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Comme à la maison dans mon entreprise

Demain, les bureaux ressembleront à des cafés chics ou à de beaux hôtels, avec des espaces hybrides, entre lieu de vie et lieu de travail. Tant mieux pour la productivité. Et pour le bien-être.

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Par Anne-Cécile Sanchez

Publié le 18 mars 2016 à 01:01

Sa dernière mission dans un grand groupe hôtelier? Laurent, informaticien, en garde un bon souvenir: un bâtiment confortable baigné de lumière naturelle, du café à volonté, des mini-salons où se poser pour discuter. «Et, à titre personnel, de gros progrès au baby-foot... grâce à celui mis à dispositiondans l'entreprise», plaisante-t-il volontiers, soulignant que ces entraînements réguliers lui ont aussi permis de mieux faire connaissance avec les équipes. Votre entreprise est-elle plutôt baby, billard ou ping-pong? Avez-vous l'habitude, encouragé(e) par vos employeurs, de piquer régulièrement un somme dans l'espace «sieste»? Préférez-vous faire un point avec vos collègues à la cafétéria, au soleil sur la terrasse ou affalé sur un des canapés de votre étage? Soucieux d'être plus conviviaux, moins cloisonnés, parfois dotés d'espaces de détente, voire de salles de jeux, les espaces de travail témoignent d'un phénomène auxquels les salariés semblent de plus en plus sensibles. «Dans notre palmarès 2016 - publié le 23 mars - la question concernant les locaux et les équipements donne lieu à 84% d'appréciation positive contre 66% en 2006», révèle Patrick Dumoulin, directeur du cabinet de conseil en management Great Place to Work. «Nous qui accompagnons les entreprises depuis plus de vingt ans, du choix du site jusqu'à son aménagement, nous remarquons depuis cinq ans une accélération des changements, confirme Ghislain Grimm, directeur Workplace Solutions et innovation chez Colliers, spécialiste de l'immobilier d'entreprise. L'évolution des bureaux suit celle du travail.»

Petit retour en arrière, au début du xxie siècle, avec l'arrivée massive du numérique dans les entreprises et l'émergence, en Californie, des starts-up. Très vite, elles se muent en multinationales sans renoncer à leur esprit «cool», preuve qu'on peut aussi «faire du chiffre» dans un environnement ludique, certes parfois à la limite de l'infantilisation. Multiculturelle, riche de trois à quatre générations de cols blancs, l'entreprise fait face aux nouvelles attentes de jeunes salariés qui aspirent à un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée. Au même moment, la nature des tâches remet en question la logique hiérarchique pyramidale et les contrats courts se multiplient. Aujourd'hui, place à l'organisation «agile». «Il est de plus en plus fréquent de voir les gens travailler sur un objectif collectif au sein d'une équipe qui n'est pas définie par l'organigramme», remarque Ghislain Grimm. Cette nouvelle donne «en mode projet» s'inscrit dans un espace qui s'adapte à la mobilité des salariés. En moyenne, ces derniers passeraient seulement la moitié de la journée derrière leur écran. Le reste du temps, ils bougent, communiquent, ont des rendez-vous, se livrent à des réunions impromptues, participent à des visioconférences... et font une pause! Or, «si deux cadres commerciaux de deux secteurs différents se croisent à la machine à café, ils vont prendre cinq minutes pour se raconter leur week-end au ski et vont finir par parler de leurs clients respectifs», estime Pieric Brenier, président du groupe rhodanien C'Pro. Ce qui s'appelle fluidifier les échanges.

Le bien-être au travail, auquel contribuent fortement les locaux, se mesure: «-23% d'absentéisme, +30% de productivité», souligne le palmarès Great Place To Work. «Le bureau est un outil de management autant qu'une vitrine de l'entreprise», renchérit Natascha de Saint-Jean, directrice du pôle innovation sociale, bonnes pratiques et études. «Non seulement nous souhaitons que nos collaborateurs adhèrent au projet, qu'ils se reconnaissent dans l'entreprise, donc dans ses espaces de travail, confirme Maxime Baumard, responsable du pôle marketing de la start-up nantaise iAdvize, mais nous recrutons en permanence dans un contexte de grande concurrence; nous devons donc être attractifs.» L'image de marque se joue aussi là. Mobilier design, oeuvres d'art - comme celles de la collection Société Générale - équipement high-tech mais aussi terrasse panoramique, cafétéria pimpante et aménagements témoignant des bonnes intentions de l'entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs... Sur le site Web d'iAdvize, la vidéo de présentation n'oublie pas de zoomer sur le barbecue géant de la terrasse avec vue sur la Loire. Va-t-on bientôt choisir son lieu de travail comme son spot de vacances? En tout cas, «les bureaux ressembleront moins à des bureaux qu'à des lieux à l'esthétique proche de l'hôtellerie ou du café», prédit Ghislain Grimm. Chez Colliers, on peaufine d'ailleurs un nouveau concept, baptisé NEXT, pour Nouvelle Expérience de Travail.

