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Moyen-Orient, cours du pétrole… et dette souveraine

Al Jubail, Saudi Arabia. L'avenir de l'Arabie Saoudite n'est pas net. Jon Rawlinson/Flickr, CC BY

Les pays du Moyen-Orient font souvent les gros titres pour leur capacité à dominer les cours mondiaux du pétrole, mais l’économie politique de la région est en train de changer. Pour cause, une chute sans précédent des cours poussant les pays producteurs à compter sur les marchés de la dette souveraine ainsi que sur les investissements étrangers pour compenser une raréfaction des revenus pétroliers.

Cours du pétrole et gouvernance régionale

Le modèle économique des pays du Moyen-Orient repose en grande partie sur une dépense publique stimulée par des revenus pétroliers quasi-illimités. Autrement dit, la gouvernance économique, la redistribution des richesses aux populations ainsi que les investissements régionaux dans la santé, l’éducation et les infrastructures dépendent des cours du pétrole au niveau mondial.

Récemment, ces cours ont cependant chuté d’environ 70 pour cent (de 115 dollars en 2014 à 30 dollars au début de 2016) à cause notamment du développement du gaz de schiste par les États-Unis et d’un ralentissement de la croissance chinoise limitant de concert la demande mondiale. Par ailleurs, le récent retour de l’Iran sur les marchés pétroliers devrait faire augmenter les stocks mondiaux, tandis que les principaux producteurs ont d’une manière générale été incapables d’ajuster l’offre mondiale.

Divers pays menés par l’Arabie Saoudite – en tant que leader de l’OPEP – et la Russie ont certes envisagé des coupes conjointes afin de rééquilibrer les cours, mais l’accord provisoire discuté le 16 février dernier a échoué parce que certains producteurs ont préféré faire bande à part. Le Qatar, le Venezuela ou le Nigeria (le plus grand producteur de l’Afrique) ont donné un accord de principe, mais l’Irak et l’Iran (qui a récemment retrouvé un accès aux marchés internationaux après la fin des sanctions nucléaires) ont au contraire décidé de préserver et de développer leurs parts de marché. Impasse.

Impact sur l’élaboration des politiques régionales

Fait intéressant, il y a environ un an la position officielle des pays du Golfe était que les cours mondiaux n’influençaient pas les économies de la région. Leur point de vue a changé. Quand un pays comme le Qatar a besoin d’un baril à 60 dollars pour équilibrer son budget national (FMI), mais que le prix du baril n’atteint pas la moitié de ce prix, les politiques historiques ne peuvent plus être soutenues.

Ainsi, les cours ont-ils forcé les dirigeants régionaux à opérer des coupes budgétaires ou à revoir leurs politiques fiscales, et les pays producteurs autrefois dominants font maintenant face à des déficits. L’Arabie Saoudite, par exemple, aurait subi en 2015 un premier déficit de l’ordre de 98 milliards de dollars.

Diverses options ont été envisagées, y compris une politique de réorientation budgétaire. Les décideurs du Moyen-Orient envisagent aujourd’hui d’accroître la pression fiscale sur les acteurs nationaux, certains ont décidé d’introduire une TVA et de limiter les subventions relatives aux carburants, les rémunérations dans le secteur public sont contrôlées et l’Arabie Saoudite aurait même annoncé à ‘The Economist’ que des parts dans Saudi Aramco (le plus grand producteur de pétrole du monde) pourraient être cédées.

Emprunts d’État, dettes souveraines et marchés internationaux : la nouvelle tendance

L’idée de réduire les dépenses publiques, de privatiser les champions de l’industrie ou de puiser dans les réserves ne sont cependant pas durables, et la décision de plusieurs États de passer d’un modèle de gouvernance économique basé sur la suprématie des revenus pétroliers à un système fondé sur le recours aux marchés, les emprunts d’État et la dette souveraine – comme dans la plupart des économies – est à la fois frappante et historique.

