Par Didier Pitelet
Dans l’entreprise, on assiste depuis quelques années à la montée en puissance de revendications relatives à l’expression religieuse. D’une manière générale, si ces revendications sont réglées de manière pragmatique, au cas par cas, elles peuvent parfois conduire à entraver le bon fonctionnement de l’entreprise et susciter des tensions entre salariés, à l’image de ces chauffeurs de bus qui ne veulent pas prendre un véhicule qui vient d’être conduit par une femme !
L’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958 précise que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Le principe de laïcité implique la neutralité de l’État et des personnes publiques à l’égard des cultes et l’égalité entre les confessions. Ce rappel constitutionnel est à l’origine même du débat et du malaise grandissant en entreprise sur ces questions, qui arrivent la plupart du temps sur le bureau du responsable de la diversité, esseulé devant le sujet.
Le Haut conseil de l’intégration (HCI) éclairait déjà le sujet (avis intitulé « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise ») en 2011 en proposant que soit inséré dans le code du travail un « article autorisant les entreprises à intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires, au port de signes religieux et aux pratiques religieuses dans l’entreprise (prières, restauration collective...) au nom d’impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou la paix sociale interne ».
Depuis pas grand-chose sous le soleil si ce n’est du verbiage politicard d’un côté et une pression croissante du sujet au quotidien : selon le baromètre Randstadt/Observatoire du fait eeligieux en 2015, 50% des managers ont été confrontés au fait religieux : 19% pour absences dues à des fêtes, 17% (contre 10% en 2014) pour port ostentatoire de signes religieux et une forte croissance des problèmes liés aux rapports hommes/femmes. Même si 80% des managers trouvent légitimes une autorisation d’absence, 78% estiment inadmissible de refuser une tache pour motif religieux.
Depuis toujours les entreprises ont, en leur sein, des personnes religieuses, des athées, des agnostiques ; depuis toujours, l’entreprise s’apparente à un lieu de sociabilité et de réussite où le vivre ensemble fait sens ; l’entreprise est un corpus qui vit et respecte les règles de la République de par le droit, la fiscalité, la santé etc. Elle incarne un pan de vie des citoyens.
Mais aujourd’hui, elle est en passe de devenir le lieu où la plupart des problèmes sociétaux doivent se régler de par la faiblesse des positions politiques (droite/gauche confondues) : le chômage explose et le coût du travail avec ; « Liberté - Egalite - Fraternité » se mue en un égalitarisme et un individualisme assumés dont héritent les managers au quotidien… La liste est longue des transferts de responsabilités des politiques sur le monde de l’entreprise !
L’entreprise est en soi « un lieu spirituel laïc et professionnel » ; « croire en un projet, une ambition, des valeurs, une culture » est, ce que beaucoup appellent, le lien social. Plus le lien social est fort, plus la culture est vécue et ne se limite pas à de la petite communication de façade, plus le top management incarne un leadership humain volontaire, plus le sujet de la différence s’estompe au profit de l’union, de la solidarité, de la bienveillance dans le respect de toutes les identités. Dans un pays laïc, le spirituel professionnel qui nourrit la culture d’entreprise est par essence laïc.
Contrairement aux politiques qui peuvent se payer le luxe de faire l’autruche jusqu’au jour où tout se fissure, l’entreprise vit, elle, dans un temps réel dont la finalité est sa pérennité et le bien-être de ses salariés. Elle incarne un équilibre porté par une ambition partagée qui, à aucun moment, ne peut être prise en otage par des considérations qui n’ont strictement rien à voir avec son objet social.
Ne pouvant à ce jour légalement porter le principe de laïcité, l’entreprise doit :
- élever sa culture en principe discriminant positif : au risque de choquer certains bons penseurs, les valeurs, les rites, l’exigence d’un secteur sont autant de facteurs de sélectivité à l’embauche et au maintien dans l’emploi. Cela s’appelle la vraie vie.
- aborder le sujet de manière bienveillante et dépassionnée pour éviter d’importer des tensions externes sur le lieu de travail.
- toujours réfléchir en fonction de l’intérêt de l’entreprise. Le principe légal est la liberté religieuse dans l’entreprise, soit ; mais entre liberté religieuse et pratiques religieuses, il y a un gap réel. Toute décision prise par l’employeur pour le restreindre doit être proportionnée et se faire au regard de l’intérêt légitime de l’entreprise : organisation, bonne marche de l’entreprise, respect des règles d’hygiène et de sécurité, préservation des intérêts commerciaux.
- cultiver le plaisir du collectif et du vivre ensemble : le court terme, la déshumanisation des organisations, dans certains cas l’anonymat des actionnaires financiers sont autant d’obstacles au faire et au vivre ensemble. L’esprit d’entreprise, quelle que soit la culture, est censé créer une dynamique collective qui par définition se conjugue par le sens commun et le partage.
Chacun doit comprendre que sa liberté intime en entreprise commence par le respect de celle de l’autre et l’intérêt collectif… La culture d’entreprise n’est pas un dogme mais une façon d’assembler les différences au profit d’une identité commune. Sur un terrain de sport, seul le maillot compte pour la victoire, il en est de même en entreprise. Plus la culture de l’entreprise est assumée et forte, plus elle vibre et unit. Au nom de la culture d’entreprise, osons interdire la religion en entreprise ; question de bon sens et de respect de l’humain avec un grand H et il y a fort à parier que si Dieu était chef d’entreprise, il serait d’accord avec ça !
Didier Pitelet est président d’Onthemoon, une agence indépendante spécialisée dans le conseil en communication et réputation d’entreprises
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