Bosser, bouger, buller

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Si le modèle paternaliste a vécu, l'entreprise se plaît parfois à mimer les codes du cocon familial. Un billard trône dans le hall d'accueil du cabinet de conseil Davidson, à Boulogne-Billancourt, élu deux fois «Great place to work» (2014 et 2015). Dans les étages, les bureaux aménagés pour quatre personnes comprennent un espace réunion fermé, meublé d'un canapé et agrémenté d'une reproduction au mur, ainsi qu'un coin fauteuil - table basse où s'isoler seul ou à deux pour les réunions plus informelles. «Nous avons longtemps eu des bureaux très moches, reconnaît Bertrand Bailly, le directeur général. Et puis nous avons atteint une taille importante, investi cet immeuble neuf et là s'est posée la question: on rentabilise le mètre carré ou on fait différemment puisqu'on est différent?» Attentive au principe de «la symétrie des attentions», la société a décidé de le mettre en oeuvre dans ses bureaux. «Ce n'est pas une question d'argent, assure Bertrand Bailly. On a simplement essayé de faire chaleureux.» Chaque équipe a pu choisir son code couleurs déco sur une palette «Pimp my Home Office» allant du noir et blanc au jaune citron, en passant par le bleu turquoise. Résultat, sans être dans World of Interiors, l'atmosphère est sereine. «On gagne en sérénité de travail dans cet environnement» , résume Bertrand Bailly. Il n'hésite pas à donner l'exemple en s'accordant de brèves siestes sur le canapé de son bureau, visible depuis le couloir. Chez Davidson, on peut faire la sieste dans une pièce conçue à cet effet et prendre rendez-vous pour un massage une fois par semaine. Sweet Home.

Même recherche d'harmonie chez iAdvize, où la moyenne d'âge plafonne à 29 ans. «Les bureaux ont été pensés comme un lieu de vie, explique Maxime Baumard. Même s'il est rare d'y trouver du monde au-delà de 19h30.» Aménagement phare de la société nantaise - outre sa terrasse avec barbecue géant -, Le Square, une cantine lumineuse conçue comme un restaurant, où se tiennent chaque mois les «60 minutes du boss», mais aussi la Chandeleur, des concerts, ou des soirées jeux de société, quelque part entre le campus américain et l'auberge espagnole de Cédric Klapisch. Chez BlaBlaCar, qui emménageait début mars dans l'immeuble #Cloud. Paris (voir encadré), on a investi dans un matériel numérique sophistiqué, mais aussi pour une part dans le mobilier chiné auprès de brocanteurs, afin de meubler les trois «cuisines» thématiques - campagne, bistrot et coffee-shop new-yorkais.

L'open space réinventé

«Créer des espaces hybrides (de travail et de vie) qui encouragent synergies, circulation de l'information et interactions, c'est en effet une des clefs d'un management collaboratif efficace, note Natascha de Saint-Jean. C'est l'autre tendance de fond de ces dernières années: on décloisonne. Histoire d'abattre «les barrières» hiérarchiques et physiques, obstacles potentiels à la rencontre», et accessoirement, de gagner des mètres carrés. La différence avec les open spaces standardisés où on partage bruit, odeurs de déjeuner et... stress? La modularité. Celle-ci se traduit par la variété des aménagements. Chez Accenture, témoigne Marc Thiollier, secrétaire général France, tout a été repensé en partant des situations de travail: plus de 200 ont ainsi été identifiées, regroupées selon une quinzaine de typologies. Idem chez BlaBlaCar qui a configuré son nouveau siège selon un panel allant du plateau organisé par projet aux alcôves «instant meeting». Le «brief» pour le site de Sanofi à Gentilly, où 3000 collaborateurs ont été regroupés sur 50000 m2? Favoriser le partage d'expérience, la collaboration et la créativité. A l'arrivée, les salariés n'ont pas de bureau personnel, mais «peuvent choisir entre différents espaces, certains dédiés à la concentration, d'autres plus propices aux échanges.»

Le mobilier accompagne cette recherche de flexibilité: dans le bâtiment R&D flambant neuf de Kronenbourg, chacun peut monter et descendre son bureau, tandis que la pièce de brainstorming offre de se tenir debout, assis ou allongé... De la chaise rigide au pouf, du tabouret haut au fauteuil enveloppant à larges oreilles, la diversité d'assises réunies sur un même plateau donne un peu le tournis. Tout est fait pour casser l'impression d'uniformité caractéristique des open spaces. Reste que le décloisonnement suscite parfois quelques réticences, surtout chez les managers attachés à leur bureau. Pour faire passer la pilule, chez C'Pro, qui réaménage son siège de Valence et son agence lyonnaise, «nous avons veillé à ce que quand on rentre chez nous, il y ait un effet «Wow!», assure Pieric Brenier. Nous avons installé plein de petits boxes différents qui permettent de s'isoler, pour téléphoner, faire un entretien, recevoir un client ou un fournisseur.»

