Claudia Cardinale dans La Fille à la valise, de Valerio Zurlini (1961)
Prod DB-Titanus / DR
LA FILLE A LA VALISE (LA RAGAZZA CON LA VALIGLIA) de Valerio Zurlini 1961 ITA
avec Claudia Cardinale
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Claudia Cardinale dans La fille à la valise, de Valerio Zurlini (1961).

Prod DB-Titanus

C'était un autre temps. À Rome, sur la via Veneto, un prince en exil pouvait séduire Jayne Mansfield sous l'oeil amusé de son gigolo de mari et l'objectif allumé de dizaines de paparazzis, et le casting royal de Cléopâtre partager champagne et ragots, jusqu'au bout de la nuit, avec les interprètes d'Antonioni. Liz Taylor croisait Alain Delon, puis dînait avec Kirk Douglas.

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La dolce vita n'était pas qu'un film, mais un art de vivre délicieusement décadent, infiniment classe. Sollicitée par Visconti pour être la frondeuse Angelica du Guépard, Claudia Cardinale répondait simultanément à l'appel de Fellini, qui voulait en faire sa muse de Huit et demi. "Nous étions en 1962, se souvient-elle. Federico et Luchino ne souhaitaient pourtant pas me partager."

Teinte en blonde, Claudia tourne de jour pour le premier dans les décors de Cinecittà. Chevelure de jais, elle évolue pour le second de nuit, sous les ors des palais siciliens. "Visconti, c'était le théâtre, explique la comédienne. Tout, jusqu'au plus petit battement de cil, était écrit. Avec Fellini, pas de scénarios. L'improvisation. Mais la même volonté de nous emmener là où il l'avait décidé."

Le maestro, premier cinéaste italien à ne pas avoir fait doubler Claudia, dont la voix était jugée trop rauque, joue avec elle au magicien: "Fellini ne m'a rien fait comprendre. On allait dans sa voiture, tous les matins, jusqu'à la plage et là, il s'ouvrait et moi, j'écoutais." Mais si "Fede" l'enchante, c'est "Luca" qui la transporte et la discipline: "Visconti, qui pouvait être d'une grande méchanceté, m'adorait. Il m'avait comprise et disait que j'avais l'air d'une chatte mais que j'étais une tigresse. C'était un homme d'un charisme, d'une élégance et d'une culture extraordinaires."

Il lui apprend à se déplacer face à la caméra et à démentir avec ses yeux ce qu'exprime sa bouche. Apporte technique et profondeur à cette splendeur farouche... Un demi-siècle plus tard, Claudia Cardinale n'a plus 30 ans, le bel âge des femmes. Celui où elle affolait les mâles du monde entier en brûlant la pellicule de Sergio Leone et en faisant jeu égal avec ses partenaires masculins. Mais elle n'a rien perdu de sa superbe, et sa voix de gorge est toujours l'un de ses attraits. Elle naît Claude Cardinale, à la Goulette en Tunisie, la veille de la Seconde Guerre mondiale, d'un père ingénieur à la Compagnie des tramways et d'une mère au foyer.

"Dans une cage dorée"à Rome

Premiers souvenirs, entre rires et larmes, d'un soldat américain l'ayant prise dans ses bras, lors du débarquement allié. Premières leçons de tolérance, sur les rivages d'une Méditerranée aux senteurs de jasmin et de bougainvilliers: "À la Goulette, j'ai appris le respect pour les religions et les races différentes."

Auprès de sa soeur Blanche, Claude pratique aussi le volley et le basket, faisant honneur à un prénom cachant sa féminité: "J'étais sauvage. Les garçons ne pouvaient ni me parler ni me toucher. En vertu de quoi, ils couraient après moi."

Accro au cinéma, fantasmant sur Brando et Bardot, la jeune fille, repérée dans un documentaire où elle apparaît voilée, est engagée en 1956 pour un petit rôle, auprès d'Omar Sharif, dans Goha. Spectatrice, également, de l'élection de la plus belle Italienne de Tunisie, Claude est entraînée sur scène et remporte les suffrages du jury. Invitée, avec sa mère, au Festival de Venise, Cardinale y gagne ses galons sur des malentendus: "Habillée à l'africaine et me promenant sur la plage du Lido en bikini, je ne passais pas inaperçue."

Revenue au pays, un événement bouleverse sa vie. Violée par un Français, Claude tombe enceinte. Au même moment, Mario Monicelli se met en quête de la Tunisienne qui vient, à Venise, de faire sensation. Aussitôt, Cardinale se rend avec son père à Rome: "Si j'ai fait du cinéma, avoue-t-elle, c'est pour me rendre indépendante. Sans le fils que j'attendais, je n'aurais peut-être pas fait ce choix."

Devenue Claudia et jouant pour son premier film aux côtés de Vittorio Gassman, elle aborde le tournage du Pigeon dans un état second, avant de signer un contrat avec l'homme qui l'a fait venir en Italie, Franco Cristaldi, et sa compagnie, la Vides. Liée pour sept ans, elle y restera dix-sept: "Rétrospectivement, j'ai été conne. J'étais payée comme une employée alors que, dès le début, ça a marché fort. Je ne pouvais ni sortir, ni me maquiller à ma guise, ni me marier! Je vivais dans une cage dorée..."

Une égérie en Italie

S'il prend en charge l'accouchement de Claudia, Cristaldi exige que son enfant passe, aux yeux de tous, pour son frère. L'actrice donne le change dans un métier qui l'accapare et lui sert de thérapie: "Le cinéma m'a sauvée. Quand tu ne parles pas, le cinéma t'aide à t'ouvrir et à faire sortir ce que tu as en toi en utilisant les rôles qu'on t'offre."

