Des archives inédites de la Deuxième Guerre mondiale dévoilées

EN IMAGES. Le fonds du service historique de la Défense est désormais accessible au public. Une mine pour les historiens, où "Le Point" a sélectionné quelques pépites.

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Des policiers français contrôlent les papiers de Juifs arrêtés en août 1941.
Des policiers français contrôlent les papiers de Juifs arrêtés en août 1941. © Berliner Verlag/Archiv

Temps de lecture : 6 min

C'est une révolution dans le monde des archives. Le 13 août dernier, nous faisions une longue interview des historiens Gilles Morin et Thomas Fontaine pour faire le point sur l'accès aux diverses archives concernant la Seconde Guerre mondiale.

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Coup de théâtre : mercredi, la division des archives du ministère de la Défense, logée au château de Vincennes, a décidé d'ouvrir au public l'intégralité des archives sur cette période qu'elle a déjà inventoriées et dépouillées. Il en ira ainsi jusqu'à la fin de ce grand chantier qui devrait durer encore deux ans. Jusque-là, un fonds d'archive n'était accessible qu'une fois entièrement inventorié. Cette fois, il s'agira d'un work in progress immédiatement reversé au public qui pourra consulter l'inventaire sur le site du service historique de la Défense (SHD). Tous ces dossiers seront rangés sous la cote GR 28 P.

Des centaines de cartons non identifiés

De quoi s'agit-il ? Comme nous l'explique Frédéric Queguineur, chef de la division des archives de la Défense, « ce fonds est celui de l'ancienne DGSE, présent dans un sous-sol sécurisé du château de Vincennes depuis les années 1980, que celle-ci, en 1999, avait confié aux archivistes du SHD ». 500 mètres de linéaires qui regroupent les archives du BCRA (le Bureau central de renseignement et d'action) de la France Libre, du DSM d'Alger (Direction de la sécurité militaire), de la DGER (Direction générale des études et recherches), l'ancêtre de la DGSE constituée à la Libération, ainsi que des archives allemandes ici et là récupérées après l'été 1944.

Mais la DGSE avait fait un drôle de cadeau à ses petits camarades : des centaines de cartons non identifiés, mélangés sans logique pour dissuader une éventuelle puissance étrangère qui mettrait la main dessus. « Ils nous avaient tout remis sans nous donner la clé de fichage. » En 2013, la division des archives de la Défense tourne une page historique et prend enfin en main ce trésor qu'elle se décide à classer par ses propres moyens, les clés de fichage ayant été perdues, oubliées…

Un éclairage unique sur les techniques policières

« Nous avons été subjugués par la richesse : des milliers de dossiers individuels d'agents, résistants ou collaborateurs, constitués dès la fin de la guerre, à partir d'interrogatoires, pour démasquer les faux agents ou voir s'ils pouvaient être réutilisés par les services secrets français, en particulier en Indochine. » Grâce aussi à des archives allemandes récupérées par les services secrets – en particulier la Gestapo de Trêves, fonds non détruit, chargée d'une police des frontières et du passage d'un grand nombre de Nuit et Brouillard – on a enfin « un éclairage unique sur les techniques policières, la preuve aussi qu'à partir de mi-1943, la lutte contre la Résistance, dans la perspective d'un débarquement inéluctable, devient l'un des trois dossiers-clés des nazis, avec le génocide des juifs et l'exploitation économique de la France », analyse Thomas Fontaine, un des historiens chargés de l'expertise de ces archives.

Pour l'heure, moins de la moitié d'entre elles ont été inventoriées. Après l'arrêté du 24 décembre 2015, qui ouvrait tous les dossiers judiciaires de la Deuxième Guerre mondiale, il était logique que ces milliers de dossiers individuels, qui répondent au délai légal du secret de la vie privée (50 ans) soient enfin inventoriés et mis à disposition. On n'avait que trop tardé. Nul doute que de nouveaux ouvrages consacrés en particulier à la répression allemande pendant la guerre naîtront de ces nouveaux documents.

Le Point a choisi déjà de vous commenter certaines de ces pépites qu'on peut retrouver aussi grâce à l'historien Gregory Auda sur le site des « Chemins de la mémoire », du ministère de la Défense.

L'AST : découverte d'un nouveau service allemand

GR 28 P 7 172 © OS14000_A2 #54862
33,2cm X 20,5cm © OS14000_A2 #54862

GR 28 P 7 172 © OS14000_A2 #54862
33,2cm X 20,5cm © OS14000_A2 #54862


Ce rapport de la DGER met en lumière un service allemand jusque-là inconnu, l'AST, service spécial de contre-espionnage de l'Abwehr basé à Arras et chargé sur le territoire français de protéger les bases de lancement et l'acheminement des V1. Il avait autorité sur tous les services de police allemands et fit des ravages dans les organisations de résistance missionnées par Londres pour obtenir des renseignements sur ces bases : OCM, Alliance, Cohors-Asturies, Mithridate, Centurie… Les historiens ne s'expliquaient pas pourquoi certains résistants avaient disparu dans le Nord-Pas-De-Calais, notamment le grand mathématicien Jean Cavaillès. On estime à une centaine de déportés et 63 fusillés le bilan de cet AST du Nord, surnommé l'ange-gardien des V1 qui maintenait ses activités entièrement secrètes.

