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En Gambie, la « République islamique » dont personne ne veut

Le plus petit pays d’Afrique continentale a été proclamé République islamique il y a trois mois par le président Yahya Jammeh. Depuis, rien ne semble avoir changé.

Par  (Banjul, envoyée spéciale)

Publié le 07 mars 2016 à 18h15, modifié le 24 mars 2016 à 12h33

Temps de Lecture 5 min.

Un ferry à Banjul, capitale de la Gambie.

Au Happy Corner ce soir, c’est rumba et pas question de charia. « Il ne peut pas nous faire ça. Le tourisme, nous n’avons que ça ! », s’exclame Lamine (tous les prénoms ont été modifiés), le serveur, chemise blanche et large sourire, en prenant à témoin la terrasse du restaurant remplie d’Anglais, venus tromper le froid de février en s’offrant des vacances dans l’ancienne colonie britannique.

Musique sous les palmiers, alcool, sexe bon marché pour quinquagénaires esseulé(e)s. Le long de l’océan, où se concentrent hôtels de luxe et villas sécurisées, dans la toute nouvelle République islamique proclamée en décembre 2015 par l’homme fort du régime Yahya Jammeh, rien ne semble avoir changé. « Regardez, je ne suis pas voilée. Ici, ce n’est pas l’Egypte », veut rassurer Amie, une vendeuse de colliers, en montrant ses bras nus. « Même les fonctionnaires, elles sont pas obligées. »

« Allons-nous couper les familles en deux ? »

Quelques semaines après avoir fait basculer la Gambie dans les rangs des Etats régis par les lois de l’islam, celui qui briguera un cinquième mandat en décembre avait aussi décrété le port du voile obligatoire dans les administrations. Avant de se raviser. « Je suis musulman, ma sœur est chrétienne. Des chrétiens occupent des postes importants dans les ministères, au gouvernement. Allons-nous couper les familles en deux ? Allons-nous les renvoyer ? C’est impossible », tranche Sarjo au volant de son taxi vert réservé aux touristes qui veulent aller à Banjul, la capitale, ou visiter les parcs alentour peuplés de singes et de crocodiles apprivoisés.

Affiche à la gloire de Yayah Jammeh dans Banjul, la capitale de la Gambie.

A vrai dire, nul ne connaît avec certitude le dessein de Yahya Jammeh. L’ancien lieutenant, qui cultive son image de bon musulman en s’affichant en public un coran et un chapelet à la main, a donné pour seule explication que « les musulmans forment la majorité en Gambie ». Les bailleurs, qui maintiennent sous perfusion le plus petit Etat d’Afrique continentale – moins de 2 millions d’habitants concentrés sur une étroite bande de terre taillée dans le Sénégal – et l’un des plus pauvres aussi, sont aux aguets. Et si à la misère et à la violation des droits civiques devait s’ajouter la formation d’un nouveau point d’ancrage pour l’islam radical en Afrique ? « Pour l’instant, nous n’avons constaté aucun changement, mais nous restons vigilants », reconnaît Ade Mamonyane Lekoetje, la représentante du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), dont l’immeuble à Cape Point regroupe, derrière des barbelés, la plupart des agences onusiennes présentes dans le pays.

Pour éteindre l’incendie déclenché par l’injonction d’un président connu pour ses déclarations imprévisibles, ministres et hauts fonctionnaires s’efforcent de délivrer un message rassurant. « Ici, nous n’avons aucune tolérance pour les terroristes. Les chrétiens vont à l’école avec les musulmans. L’alcool est en vente libre », énumère Pa Ousman Jarju, le jeune ministre de l’environnement, derrière son bureau rouge acajou, un coran à portée de main.

« Ici, nous n’avons aucune tolérance pour les terroristes », affirme Pa Ousman Jarju, le ministre de l’environnement

Pas suffisant toutefois pour convaincre la communauté chrétienne. Dans la cathédrale Sainte-Marie, juste séparée du palais présidentiel par une pelouse qui sert à la parade et aux rassemblements officiels, le père Jacob, aux côtés d’autres représentants des Eglises gambiennes, « dialogue » avec les autorités depuis la mi-décembre 2015. « Nous redoutons le fondamentalisme. La Gambie est un Etat laïc et doit le rester. Le président ne peut en décider autrement sans consulter le Parlement, ni changer la Constitution », a-t-il plaidé à plusieurs reprises devant la vice-présidente, Isatou Njie Saidy.

« Ni liberté, ni démocratie »

Le long de la quatre-voies qui relie Banjul aux villes côtières, d’immenses portraits du leader, toujours vêtu d’un boubou blanc, vantent ses qualités de « vrai frère », ou remercient pour les vingt années écoulées qui permettent aux Gambiens de dire « nous sommes mieux maintenant ». A intervalles réguliers, des militaires lourdement armés contrôlent les véhicules, pour « veiller à la sécurité ». Les habitants, exaspérés, s’y plient avec fatalité. Dire ce qu’ils pensent est trop risqué. « Ici, il n’y a ni liberté ni démocratie. Les élections sont truquées. Ceux qui osent critiquer le président vont en prison, sont torturés, quand ils ne sont pas tout simplement liquidés. Des centaines de personnes sont mortes comme cela », lâche Kemo en faisant promettre de ne pas révéler son identité.

Lui a toutefois la chance d’avoir un emploi et d’être fonctionnaire. C’est loin d’être la panacée, mais avec sa vieille Mercedes et son costume mal coupé, il fait encore partie des privilégiés. Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. La sécheresse de 2014 a plombé les récoltes et le virus Ebola, même si la Gambie n’a pas été directement touchée par l’épidémie, a donné un coup d’arrêt à l’activité touristique qui commençait seulement à redémarrer.

Les caisses de l’Etat se sont vidées. Pour couvrir la paie des fonctionnaires, le service de la dette et quelques dépenses « extraordinaires », comme une généreuse distribution de 4 x 4 épinglée par le Fonds monétaire international (FMI), en septembre 2015, le gouvernement a fait fonctionner la planche à billets et émis à tout-va des bons du Trésor. Jusqu’à étouffer l’activité.

Appel du pied aux monarchies du Golfe

Avec des taux d’intérêt supérieurs à 20 %, plus personne n’a les moyens d’emprunter. Quant aux priorités de développement affichées par Banjul, il y a longtemps que leur financement est tributaire du bon vouloir des créanciers étrangers. Le regain de foi affiché par M. Jammeh a été interprété par certains comme un appel du pied aux riches monarchies du golfe Persique, moins sourcilleuses sur le respect des droits de l’homme en général et sur ceux des homosexuels en particulier. Homosexuels que le leader gambien, dans une récente déclaration, menaçait d’égorger.

Dans cette « prison à ciel ouvert », la jeunesse regarde plus que jamais au-delà des frontières. Quel qu’en soit le prix à payer. En 2015, près de 8 500 Gambiens sont parvenus à rejoindre les côtes italiennes après un périple long de 5 000 km passant par le Sahara, la Libye puis la traversée de la Méditerranée.

A quelques pas du Happy Corner, Dembo, 20 ans, les yeux rivés sur son téléphone portable, montre à qui veut la page Facebook de son meilleur ami : « Lui a réussi ! » Sur son compte, le migrant, qui a trouvé asile en Allemagne, a posté une photo sur laquelle il pose crânement dans le canot qui lui a ouvert les portes de l’Europe. Une sorte de défi.

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