Cardinale fait alors feu de tout bois et suscite dès 1959, et Meurtre à l'italienne, une critique enthousiaste d'Alberto Moravia. D'autres auteurs suivent qu'elle va servir sur grand écran, de Malaparte pour La peau, à Elsa Morante dans La storia. "Je suis devenue, pour les intellectuels italiens, une sorte d'égérie", constate sans vanité Claudia qui entame, alors, une période bénie.

Enchaînant films d'auteur et divertissements de qualité, elle se fait connaître en France, en 1962, avec Cartouche. Mais c'est en Italie qu'elle découvre véritablement son métier auprès de Bolognini, qui lui fait prendre Le mauvais chemin, avant de la faire tourmenter Le bel Antonio. Intuitive, à l'écoute et forte, Cardinale suscite l'admiration des cinéastes les plus exigeants. "Elle est fascinante et têtue", concède Visconti. "Claudia est plus disciplinée qu'un soldat", renchérit Pietro Germi.

Elle-même s'est fixé une règle: "Mon travail, c'est mon travail, ma vie, c'est ma vie." Mais la coupure est-elle si facile à opérer? "Une seule fois, je me suis laissé déborder, avec La fille à la valise. J'étais tellement devenue le personnage qu'à la fin du tournage, je me suis enfermée chez moi une semaine pour me retrouver."

Dirigée avec sensibilité par Zurlini, Claudia devient avec ce drame, en 1961, "la petite fiancée de l'Italie". Quatre ans plus tard, grâce au troublant Sandra, de Visconti, la mue a lieu, faisant de "la" Cardinale une grande tragédienne. Entretemps, Hollywood la réclame et Claudia s'y installe. Mais elle rejette le star system et rencontre, de Peter Sellers qu'elle juge "sinistre", à Rita Hayworth, dont le déclin l'attriste, une belle brochette de désaxés.

Une battante à Hollywood

"Ce métier, c'est du cannibalisme, reconnaît-elle; si tu n'es pas assez fort, tu te fais bouffer." Aussi tient-elle tête à Richard Brooks, qui la veut nue pour une scène des Professionnels et se heurte à son refus: "Je ne supporte pas de vendre mon corps. Il faut préserver le mystère. Dans Il était une fois dans l'Ouest, lorsque Henry Fonda me fait l'amour, je ne me dénude pas. Et pourtant, c'est sexy, non?"

Qui pourrait la contredire? Certainement pas Leone, qui la magnifie dans son univers d'hommes. Ni Burt Lancaster, par deux fois son partenaire, qui, la voyant effectuer elle-même ses cascades, lui lance: "De toute façon, tu n'es pas une femme, tu es un mec!"

Dans ces moments-là, Claude rejoint Claudia. La battante qui, lors du tournage en Amazonie de Fitzcarraldo, est l'une des rares à ne pas sombrer face à une armée décimée de machos. L'expérience, au début des années 1980, laisse à la comédienne un souvenir impérissable. Comme si, des épreuves traversées, les plus rudes n'étaient pas physiques mais morales. À l'image de celle survenue en 1973 lorsque Claudia, déjà mariée à Cristaldi, s'éprend de Pasquale Squitieri. L'homme, figure montante du cinéma italien, l'aide à se libérer de l'emprise de son pygmalion.

Boycottés par l'industrie, liguée contre eux par Cristaldi, Claudia et Pasquale font des films confidentiels, ont une fille et savourent, amers, une liberté chèrement acquise. D'autant que l'actrice doit relever un autre défi: "Passée la quarantaine, il faut choisir, très vite, des personnages différents pour ne pas être tributaire d'une image. Il faut anticiper!" Elle accepte, ainsi, de se montrer vieillie dans La storia et Mayrig, où, victime de l'Histoire, la comédienne révèle une puissance émotionnelle rare.

Avant de renouer, en 1997, avec ses racines orientales dans Sous les pieds des femmes. Et qu'importe si ceux qui, désormais, la dirigent n'ont pas le charisme de Fellini ou de Visconti; Claudia ne songe qu'au lendemain, acceptant la mission de l'Unesco qui en fait son ambassadrice pour les droits des femmes, et découvrant avec le théâtre de nouvelles joies. Comme si la plus française des Italiennes avait depuis bien longtemps trouvé sa voie. "Gamine, glisse-t-elle, je voulais faire le tour de l'Afrique. Actrice, j'ai fait le tour du monde. Il n'y a pas de plus belle aventure que le cinéma."

1938: naissance à la Goulette, en Tunisie, de Claude Cardinale, d'origine sicilienne, mais de culture française.

1958: vrais débuts au cinéma de Claudia, en Italie, dans Le pigeon, aux côtés de Gassman et de Mastroianni.

1963: consécration de l'actrice qui tourne, en même temps, Le guépard et Huit et demi, pour Visconti et Fellini.

1973: pour le cinéaste Pasquale Squitieri, Claudia quitte son producteur et mari Cristaldi, ainsi que la Vides qui l'emploie.

1981: Fitzcarraldo, de Herzog, marque un nouveau départ pour la star qui va alterner films intimistes et grand public.

1958: Le pigeon (Monicelli)

1960: La fille à la valise (Zurlini)

1961: Le mauvais chemin (Bolognini) Cartouche (de Broca)

1963: Le guépard (Visconti), Huit et demi (Visconti)

1965: Sandra (Visconti)

1966: Les professionnels (Brooks)

1968: Il était une fois dans l'Ouest (Leone)

1974: Violence et passion (Visconti)

1981: Fitzcarraldo (Herzog)

1982: Le ruffian (Giovanni)

1991: Mayrig (Verneuil)

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