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jeunesse

Génération désenchantée

Des jeunes nous parlent d'argent, de dettes et de désespoir.

Si vous êtes né après 1980 et que vous n'avez pas acheté votre diplôme dans une école de commerce, vous connaissez ce sentiment lancinant qui vous accompagne depuis que vous avez quitté le giron de vos parents – celui de ne jamais savoir si vous serez capable de payer votre loyer le mois prochain. Il est devenu impossible de trouver un job satisfaisant et pour ceux qui ont la chance de ne pas être endettés, la perspective d'acheter une maison ne constitue pas vraiment un horizon rêvé.

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Au milieu de tout ce marasme, le Guardian n'a remonté le moral de personne en prouvant par l'intermédiaire de nombreuses statistiques que, depuis 30 ans, les nouvelles générations se paupérisent de plus en plus. Les médias invitent régulièrement des experts en tout genre à se prononcer sur le sujet, experts qui se contredisent allègrement quant aux causes d'une telle déliquescence. VICE, de son côté, a décidé de donner la parole à des jeunes de différents pays occidentaux afin d'en savoir plus sur la réalité de leur quotidien.

Photo de Lucia Florence

MAX, 22 ANS, GRANDE-BRETAGNE

Plus jeune, j'ai été obligé de contracter une dette. Je n'ai pas eu le choix. Dans le cas contraire, je n'aurais pas pu aller à l'université. Dans un an, je devrai rembourser 66 000 livres [84 000 euros]. J'ai 22 ans, et ça me préoccupe beaucoup.

En ce moment, je suis en stage afin d'acquérir de l'expérience. Le problème, c'est que les stages à Londres ne sont que rarement rémunérés. En plus, les sociétés de crédit prêtent moins d'argent lorsque vous êtes en stage, ce qui est absurde. Au cours de l'année à venir, j'étais censé toucher 6 000 livres [7 600 euros] de moins que l'année précédente. J'aurais reçu 3 000 livres [3 800 euros] pour payer mon loyer annuel, ce qui est impossible.

J'ai donc dû quitter mon premier stage, pas rémunéré, et je suis retourné vivre chez mes parents à Portsmouth. Aujourd'hui, je suis de retour à Londres parce que j'ai décroché un job de vendeur. J'aurais adoré obtenir un nouveau stage, mais je ne peux vraiment pas me le permettre. Le pire dans tout ça, c'est que cette absence de stage risque de peser lors de la recherche de mon premier emploi.

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JAMIE, 23 ANS, CANADA

J'ai obtenu mon diplôme l'année dernière. Ma dette n'est pas très importante – quelques milliers de dollars que j'ai remboursés sans problème. En fait, le gros souci vient du fait que je ne trouve pas de travail dans mon domaine. Sur les bancs de l'université, j'étais hyper optimiste. Je me trompais.

En ce moment, je suis serveuse dans un bar dix heures par semaine. Pendant les vacances, je peux bosser jusqu'à 30 heures par semaine, ce qui m'arrange – en ce moment, les fins de mois sont difficiles. Aujourd'hui, je suis obligée de faire attention à tout ce que je dépense : 1 000 dollars canadiens [674 euros] pour mon loyer et mes courses, 50 dollars canadiens [34 euros] pour mon café et ma weed et 100 dollars canadiens [67 euros] pour mon abonnement téléphonique.

Je ne sais pas comment font les gens pour bosser tous les jours et avoir assez de motivation pour s'amuser pendant leur temps libre. Je suis déprimée quand je vois à quel point le travail rend les gens dociles. La routine vous avilit, vous responsabilise à outrance, vous empêche de prendre des risques.

Photo de Daniel Sigge

FRANCESCA, 30 ANS, ALLEMAGNE

Je travaillais dans une galerie et gagnais pas mal d'argent, mais après avoir réalisé que je n'avais plus de temps pour moi, j'ai décidé de quitter ce job pour monter ma propre galerie. Financièrement, ça a été une catastrophe. Il me restait 350 euros pour vivre par mois – mais j'étais quand même heureuse, parce que j'étais passionnée par ce que je faisais.