Si les pays producteurs n’ont jamais eu recours à la dette parce que les dollars encaissés étaient plus que nécessaires pour maintenir le système, avec la chute persistante des cours, les marchés sont en effet devenus une alternative inédite. En Arabie Saoudite, par exemple, de la dette souveraine a été émise auprès des banques nationales en juin et août (2015), mais, parce que les marchés nationaux ne peuvent pas soutenir les besoins régionaux sur le long terme, le gouvernement a envisagé dès novembre la possibilité d’émettre en dollars sur le marché obligataire international au début 2016.

L’initiative a été décrite comme « l’un des débuts les plus réussis sur les marchés obligataires » (Financial Times) parce que le pays est le plus grand producteur de pétrole de l’OPEP, mais son indice de solvabilité – ainsi que celui de quatre autres producteurs comme le Sultanat d’Oman ou le Bahreïn – a néanmoins été déclassé par Standards & Poor à la mi-février 2016, moins de quatre mois après que l’agence ait déjà réduit la note du pays à A+, lorsque les cours du pétrole sont passés en dessous de 50 dollars par baril (Bloomberg).

L’Arabie Saoudite n’est pas isolée et une tendance émerge en matière de dette souveraine au Moyen-Orient. Le Qatar a utilisé le mécanisme avec succès puisque son opération de financement sur les marchés en 2015 a été souscrite quatre fois plus que nécessaire (Gulf Times). Le Bahreïn a aussi émis de la dette à différentes occasions, mais à un taux élevé de 7,4 et 5,7 pour cent (Bloomberg).

Sans oublier… la tendance des investissements étrangers

Frappante et historique, par ailleurs, est la décision de certains gouvernements d’avoir recours à des investissements étrangers – en particulier provenant des États-Unis – pour réduire la part des dépenses publiques dans le financement du développement régional. Après la levée de ses sanctions nucléaires en janvier, l’Iran déclarait par exemple que, en plus de récupérer 30 milliards d’actifs gelés, il chercherait à développer des relations d’affaires solides avec le reste du monde pour attirer des flux de capitaux étrangers. Le pétrole, donc, fera partie de la stratégie de développement de l’Iran, mais le gouvernement considère désormais les revenus pétroliers comme un « bonus » en comparaison avec les politiques d’investissements étrangers et d’exports de produits non-pétroliers.

L’Arabie saoudite, de même, est à la recherche de capitaux étrangers (principalement américains) en complément de son initiative d’émission de dettes souveraines, notamment en ce qui concerne les secteurs de la vente au détail, de la santé, du tourisme et de l’industrie tandis qu’un recours accru aux partenariats public-privé a également été considéré pour le développement des infrastructures.

Défis politiques à venir : rééquilibrer la balance influence–cash–pétrole

Dans l’ensemble, les évolutions drastiques des cours du pétrole influencent donc les économies du Moyen-Orient et auront sans aucun doute des conséquences graves sur l’économie politique de la région. Des tendances significatives sont apparues en matière de coupes budgétaires, de politique fiscale, de dettes souveraines et d’investissements étrangers, de sorte qu’une dépendance croissante des pays du Golfe envers les capitaux étrangers ne pourra rester inaperçue.

L’ironie, bien sûr, est qu’alors que le développement du gaz de schiste par les États-Unis visait à réduire la dépendance de ces derniers envers un Moyen-Orient de plus en plus puissant énergétiquement et financièrement, ce sont aujourd’hui ces mêmes pays producteurs qui, après avoir inondé le monde avec des ressources abondantes, sont désormais victimes de leurs propres succès et politiques énergétiques.

La tendance s’inversant, ce sont maintenant ces pays qui dépendent des capitaux étrangers pour réduire les dépenses du gouvernement sans pour autant réduire leurs besoins de développement.

L’économie politique au Moyen-Orient dépend donc d’un équilibre tridimensionnel basé sur l’influence, le pétrole et l’argent. Avec trop de pétrole et pas assez d’argent, cependant, la position d’influence dont jouiss(ai) ent ces pays sera tôt ou tard affectée et leurs dirigeants pourraient par la même perdre leur position de force en ce qui concerne l’économie politique régionale. À moins qu’ils ne trouvent un moyen de rééquilibrer le système.

Article original en anglais (version longue) : « Oil Prices, Bonds, Sovereign Debt and Foreign Investments : Trends in the Middle East’s Political Economy » publié sur The Political Economy Circle.

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