La dernière lettre de Geneviève de Gaulle avant son arrestation


Déjà engagée dans la Résistance (auprès du musée de l'Homme, puis au sein de Défense de la France), Geneviève de Gaulle écrit à son oncle pour savoir ce qu'elle doit faire alors que la famille de Gaulle, de par son nom, commence à être l'objet de répressions sur le territoire français. Doit-elle, en ce 6 mai 1943, le rejoindre à Alger, rallier Londres ou rester en France ? On sait que le général de Gaulle a lu cette lettre puisqu'on a mis la main sur une note signée de Pierre Billotte, chef du BCRA à Alger qui transmet à Londres : le général est désireux que l'on utilise les services de sa nièce dans les services du BCRA, soit en G.B., soit même en France. Mais le 20 juillet 1943, Geneviève de Gaulle a été arrêtée par la Gestapo. On a retrouvé cette lettre dans une simple enveloppe.

Interrogatoires des agents

GR 3232-1 © OS14000_A2 #54862
20,8cm X 31cm © OS14000_A2 #54862


Dès la Libération, la DSM (Direction de la sécurité militaire) charge la 4e section de son 3e bureau d'interroger les agents des réseaux de résistance. Ici, le début de l'interrogatoire de Max Petit, chef du réseau CND Castille. À la fin de l'interrogatoire, un visa était délivré : 1 (entière confiance, peut être employé dans un service secret), 1a (non douteux, mais ne peut être réemployé), 2 (non douteux, mais d'origine étrangère), 2b (douteux, suspect), 3 (aucune confiance).

Les fichiers de la LVF

© OS14000_A2 #54862


À peu près 13 400 hommes s'enrôleront dans la Légion des volontaires français créée le 6 juillet 1941. D'abord incorporés à Versailles, puis à Guéret à partir d'avril 1943 (la caserne devient Centre d'instruction des cadres) et enfin à Montargis après juillet 1943, ils ont été l'objet de plusieurs fichiers croisés que le SHD possède.

Mauvaise nouvelle de Caluire

© OS14000_A2 #54862

Voici le télégramme de Claude Bouchinet Serreules (Sophie) annonçant à Londres la prise très importante opérée par la Sipo-SD de Lyon à Caluire, avec en particulier l'arrestation de Jean Moulin (Rex-Luc).

Interrogatoire de Klaus Barbie


De 1948 à 1950, le chef de la Gestapo lyonnaise fut souvent interrogé par les services français et anglais, en particulier sur le déroulement de l'arrestation de Jean Moulin à Caluire le 21 juin 1943. Dans l'un d'eux, il décrit la comédie qu'il a mise en scène, avec pour principal protagoniste, René Hardy, qui, à l'en croire, aurait été le pantin des Allemands. Barbie se donne le beau rôle, mais les historiens ont établi qu'un Sonderkommando avait été envoyé à Paris fin mai pour faire tomber Fresnay (Combat) et les principaux chefs de la résistance. Barbie ne fait pas tout, divers services allemands s'étant associés. Comme le résume Thomas Fontaine, la question de l'affaire Jean Moulin n'est plus tant : qui a trahi ? – point de vue jusque-là adopté –, mais qui arrête qui ?

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Commentaires (14)

  • janou002

    La remise de la francisque à miterrand ? On n'a rien retrouvé à ce sujet ?

  • LYCA

    Le garde des Sceaux, fixe les limites du procès : « Les seuls dossiers dont la cour aura à s'occuper, ce sont les actions menées contre les juifs par la police allemande. (... ) Discuter de l'arrestation et de la mort de jean Moulin c'est discuter de l'histoire réelle et diriger la lumière sur des événements obscurs. »
    Un optimisme qui ne cadre pas avec ce que j'ai eu à connaître de cette affaire. Jacques Vergès ignore manifestement que les fameuses archives secrètes du BCRA ? Ont été minutieusement épurées avant d'être transmise ; au juge et qu'en conséquence aucune « vérité » définitive ne peut sortir de l'instruction judiciaire. Secret Défense oblige.
    C'est en décembre 1983 que le gouvernement socialiste, plus précisément le ministre de la Défense PS, s'est préoccupé, sous l'autorité directe de François Mitterrand, de faire remonter en toute hâte les archives de la DGSE sur l'affaire Barbie et les activités de la Gestapo à Lyon en général. En tout, quatre cartons et une synthèse historique, soit environ 280 dossiers explosifs qui, semble-t-il, dormaient depuis quarante ans sans jamais avoir été exploités.

  • LYCA

    Pourquoi, lors du procès de Klaus Barbie, le ministre de la défense PS a-t-il soustrait certains documents à la justice ?