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Il y a un an, j'ai dû fermer ma galerie parce que le loyer demandé était trop important. Aujourd'hui, j'ai envie de trouver un job qui m'intéresse. Bien sûr, l'argent reste un problème, mais je suis persuadée que j'arriverai à faire mon trou quoi qu'il arrive.

ROBIN, 23 ANS, FRANCE

Chaque 15 du mois, et cela depuis des années, je suis à court d'argent. J'enchaîne les stages à Paris, donc ça n'a rien de surprenant. J'ai fait le calcul : un stagiaire engagé pour plus de deux mois au salaire minimum est payé 3,60 euros de l'heure, ce qui rend la vie à Paris très difficile.

J'ai étudié en Angleterre il y a quelques années. J'ai dû emprunter près de 13 000 euros – censés me permettre de tenir pendant un an. Au bout de six mois, je n'avais plus rien. J'ai fini par bosser à temps partiel pour pouvoir rester sur place. À partir d'octobre, je dois rembourser mon prêt. Comment, je ne sais pas. Peut-être vais-je devoir retourner chez mes parents et accumuler les piges – ce qui est peu probable. Sinon, il ne me reste qu'à trouver un job détestable dans le marketing.

Aujourd'hui, ça peut aller parce que j'ai eu la chance de trouver un appartement à 500 euros et que je vis en couple. Je ne m'inquiète pas trop pour l'avenir, parce que j'ai la chance d'avoir mes parents et mes amis pour m'aider. Malgré tout, je déteste ce sentiment de dépendance financière envers quelqu'un. J'aimerais ne pas avoir à demander de l'aide pour rembourser mes prêts.

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Photo de Sarah Buthmann

ISMAR, 26 ANS, DANEMARK

Après avoir grandi à la campagne, j'ai déménagé à Copenhague à l'âge de 17 ans. Dès lors, je me suis mis à acheter des fringues à n'en plus finir. C'est devenu une habitude, et j'ai contacté ma banque à de nombreuses reprises pour augmenter mon découvert autorisé.

J'essaie de ne pas penser au fait que je suis constamment endetté mais, quand je passe une mauvaise journée, ces pensées négatives ressurgissent. Je réalise que je suis incapable de gérer mon argent. J'ai l'impression que je n'y arriverai jamais.

KARALYN, 27 ANS, ÉTATS-UNIS

Si on m'avait dit qu'à 27 ans, je vivrais avec trois colocataires et que je peinerais à payer mes factures, je n'y aurais pas cru. Avant, quand j'imaginais ma vie à cet âge, je ne me voyais pas dans une telle situation – je pensais que j'aurais une maison, ou au moins mon propre appartement. Je suis toujours un peu dépendante des autres – mon frère m'aide notamment à payer mon forfait téléphonique.

Récemment, j'ai eu une super proposition de boulot, et j'ai sauté sur l'occasion. Je pensais que je gagnerais pas mal d'argent, mais j'ai appris à la fin de l'entretien que c'était rémunéré 17 dollars (environ 15 euros) de l'heure. Ça m'a mise dans une position assez étrange, sachant que je ne voulais pas que mon futur employeur pense que je n'étais motivée que par l'argent. J'ai deux semaines de congés payés par an, ce qui est bien sachant que très peu d'entreprises accordent ça aujourd'hui. La moitié de mon salaire part dans mon loyer. Je ne peux pas avoir de carte de crédit. Quand j'ai fini les études, ma dette étudiante s'élevait à environ 25 000 dollars (soit environ 22 000 euros), maintenant je dois environ 30 000 dollars (27 000 euros).

