Nadia Remadna, l'amazone des territoires perdus

La manifestation Debout les mères a lieu ce dimanche. Portrait de la fondatrice de la Brigade des mères, auteur de "Comment j'ai sauvé mes enfants".

Par Isabelle Kersimon

Nadia Remadna, auteur de
Nadia Remadna, auteur de "Comment j'ai sauvé mes enfants" et fondatrice de la Brigade des mères. © AFP PHOTO

Temps de lecture : 6 min

Née à Créteil, petite dernière d'une fratrie de cinq, orpheline de mère à l'âge de deux ans, Nadia grandit à Champigny-sur-Marne en région parisienne et, surtout, dans le jardin du pavillon familial, comme une fleur sauvage éprise d'air libre. Un jour, son père, compagnon ferrailleur kabyle que ses enfants surnomment « 22, v'la les flics » à cause de son autoritarisme et de sa psychorigidité, décide de les arracher à ce pays qu'il s'était choisi, mais qu'il ne comprend et n'approuve pas : ses filles n'épouseront pas des Français. « Dites au revoir à la France », leur déclare-t-il un jour d'été, comme pour un départ en vacances. Direction l'Algérie. Elle a treize ans, ne parle pas l'arabe et passera les douze années suivantes dans les montagnes kabyles.

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Elle vit cloîtrée dans le village paternel où les femmes ne sortent pas, où les filles ne vont pas à l'école. Son père a peint les vitres de la maison pour que nul ne les aperçoive ; alors, Nadia compte les portes et rêve à son pays, « le pays de la liberté ». Elle grandit entre le linge et les casseroles, des cousins défilent pour demander sa main et renoncent quand ils découvrent qu'elle a « la nuque raide ». Le jour de l'Aïd, l'année de ses vingt-cinq ans, elle parvient à s'enfuir grâce à Rachid, le fils du facteur, qui l'aide à obtenir de précieux sésames pour voyager jusqu'à Alger et, de là, rejoindre sa terre natale. Au taxi qui l'emporte et s'exclame que son père va la tuer, elle rétorque : « Ça fait dix ans qu'il m'a tuée. »

Fugueuse obstinée, volontaire et lumineuse – son regard toujours juvénile brille souvent d'une lueur joyeuse –, la « fille de France » travaille d'arrache-pied, se marie, donne naissance à quatre enfants, puis divorce pour échapper, une nouvelle fois, à la violence. En sauvant aussi, cette fois, ses enfants. Mère protectrice, Nadia est à cheval sur les principes républicains, d'autant que l'instruction est « le seul héritage » qu'elle pourra offrir à sa descendance. Représentante de parents d'élèves puis médiatrice scolaire, elle est aux premières loges. Et quand elle voit les femmes tomber sous la loi « machiste intégriste » qui règne dans les « quartiers », elle sait que leurs enfants tombent avec elles. Elle sait aussi que pour ces femmes, c'est la double peine : « C'est toujours la faute des mères ! On doit toujours prouver plus que les autres. » Alors, en juin 2014, elle crée la Brigade des mères [1] : « Je n'aimais pas entendre le terme de mères démissionnaires, les mères ne sont pas démissionnaires mais épuisées. »

Le pas en arrière de la condition des femmes

Fadela Amara, ancienne présidente de l'association Ni putes ni soumises (NPNS), avait dénoncé en 2004 cette emprise du contrôle masculin sur la vie des cités, la virilité exacerbée, les violences à l'encontre des femmes, l'absence de respect pour les mères. Elle dénonçait le harcèlement subi par celles qui « résistaient » aux injonctions à l'effacement et à la soumission. « C'est encore pire aujourd'hui, affirme Nadia, auteur de Comment j'ai sauvé mes enfants (éd. Calmann-Lévy). La condition des femmes a fait un grand pas en arrière. La ville de banlieue nous est interdite ; elle est réservée aux hommes. » La fondatrice de Ni putes ni soumises imputait ces réalités à la paupérisation des territoires frappés par le chômage de masse des ouvriers, l'imprégnation du patriarcat et la démission des pouvoirs publics. Elle alertait déjà sur la politique des villes confiée aux « grands frères », les arrangements mafieux, les trafics, la déscolarisation et la radicalisation religieuse qui « pourrissaient » la vie quotidienne.

