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L’abus de mails nuit à la santé

Nos messageries débordent et nous en sommes les esclaves consentants. S’en libérer permettrait pourtant de gagner en sérénité et en productivité.

Par  (San Francisco, correspondante)

Publié le 08 mars 2016 à 14h12, modifié le 15 mars 2016 à 10h00

Temps de Lecture 4 min.

En envoyant le premier courriel de l’histoire, en 1971, l’ingénieur américain Raymond Tomlinson ne savait sans doute pas ce qu’il venait d’inventer. Le père de l’e-mail vient de mourir, le 5 mars, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas emporté sa créature dans la tombe. Si lui pouvait rester « toute une journée » et même « tout un week-end » sans consulter ses e-mails, avait-il confié au magazine The Atlantic, ce n’est pas le cas du commun des mortels.

En 2015, 205 milliards de courriels ont été échangés chaque jour d’un bout à l’autre de la planète. Plus de 2 millions par seconde. Vingt ans après les premiers « Vous avez un message » d’AOL (et le film du même nom en 1998), ouvrir sa boîte mail est devenu un véritable cauchemar.

Selon Radicati, firme de statistiques sur la communication électronique, dans le monde, chaque employé reçoit en moyenne 120 messages par jour et passe 28  % de son temps de travail hebdomadaire à lire et à répondre à ses e-mails. Le courriel est désormais «uncool ». Les ados ne l’utilisent plus que pour les communications formelles, avec les profs par exemple. Selon une étude du Pew Research Center de 2012, les trois quarts d’entre eux textotent continuellement, alors que seuls 6  % envoient régulièrement des courriels.

Même pendant les vacances

Il s’agit néanmoins d’un désengagement en trompe-l’œil. Dès qu’ils entrent à l’université ou postulent pour un stage, les jeunes reviennent aux e-mails. Et ces « pro » de Snapchat sont alors aussi débordés que leurs aînés. « Je reçois au moins cinq e-mails par heure. Là, j’en suis à 2 789 messages », témoigne Laurel Richmond, 19  ans, étudiante à San Francisco.

Selon Gloria Mark, de l’université de Californie à Irvine, les salariés américains consultent leur boîte neuf fois par heure en moyenne. Et 42  % vérifient leurs courriels en vacances. Terrorisés par ce qui les attend au retour autant que par ce qu’ils pourraient avoir raté. Une boîte débordante, c’est le signe d’une existence bien remplie. Les chercheurs parlent d’« email overload  ». Définition, selon le Future of Work Centre de Londres  : « Quand la perception qu’a l’usager du volume de ses messages excède la perception qu’il a de son aptitude à les traiter tous. » L’impression, autrement dit, d’être submergé, déconcentré par les interruptions constantes.

Une minute de déconcentration

Après chaque notification d’un nouveau mail, ont calculé les chercheurs, il faut en moyenne 64 secondes pour retrouver le fil de ses idées. Trop de messages, c’est moins de productivité, et un stress accru. Gloria Mark et son équipe ont étudié en 2012 le rythme cardiaque de treize civils de l’armée américaine sevrés de leurs mails. En moins de cinq jours, le niveau de cortisol, l’hormone associée au stress, était redevenu normal. Principale cause du stress ? Le sentiment qu’il faut répondre tout de suite, même si votre chef vous écrit à 1 heure du matin.

Nous sommes ainsi tous soumis au jeu du chat et de la souris. Le félin, c’est le service du marketing numérique. Il vous allèche avec des promos « moins 40 %, jusqu’à minuit seulement ». Il vous traque. Il sait que vous avez ouvert le message l’autre jour, faiblesse coupable, il ne vous lâchera plus et ses algorithmes ne se découragent jamais.

Selon l’institut Radicati, les offres commerciales ont un taux d’ouverture de 12 %. Pourquoi le consommateur tombe-t-il dans le piège ? Par envie d’évasion, explique Niraj Ranjan Rout, le créateur d’Hiver, un logiciel d’amélioration de la productivité. « Les gens passent leur temps à vérifier leur boîte tout en ayant l’impression de travailler, puisqu’ils sont sur leur ordinateur.  »

« Plus le volume d’information augmente, plus les gens ont recours à des raccourcis mentaux pour prendre des décisions rapides. » Kristina Lerman, de l’Institut de l’information de l’université de Californie du Sud

Pour ­David Allen, auteur du best-seller Getting Things Done (S’organiser pour réussir, éd. Leduc. S, 2015), il est tout à fait possible de « reprendre le contrôle » de sa messagerie. Il suffit d’envoyer moins d’e-mails pour en recevoir moins. S’abstenir de ces « mercis » qui tombent sous le sens mais qui sont répercutés aux cinquante amis de la liste de destinataires. Voire cesser de répondre systématiquement. Après tout, qui s’y sent encore tenu  ? Pas ces hiérarques qui ont des raccourcis tout prêts  : « Le dossier est en cours de traitement. » Ni bonjour ni bonsoir. ­Allez vous faire voir.

Ces solutions ne sont que pansement sur une jambe de bois. On a beau adopter le concept « inbox zero », classer les e-mails dans des dossiers ou les remplacer par des messages instantanés, le trop-plein global de communication ne diminue pas, et pèse sur la prise de décision, s’inquiète Kristina Lerman, de l’Institut des sciences de l’information de l’université de Californie du Sud : « Les gens ne peuvent plus assimiler toutes les infos qui leur parviennent. Plus le volume augmente, plus ils ont recours à des raccourcis mentaux pour prendre des décisions rapides. »

Le XVIIe siècle fut aussi une période « d’hyperécriture », explique Anaïs Saint-Jude, spécialiste de littérature française et fondatrice du programme Biblio-Tech de l’université Stanford (Californie) : « Ce qu’on qualifierait aujourd’hui de surcharge d’information. » Voltaire écrivait plus de dix lettres par jour. Racine se plaignait d’être débordé par son courrier en souffrance. La différence, évidemment, c’est que leurs « courriels » sont passés à la postérité.

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