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Politique

Comment Juppé et Montebourg font silencieusement monter le désir

Écoutez mon silence, voyez ma différence! Les deux hommes s'imposent désormais en en disant le moins possible, chacun dans leur camp, comme de formidables candidats de primaire.
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180316 Challenges Alain Juppé & Arnaud Montebourg
Alain Juppé & Arnaud Montebourg
(c) AFP (Montage Challenges)

Le silence est une arme. Ne rien dire est souvent le meilleur moyen pour être entendu et, au delà, pour être bien compris. La scène nationale est aujourd'hui envahie par le vacarme des mots. La polémique règne à tous les étages. Dans la surenchère des propositions, on a rarement fait mieux. Plus les responsables politiques parlent et moins leurs propos sont écoutés par une opinion sceptique ou dégoûtée. Plus ils fusent, plus ils s'usent. Plus ils s'exposent, plus ils indisposent. Dans ce concert, deux hommes pourtant se taisent ou, en tous cas, en disent le moins possible. Ils sont potentiellement les héros des primaires qui viennent, tant à droite qu'à gauche. Comme par hasard.

Alain Juppé, dans le rôle du favori et Arnaud Montebourg, dans celui du recours, sont calés sur des stratégies en tous points comparables. Discrétion, présence minimum, communication de basse tension. Qui sait ce qu'ils pensent vraiment sur les principaux dossiers qui ont agité ces derniers mois le débat politique? Sur la déchéance de nationalité, le maire de Bordeaux a dit d'emblée qu'il était contre mais qu'il l'aurait votée s'il avait été parlementaire. Et il s'en est tenu à cela. L'ancien ministre du Redressement Productif, lui, s'est contenté d'un tweet pour condamner la mesure. Puis il s'est tenu à l'écart de toute polémique. Sur la crise des réfugiés et les déchirements de l'Europe, tous deux ont fait preuve d'une rare discrétion alors que ce sont là des sujets qui les ont longtemps passionnés. Sur le projet El Khomri, enfin, l'un a condamné la méthode en laissant entendre qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'en faire tout un plat, tandis que l'autre s'est contenté de hausser les épaules.

2 statuts cohérents, 2 projets structurés

Pour autant, Alain Juppé et Arnaud Montebourg n'ont-ils plus rien à dire sur les grands sujets du moment? Poser la question, c'est y répondre. Personne n'imagine un seul instant qu'ils aient renoncé à faire entendre leur voix. Simplement, ils sont ailleurs et ils font tout pour que cela se remarque. Écoutez mon silence, entendez ma différence! Parce que la primaire, à droite, est d'ores et déjà programmée, le maire de Bordeaux, est contraint de déposer régulièrement des petits cailloux qui sont autant de marqueur sur le chemin de sa candidature. Parce qu'à gauche, la décantation n'est pas achevée, l'ex-ministre du Redressement Productif peut se faire plus rare encore, quitte à laisser d'autres parler à sa place. Mais il est clair que tous les deux ont, dans leurs camp respectifs, un statut suffisamment cohérent pour ne pas avoir à être surligné et un projet suffisamment structuré pour ne pas avoir à être précisé davantage.

Alain Juppé est au centre de la droite. Son passé atteste de ses qualités d'homme d’État. Les épreuves qu'il a traversées disent une forme de résistance. Il est identifié désormais comme un conservateur modéré, ouvert à la réforme mais rétif aux emballements. Poussé par les sondages, il apparaît donc comme un facteur d'ordre dans son camp et comme l'incarnation d'une alternance tranquille et assurée. En cela, c'est un formidable candidat de primaire puisqu'il répond aux attentes des électeurs qui, à droite, veulent le changement à l’Élysée, d'abord et avant tout.

La stratégie du silence pour surfer sur la vague

Arnaud Montebourg, lui, est en train de revenir au cœur de la gauche. Son passé atteste de ses convictions. Les épreuves qu'il a traversées disent une manière de détermination. Il est identifié désormais comme le seul responsable socialiste capable d'offrir une alternative véritable au hollandisme finissant. Il est disponible là où d'autres – Martine Aubry par exemple – sont aux abonnés absents. Il est vierge, ou presque, là où d'autres – Manuel Valls, notamment – vont devoir supporter la charge d'un bilan contesté. Il porte enfin un projet productiviste et national qui plante ses racines dans la tradition progressiste là où d'autres – Emmanuel Macron, pour ne pas le citer – en sont encore à recycler les valeurs du camp adverse. En cela, c'est un formidable candidat de primaire puisqu'il répond aux attentes des électeurs qui, à gauche, espèrent un candidat qui, telle Ségolène Royal en son temps, incarne le renouvellement et l'originalité, fut-ce au prix d'une défaite régénératrice.

A partir de là, la question n'est tant de savoir si tout cela est factice ou mérité mais de comprendre quels sont les ressorts de cette résurrection inattendue. Alain Juppé et Arnaud Montebourg avaient été laissés, il n'y a pas si longtemps, dans les fossés de la politique. Ils reviennent comme l'avers et l'envers d'une même médaille. L'un est fort parce qu'il est, aux yeux de ses supporters, la victoire sans le risque. L'autre l'est aussi parce qu'il est, aux yeux de ses soutiens, la défaite sans le renoncement. Rien ne dit, bien sûr, qu'ils seront assez solides pour supporter, demain, le choc d'une campagne présidentielle. Rien ne permet d'ailleurs d'affirmer avec certitude que la procédure de désignation à laquelle ils se préparent sera vraiment au rendez-vous. Mais dans le jeu virtuel de la primaire dont la règle essentielle n'est pas l'élection mais la sélection, ils ont aujourd'hui tous les atouts nécessaires sinon pour gagner à tous coups, du moins pour être les acteurs majeurs de la partie. S'ils sont aussi discrets, ces temps-ci, c'est qu'ils n'ont pas besoin d'en rajouter. Leur silence n'est pas une prudence de rentiers. C'est la stratégie naturelle de quiconque a su trouver le positionnement nécessaire pour surfer tranquillement sur la vague.

 

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