Dix ans plus tard, Nadia Remadna constate que la situation a empiré et accuse sans détour les politiques locales : « Les élus nous ont maintenus dans l'ignorance, dans notre culture, notre tradition, nos coutumes. On a l'impression que certains édiles ne sont maires que d'une petite minorité. Ils n'appliquent pas les lois, particulièrement la laïcité. Les religions ont remplacé toutes les institutions. On leur a donné trop de pouvoir. On a négocié avec les fanatiques par intérêt électoraliste. On protège toujours les fauteurs de troubles. Aujourd'hui, nous en payons les conséquences. C'est l'arroseur arrosé. »

En 2004, NPNS avait lancé un « Appel national des femmes des quartiers ». Comme Nadia et ses combattantes, NPNS pointait l'inertie des médias et des politiques, refusait la victimisation, le relativisme surdéterminant les habitants des quartiers dans une identité culturelle et religieuse indépassable. « On est différentes dans notre façon de faire les choses ; je suis beaucoup sur le terrain », précise Nadia. « C'est vraiment une maman qui protège, qui écoute, qui se bat contre des gens qui refusent de l'entendre ; elle dit des choses pleines de bon sens que l'on comprend très bien, même quand on ne vit pas en banlieue », renchérit Christelle Pestana, son attachée de presse chez Calmann-Lévy, ajoutant : « On a vraiment besoin d'elle, là où elle habite. » De fait, son téléphone est un vrai centre des urgences : ici, un adolescent à maintenir dans son établissement scolaire pour lui éviter les dangers de la rue ; là, une mère battue par un mari ivrogne ; là, une femme sans abri, une rixe sanglante, une sortie de prison à accompagner, une radicalisation islamiste… Ou plus simplement une éducation à parfaire, un emploi du temps à soulager. Christelle Pestana ne tarit pas d'éloges : « On croise peu de personnes aussi touchantes, volontaires, aussi investies dans leurs valeurs. Nadia mène son combat de manière très vaillante et précise. Elle a aussi beaucoup d'humour. Elle aime rassembler autour d'elle et c'est contaminant. »

Nadia déplace des montagnes et contamine au-delà du périphérique. Elle crée des ponts entre deux univers parfaitement différents, et parfaitement étanches : « Des mères, des femmes, des jeunes de Paris parrainent des mères et enfants de banlieue, leur font visiter la capitale, et inversement. On monte des partenariats avec des entreprises, des théâtres, le ministère de la Culture pour casser les préjugés et ouvrir les esprits. Il n'y a qu'une France. » Elle multiplie projets et actions, partage son expérience et propose des solutions très républicaines, comme « aider les filles à s'en sortir par l'éducation pour qu'à leur tour elles éduquent bien leurs garçons et qu'elles se fassent respecter par leurs maris, c'est urgent ».

Mais les politiques ne la soutiennent guère. Déçue, elle déplore qu'aucune personnalité de gauche ne se soit manifestée après la parution de son livre : « Je pensais que la gauche allait réagir, d'autant que Sevran est une ville de gauche. J'ai été invitée par des villes de droite. À Sevran, aucune réaction. Étant donné ce qui se passe actuellement, je ne pense pas qu'ils aient envie de me voir. Or, j'ai besoin qu'on nous loue, qu'on nous prête un local pour au moins commencer la première École des mères et de la République pour que les mères connaissent la France, à travers l'histoire, la philosophie, les arts ; pour en finir avec l'enfermement physique et mental, pour redonner l'amour de la France à nos enfants. »

Et puisqu'ils refusent de l'entendre, elle les y contraindra avec la marche organisée dimanche. Les combattantes de la Brigade des mères seront coiffées du bonnet phrygien. « Les pouvoirs publics sont démissionnaires et les politiques s'en foutent aujourd'hui, ils ont plus l'amour du pouvoir que l'amour de la France. Ils préfèrent gagner 200 voix aux élections en échange de 130 morts ! Face à l'urgence, je demande un débat public avec tous les élus locaux de ma ville. » À bon entendeur...

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Commentaires (9)

  • Diogène de Tarse

    Merci d'incarner l'idéal républicain oublié par tant de politiques. Marianne aujourd'hui s'appelle Nadia...

  • pharmacia 2

    Merci de nous dire que la France existe encore avec ses valeurs. Bon corage et dites nous ce qu on peut faire pour vous aider

  • tristesire

    Nous voyons toutes et tous ces quartiers qui se ferment.
    Je me demandais comment c'était possible.
    Je n'aurai Jamais envisagé 1 tel troc sans lire ce témoignage.
    Qu'allons nous devenir avec 1 telle classe politique ? Elle ne se contente pas de se vendre pour rester au pouvoir
    Elle risque la vie de nos jeunes !