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J'espère que dans les cinq ans à venir, je me ferai au moins trois fois plus que mon salaire actuel. La plupart des femmes commencent à penser au mariage ou à fonder une famille à la fin de la vingtaine, début de la trentaine. Je ne peux même pas me permettre d'y penser, j'arrive à peine à survivre. Je ne pourrais même pas me payer un chien.

SIMON, 25 ANS, AUSTRALIE

La dernière fois que l'Australie a subi une crise économique, c'était trois jours avant ma naissance – en novembre 1990. Nous n'avons pas vraiment été affectés par la crise financière mondiale de 2008, mais le prix des maisons est très élevé ici. L'autre jour, j'ai lu une recherche qui disait qu'elles coûtaient 60 % plus cher qu'en 2008. Et bien entendu, les salaires n'ont pas suivi. Les maisons ne sont plus considérées comme des lieux de vie, mais comme des investissements.

Ça me déprime un peu. Ça veut dire que je suis condamné à vivre dans une banlieue un peu éloignée de la ville si je veux le privilège d'avoir un jardin. Si vous faites partie de ces gens qui veulent des enfants à la fin de la vingtaine, ça signifie que vous allez devoir habiter dans un HLM et passer des heures dans des embouteillages avant d'aller au boulot.

C'est pour ça que j'ai décidé de retourner à l'université. Je me suis dit qu'il fallait que je gagne bien ma vie, et j'ai donc choisi d'étudier la finance. À la fin de mes études, j'aurais dépensé environ 75 000 dollars (67 000 euros). C'est beaucoup, mais ça pourrait être pire. Il y a beaucoup de subventions en Australie, et c'est un choix personnel de poursuivre ses études. Je sais que je finirais par en sortir gagnant. Il faut bien que quelqu'un paie pour ces subventions – ce n'est pas gratuit, et le fait de taxer des gens qui gagnent peu d'argent, je ne trouve pas ça très juste.

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Adrian (à droite) lors de la Fashion Week de Vienne. Photo : Stefanie Katzinger

ADRIAN, 29 ANS, AUTRICHE

J'ai été élevé par une mère célibataire qui a travaillé comme une dingue pour que je puisse étudier. J'ai eu des allocations pendant mes études, et je n'ai jamais eu besoin de travailler à côté. Quand je n'ai plus eu le droit de recevoir ces allocations, je vivais toujours chez ma mère – mais j'avais commencé à jouer au poker en ligne, et je me faisais plus d'argent qu'avec un job étudiant. J'ai finalement décidé de quitter la maison, et j'ai pensé que ce serait une bonne idée de continuer le poker pour payer mon propre loyer. J'étais persuadé que ça me motiverait.

Pas du tout, en fait. Je ne voulais plus jouer et les factures s'entassaient – en moins d'un an, j'avais 3 000 dollars (2 700 euros) de dettes, et je devais aussi de l'argent à quelques proches. J'ai fini par arrêter le poker et je suis revenu vivre chez ma mère. Deux de mes proches étaient au courant de ma situation, mais la plupart de mes potes n'en savaient absolument rien.

Après environ six mois, j'ai trouvé un stage rémunéré et ma situation a lentement commencé à s'améliorer. Je gère mieux mes finances. Je sais que j'aurais encore des dettes jusqu'à l'année prochaine, mais j'arrive à payer mes factures. Je pourrais même m'acheter une PS4 si j'en ressentais envie. Je ne devrais pas, sachant que j'ai encore des dettes, mais ça ne m'a jamais vraiment freiné – et c'est d'ailleurs pour ça que je me suis endetté en premier lieu.

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AIDA, 22 ANS, ESPAGNE

Mes parents n'ont pas fait d'études – mais tous deux avaient des jobs de serveur bien payés quand ils avaient mon âge. À l'époque, les Espagnols qui n'avaient pas fait d'études supérieures pouvaient travailler dur et gagner suffisamment pour s'acheter une maison, deux voitures, des soins privés – ce qui n'est pas très répandu en Espagne – et partir en vacances une fois par an.

