinéens, avec des professeurs locaux. Nous sommes aussi en train d’identifier des partenaires stratégiques au Maroc. » Sauf que, cette fois-ci, pas d’association à but non lucratif. « Ce sera des entreprises à fort impact social mais avec des modèles économiques viables, explique-t-il. De la sorte, j’espère pouvoir réaliser mon rêve de mettre en vidéo l’intégralité des contenus éducatifs africains à l’horizon 2020, dans toutes les langues majeures du continent. »

Geste primordial

En attendant, Chérif Ndiaye a déjà gagné quelques batailles. Un partenariat avec la Direction de l’alphabétisation et des langues nationales (DALN), un soutien financier du groupe d’écoles privées ISM, l’intégration du projet dans le prestigieux lycée Prytanée militaire de Saint-Louis, le prix du meilleur entrepreneur social sénégalais de l’année 2014 et prochainement, la diffusion de ses vidéos à la télévision. « Ce sera probablement sur une chaîne du groupe TFM de Youssou N’Dour avec lequel nous négocions, s’avance Chérif. Il projette d’ouvrir quatre nouvelles chaînes, ce qui veut dire qu’il y aura de la place pour du nouveau contenu. » Un projet qui l’enchante : la télévision ayant encore une pénétration bien plus importante qu’Internet dans les foyers sénégalais.

Avec plus de 200 000 vues sur YouTube depuis 2013, Ecoles au Sénégal commence aussi à intéresser le ministère de l’éducation. « Le ministère n’est pas aussi impliqué que je le souhaiterais, estime Chérif, mais il nous a envoyé l’été dernier quatorze inspecteurs d’éducation pour valider nos contenus et nous remettre un rapport définissant les axes à améliorer. »

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La réussite dont Chérif est le plus fier est pourtant d’un montant modeste : « Un soir, un père a appelé pour savoir qui nous étions et ce que nous faisions. Il avait vu son fils réviser – et réussir – son bac en regardant nos vidéos. Il ne comprenait pas que la plateforme soit gratuite. Il nous a promis un don. » Deux mois plus tard, le père, qui travaille comme barman dans un hôtel, a déposé dans les bureaux d’Ecoles au Sénégal une enveloppe de 50 000 francs CFA (76 euros). « La somme peut paraître dérisoire, poursuit Chérif, mais ce geste a été primordial. Ce monsieur avait compris l’importance de notre projet pour la réussite de son enfant. Depuis, je ne peux plus imaginer un seul instant abandonner mon projet. Ce serait trahir cette confiance. » 

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