Ces derniers ne s'étonneront pas de trouver lors de leurs visites bornes d'arcade, tables de ping-pong et de billard, ou des instruments de musique tels un piano et une guitare électriques équipés de casque, chez Davidson. «Comme toute start-up qui se respecte, nous avons deux babyfoots» , précise le chargé de communication chez BlaBlaCar. Honni par les uns - «un gadget ringard» , élude Patrick Dumoulin - mais adoré par les autres. «Si vous l'enlevez, vous avez une révolution ici», prévient Bertrand Bailly, du cabinet Davidson. Au fond, le babyfoot est à l'entreprise ce que le port de la Stan Smith est au plus de 40 ans: un signe discret que l'on est forcément, subtilement, en phase avec son époque. Mais la devise «Fun & Serious» chère, entre autres, à BlaBlaCar ne fait pas l'unanimité: «Nous avions mis une petite salle de jeu équipée d'une console un peu innovante, avec reconnaissance des mouvements; ça n'a pas pris, reconnaît Marc Thiollier. On l'a démontée au bout d'un an.» En ce moment, Accenture teste une autre expérience: des tapis de course pour téléphoner en marchant sans déranger ses collègues par ses allées et venues. Succès mitigé à Paris, mais l'initiative semble plus appréciée dans les locaux de Bruxelles. Précisons que les tapis sont bridés: pas question non plus de piquer un sprint.

Coworking à la carte

Accenture incite ses collaborateurs à opter un ou deux jours par semaine pour le travail à domicile. «Le télétravail, c'est win-win-win, professe Marc Thiollier. Gain de temps pour les salariés moins stressés par les transports, donc des équipes en meilleure forme, plus fidèles et loyales à l'entreprise, qui économise 20% d'espace à réinvestir ailleurs.» En ouvrant un compte chez Neo-Nomade? C'est le pari que fait Baptiste Broughton, cofondateur de ce site de réservation en ligne d'espaces de coworking créé en 2013. Les entreprises adhérentes peuvent allouer à leurs collaborateurs un crédit locatif dans des tiers lieux. Une à deux fois par semaine, chaque salarié peut réserver directement en ligne l'espace de travail de son choix. L'entreprise est facturée en fin de mois à l'usage réel. Il existait une dizaine d'espaces de coworking en France il y a cinq ans. Neo-Nomade en recense aujourd'hui 400.

La tête dans les nuages au centre de paris

«Un ensemble immobilier de 35000 m2 de bureaux avec des plateaux filants de 3000 m2, c'est unique à Paris», souligne Dimitri Boulte, directeur général délégué de la Société foncière lyonnaise. L'énorme chantier de restructuration du complexe occupé par le Crédit Lyonnais jusqu'en 2011 a pris trois ans. L'immeuble #Cloud.Paris se pose aujourd'hui comme un must du genre, avec trois restaurants donnant sur des cours ou des terrasses; un centre de fitness intégré; un hall d'accueil évoquant le lobby d'un hôtel de luxe signé du designer Noé Duchaufour-Lawrance, enfin une «cinquième façade», soit un toit terrasse de 800 m2 offrant un point de vue panoramique. «Les bureaux constituent un poste de dépense très important pour les entreprises, il faut le voir comme un investissement productif, qui peut permettre de fluidifier l'organisation mais aussi de valoriser la société vis-à-vis de ses collaborateurs, de ses clients et des candidats à l'embauche, qui en ont fait un critère de choix à part entière», assure Dimitri Boulte.

La salle de réunion selon Mathieu Lehanneur

Lancée en 2013 à Londres, la Pullman Playground Business Room a ouvert dans deux des hôtels parisiens de la chaîne et s'apprête à voir le jour à Berlin. C'est un succès pour le designer Mathieu Lehanneur, qui s'est inspiré des salles de poker, comme en témoigne la bordure en cuir confortable de la grande table centrale invitant à porter son corps, et son attention, vers l'avant. Au milieu du plateau, une boîte où piocher des objets ludiques comme des accessoires de travail. Plus loin, la zone informelle de la pièce comporte, elle, un meuble hybride, table basse, repose-pieds ou assise, surmonté d'un dôme de projection dans lequel tourne en boucle la vidéo d'une canopée bercée par le vent. Histoire de pouvoir s'échapper mentalement en levant les yeux au ciel tout en maintenant une attention flottante: configuration idéale pour le brainstorming.

Par Anne-Cécile Sanchez Illustrations : Tristan Bonnemain

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