Aujourd'hui, je ne connais aucun jeune qui ait ce train de vie. La plupart des jobs sont mal payés – de plus, il est difficile de trouver des contrats à temps plein, il n'y a jamais de contrats permanents et tout le monde se bat pour décrocher le peu d'emplois qu'il reste. Même les bons jobs sont moins bien payés qu'il y a 15 ans, alors que le nombre d'heures a augmenté.

Je suis serveuse et je ne gagne pas assez d'argent pour déménager de chez mes parents – je ne pourrais même pas me payer un appart en colocation. J'économise tout ce que je peux afin de financer mes études, parce que le gouvernement m'a retiré ma bourse cette année. Je crois que ce qui me décourage le plus, c'est que je risque de passer ma vie à faire des tafs pourris, quoiqu'il arrive.

VINCENZO, 25 ANS, ITALIE Les Italiens naissent endettés – pas besoin de faire des études prestigieuses pour s'enliser dans un bourbier financier. Si vous avez 34 ans ou moins, il y a de grandes chances que vous soyez pauvre. En général, les jeunes se font aider par leur famille pendant un certain temps.

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Même si vous finissez par décrocher un travail, vous ne serez pas nécessairement indépendant. J'ai 25 ans et je travaille depuis deux ans – j'ai quand même besoin de l'aide financière de mes parents. On ne peut pourtant pas dire que je suis un flambeur. Je vis toujours chez mes parents, dans la chambre où j'ai grandi. Au cours de ces 20 dernières années, le prix de la vie a considérablement augmenté, à mesure que les salaires baissaient.

Le salaire médian des jeunes est devenu plus bas que jamais en 2012. En conséquence, peu de gens de mon âge envisagent d'acheter une maison, de se marier ou de s'installer définitivement : cela coûte beaucoup trop cher. Bien sûr, on évite de parler de notre situation à nos amis, et cette nouvelle pauvreté reste taboue tandis qu'on dépense l'argent que nos parents et nos grands-parents ont gagné durant les dernières années du miracle économique italien. Au moins, les jeunes Italiens se comprennent – on est devenu des gros bébés pleurnichards, mais on a des statistiques pour se rappeler qu'on est tous dans la même galère.

ZARA, 26 ANS, IRLANDE

J'ai obtenu mon master en 2012. C'était difficile de quitter l'université en sachant pertinemment qu'il n'y avait aucun job de disponible. J'ai pointé au chômage la semaine où j'ai décroché mon doctorat. Je galérais à payer mon loyer et mes factures et j'avais peur de me faire dégager de ma maison. Comme je n'avais que 24 ans, je n'avais le droit qu'à 144 euros par semaine – dont 100 qui partaient directement dans mon loyer.

Vivre avec 44 euros par semaine s'est avéré très difficile. J'avais à peine de quoi me nourrir, et j'ai beaucoup maigri. Je devais emprunter de l'argent en permanence pour payer mes factures, et je croulais sous les dettes. Je crois que le pire moment de ma vie, c'est quand quelqu'un a volé l'argent de mes allocations-chômage – qui se trouvait dans mon sac –, la veille de Noël. J'étais coincée à Dublin sans argent pour rentrer chez moi. J'ai passé ces dernières années dans un flou total, sans savoir ce que je valais vraiment. J'ai bien occupé quelques jobs par-ci par-là, mais je n'ai jamais gagné beaucoup d'argent.

Maintenant, j'ai accepté le fait que je ne posséderai jamais de maison, ni même de voiture. Pour être honnête, je ne pourrais même pas me permettre de passer le permis. Ça me dégoûte de voir que des gens vivent dans la misère et que les banques ne sont même pas tenues responsables. Il y a des familles dans la rue, des gens qui partent s'installer ailleurs, et ceux qui passent leur temps à accumuler les dettes et à s'inquiéter pour leur avenir. Mais l'État refuse de s'en prendre aux vrais responsables.