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Détresse

Lettre d’un Syrien à Merkel : «Venir ici était la plus grosse erreur de ma vie»

Arrivé en novembre en Allemagne, Arif Abbas a décidé de rentrer à Alep pour rejoindre sa femme et ses enfants, car il est désormais persuadé qu’il n’arrivera jamais à les mettre à l’abri en Europe.
par Elsa Maudet
publié le 16 mars 2016 à 13h13

«Chère Angela Merkel, ce n'est pas facile pour moi de vous raconter mon histoire.» Ce n'est pas facile de la lire non plus. Arif Abbas (le prénom a été changé), un père de famille syrien originaire d'Alep, a écrit une lettre à la chancelière allemande, publiée en début de mois sur le site de l'hebdomadaire Die Zeit (traduite en anglais), dans lequel il raconte le désarroi dans lequel il se trouve, et les raisons qui l'ont poussé à décider de rentrer au pays. Et l'implore d'une chose : dire honnêtement aux Syriens que l'Allemagne ne veut pas d'eux, car les candidats à l'asile continuent à affluer.

«Venir ici était la plus grosse erreur de ma vie», lâche cet ingénieur électricien, père de quatre enfants âgés de 3 à 11 ans restés en Syrie avec leur mère. Il (sur)vit dans un entrepôt de Hambourg, où 16 personnes s'entassent dans 40 m2. Aucun droit à la vie privée, interdiction de recevoir de la visite et même de se faire à manger. Les journées s'enchaînent inlassablement, selon un rituel dénué du moindre intérêt : lever, petit-déjeuner, chargement du téléphone, déjeuner, sieste, chargement du téléphone, dîner, chargement du téléphone, nuit. Arif Abbas est arrivé en Allemagne en novembre, mais son processus de demande d'asile n'a toujours pas démarré. Il pense que sa première audience n'aura pas lieu avant fin juin. En attenant, il tourne en rond. «On perd notre temps pendant que nos familles sont en danger de mort chez nous.»

Il passe cinq à six heures par jour au téléphone avec sa femme. Elle lui raconte les bombes, les blessés, les morts. «Les histoires empirent chaque jour», dit-il. Ses enfants l'implorent de revenir. «Je me demande ce que je fais vraiment ici.»

«J’ai une peur panique que ce soit bientôt trop tard»

Arif Abbas tient à témoigner sa gratitude envers l'Allemagne et les Allemands. Envers ceux qui l'ont aidé lorsqu'il cherchait sa route, qui lui ont donné vêtements et nourriture. «Mais j'ai le sentiment que les responsables politiques veulent se débarrasser de nous.» Il a pris la décision de retourner en Syrie lorsque, il y a un mois, il a lu que le gouvernement allemand souhaitait interdire le regroupement familial aux Syriens. «C'est paradoxal. Je suis venu en Allemagne à cause de mes enfants, afin de pouvoir leur offrir un futur, note-t-il. Maintenant je rentre à cause d'eux. […] Il est question de la vie de mes enfants. J'ai une peur panique que ce soit bientôt trop tard. […] On est responsables de nos familles. Nos femmes et nos enfants sont tout ce qu'on a. S'ils meurent, nos vies n'ont plus d'intérêt.» Et si sa famille doit mourir, il veut être avec elle.

Avant qu'ils partent, sa femme et lui étaient d'accord : hors de question de faire traverser la mer sur un bateau gonflable à leurs enfants. Arif Abbas est donc parti seul, avec la moitié des économies du foyer, soit 2 000 euros. Traversée de la Turquie, de la Grèce, de la moitié de l'Europe. Parcours classique. Mais désormais, et c'est moins classique, il doit faire le même trajet en sens inverse. L'Allemagne distribue des aides au retour à certains réfugiés, mais pas aux Syriens. Trop dangereux de les laisser repartir. Lorsqu'il aura réuni les 1 000 euros nécessaires à son périple, Arif Abbas pourra regagner la Syrie. Sans trop savoir comment il s'y prendra. «Je suis terrorisé. Mais je n'ai pas d'autre choix, juge-t-il. La seule chose que je rapporterai, ce seront des blessures qu'heureusement mes fils ne verront pas : les humiliations.»

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