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Pour les habitants de Molenbeek, une impression de déjà-vu

La commune belge a encore une fois subi l’attention des médias, vendredi, en raison de l’arrestation de Salah Abdeslam. Entre résignation et curiosité, les habitants s’habituent à l’exceptionnel.

Par  (Bruxelles, envoyé spécial)

Publié le 19 mars 2016 à 02h27, modifié le 19 mars 2016 à 11h00

Temps de Lecture 4 min.

Place Oisiers, à Molenbeek, les habitants du quartier de la rue des Quatre-Vents attendent de rentrer chez eux, vendredi 18 mars.

Comme une désagréable impression de déjà-vu, celle d’être pour quelques heures au centre du viseur. La ville belge de Molenbeek, où Salah Abdeslam, l’un des auteurs présumés des attentats du 13 novembre, a été arrêté vendredi 18 mars, a connu une nouvelle fois l’angoisse d’une journée d’opérations antiterroristes. Rues bouclées, sirènes de police incessantes, détonations…

La dernière fois que la petite commune populaire avait vu pareille agitation, c’était quelques jours après les attaques de Paris. Salah Abdeslam avait séjourné dans un immeuble de la rue Delaunoy, à quelques mètres à peine de l’endroit où il a finalement été interpellé vendredi, rue des Quatre-Vents. Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attentats abattu dans l’assaut de Saint-Denis, avait, lui, passé sa jeunesse dans ce même quartier, qui a en outre fourni un bon contingent de départs vers la Syrie. Les journalistes du monde entier s’étaient déplacés et la ville inconnue quelques jours auparavant était devenue le symbole international de la radicalisation islamiste.

Cette fois-ci, les habitants connaissent le film. La plupart répondent d’avance aux questions que les premiers journalistes arrivés sur place ne leur ont pas encore posées. Leur ville est « tranquille » et leur religion, l’islam pour la plupart des gens présents, « n’a rien à voir avec tout ça ». « C’est une commune ici, pas une banlieue. Les banlieues, c’est en France », lance une habitante voilée, un enfant dans les bras. Un homme, la cinquantaine, habillé d’une veste en cuir se rapproche et se renseigne : « Vous êtes journalistes ? Je ne leur parle pas aux journalistes. »

Explosions de grenades

Quelques minutes plus tard, n’y tenant plus, il se lance : « Ceux qui ont fait ça à Paris, ce ne sont pas des musulmans, ce sont des crétins ! L’islam, c’est la paix. » Au milieu d’un groupe de jeunes hommes, Elias, 26 ans, barbe bien taillée et look soigné, défend cette commune où il a grandi. « C’est un quartier populaire, mais où il y a de la solidarité, de la tolérance, du multiculturalisme. Il y a plus d’humanité qu’ailleurs », affirme-t-il en montrant de la main les petites résidences en brique de la rue. Un autre veut lancer une marque de T-shirt avec inscrit « Molenbeek » dessus, et apprend avec déception qu’un habitant du quartier a déjà eu l’idée.

La nuit commence à tomber sur la ville. Les opérations policières semblent presque achevées, même si des explosions de grenades viennent rappeler de temps en temps la présence des forces d’intervention. Derrière les cordons de police, la curiosité a remplacé l’inquiétude initiale. Les habitants s’installent, comme sur la place du village, et commentent les événements. « C’est Abdeslam ? Il est blessé ? Ils l’ont tué ? Ils étaient combien ? » Les locaux interrogent les journalistes qui eux-mêmes les interrogent en retour. « Qui a vu quoi ? Qui a entendu quelque chose ? » Un homme, la soixantaine, raconte que la police lui a crié de rentrer chez lui et qu’il a entendu des coups de feu. Sa voiture, garée devant, a été touchée. « Elle est neuve, j’espère qu’ils vont m’en payer une nouvelle. »

« Non. Ça, c’est les services secrets… et les sionistes »

Les rumeurs commencent à circuler. Le même assure qu’il sait « par Facebook » que Salah Abdeslam s’est échappé de l’hôpital. Un autre, âgé d’une quarantaine d’années, bonnet sur la tête, tente de convaincre un plus jeune que lui que le 13 novembre n’était que mise en scène. « Ce ne sont pas des terroristes, ils n’ont tué personne, ils se sont fait sauter dans des ruelles désertes », explique-t-il doctement. « Mais ils ont tué en tirant quand même », tente l’autre, légèrement dubitatif. « Non. Ça, c’est les services secrets… et les sionistes », rétorque le premier. A ce dernier mot, le jeune homme se rembrunit. « Oui. Ça, je sais que ce sont les sionistes », lâche-t-il, soudainement vaincu par le poids de l’argumentation.

Les résidents de la zone bloquée négocient le passage avec les forces de l’ordre. Une échauffourée éclate dans une rue, bientôt remplie de policiers, bouclier au poing. Deux femmes, qui ont « des personnes âgées à domicile », sont escortées jusqu’à leur porte. Les recalés ont le choix entre patienter ou se diriger vers le foyer communal.

« La population le vit très mal »

Les tracas du quotidien ont repris le dessus. Un homme qui habite dans un immeuble investi par les forces de l’ordre s’inquiète de savoir s’ils ont défoncé les serrures. Un groupe de jeunes a entamé de son côté une grande discussion avec un policier… sur les contrôles au faciès. Occasion unique de discuter tranquillement. Un trio de grands-mères voilées s’inquiète de la suite. « Qu’est ce qu’il va encore nous arriver demain ? », demande l’une d’entre elles à la cantonade.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Molenbeek, le désarroi des Belges

« La population le vit très mal. Les habitants se sentent terriblement agressés parce que l’immense majorité condamne ce qu’il s’est passé, explique l’ancien bourgmestre socialiste, Philippe Moureaux, qui a écrit un livre sur sa commune. La vraie question maintenant, c’est de savoir si on a totalement nettoyé cette cellule terroriste. » À Molenbeek, on espère que l’impression de déjà-vu ne va pas devenir une habitude.

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