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En Chine, disparition du journaliste Jia Jia

Les membres de la famille de l’animateur d’une plate-forme de blogs très populaire ont été interrogés par des agents sur une pétition apparue sur le site Watching et adressée au président Xi Jinping.

Par  (Pékin, correspondant)

Publié le 20 mars 2016 à 07h07, modifié le 20 mars 2016 à 14h01

Temps de Lecture 4 min.

Le bloggeur chinois Jia Jia.

La disparition, mardi 15 mars, du journaliste Jia Jia, collaborateur régulier des médias de Hongkong et animateur d’une plate-forme de blogs très populaire sur le site Tencent, a mis en émoi la communauté des journalistes et avocats chinois pro-démocatie.

« Ça recommence ! » confie une ex-collaboratrice chinoise de Jia Jia en contact avec son entourage et elle-même emprisonnée dans le passé. « Sa femme l’a eu au téléphone après qu’il a franchi la douane, alors qu’il allait embarquer sur un vol pour Hongkong. Et puis plus rien ! » dit cette journaliste sous couvert d’anonymat. La police de l’aéroport de Pékin a confirmé dimanche 20 mars après-midi détenir le blogueur, après l’avoir nié jusque-là.

Jia Jia, dont les parents vivent aux Etats-Unis, avait décidé de partir se mettre au vert à Hongkong, où il devait participer à un séminaire, après que des membres de sa famille dans le Shaanxi ont reçu la visite d’agents venus les interroger sur ses activités. L’objet de leurs questions portait sur une pétition adressée au président Xi Jinping et mystérieusement apparue le 4 mars sur le site d’information Watching (Wujie en chinois), un nouveau média de la galaxie « libérale » chinoise – c’est-à-dire faisant partie des médias chinois les plus critiques dans leur ton, tout en étant soumis à la censure.

Jia Jia avait été le premier à prévenir le rédacteur en chef du site, Ouyang Hongliang, avec qui il était ami, de la présence de la lettre en ligne : typique des brûlots que publient les sites dissidents en exil, celle-ci n’avait aucune chance d’apparaître sur un site chinois, tant les sanctions seraient lourdes. Ouyang Hongliang a aussitôt été interrogé par la police.

Signée de « membres loyaux du parti communiste », la pétition en question ne demande rien moins que la démission de Xi Jinping. Les auteurs reprochent à Xi Jinping d’avoir réalisé une « concentration excessive du pouvoir » dans ses mains, au mépris de « la tradition de direction collective du parti ». Malgré les aspects positifs de la lutte anti-corruption et des réformes menées depuis 2013, l’année de l’intronisation de M. Xi, sa gouvernance aurait conduit, selon la pétition, à des crises sur tous les fronts – « politiques, économiques, idéologiques et culturels ». Les griefs des signataires portent aussi bien sur la paralysie de l’administration en raison des purges incessantes, que sur la gestion irrationnelle du crash boursier de l’été, ainsi que sur les turbulences provoquées par l’agressivité de M. Xi à l’étranger, mais aussi à Taïwan et Hongkong. Le projet des nouvelles routes de la soie a en outre conduit à « promettre des sommes colossales tirées des réserves de change dans des pays où règne le chaos, sans espoir de retour sur investissement ».

La lettre est apparue sur le site de Watching au moment de l’ouverture de la session parlementaire, alors que le verrouillage des médias chinois avait provoqué un malaise palpable dans l’opinion publique, et jusqu’au sein du parti, suite à l’affaire Ren Zhiqiang – un grand patron de l’immobilier et membre du parti communiste mis au pilori fin février pour avoir critiqué l’allégeance absolue que Xi Jinping exigeait des médias officiels.

Failles de la gouvernance chinoise

En sus de Watching, la pétition a été publiée presque simultanément par deux sites de l’opposition démocratique en exil – Canyu (China Free Press) et Mingjing Press. Le site étranger China Change estime que Canyu a été le premier à le faire, suivi par Watching puis Mingjing news. Tout le monde écarte une erreur de la part des éditeurs du site Watching : l’hypothèse qui circule attribue sa publication en ligne à des pirates informatiques. Soit des hackers auraient voulu « faire un coup » pour embarrasser le gouvernement chinois. Soit ils chercheraient à incriminer le site Watching. « Il est évident que Watching ne pouvait pas publier une telle lettre demandant la démission de Xi, c’est totalement impossible en Chine », ajoute la journaliste citée plus haut. « Les gens de Watching ne savent plus quoi faire. Ils pensent que cela a donné un prétexte à la police pour leur nuire car ils sont considérés comme libéraux. Qui sait dans quel but Jia Jia a-t-il été arrêté et quelles en seront les conséquences ? Rien ne dit que la police ne va pas essayer d’obtenir de lui des informations, ou de le pousser à collaborer avec eux » poursuit-elle.

Âgé de 35 ans, Jia Jia s’est fait connaître par ses tribunes caustiques sur les failles de la gouvernance chinoise. Lors de la catastrophe de Tianjin en août, il avait épinglé le zèle des médias officiels chinois à ne rapporter que des histoires positives sur les sauveteurs au lieu d’explorer les causes de l’incident.

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Lancé en 2015, Watching n’est pas un média d’Etat – même s’il doit strictement obéir aux instructions de la propagande : son propriétaire est le SEEC Media Group, qui possède le site d’information économique Caijing, lui aussi considéré comme libéral. Ce sont des journalistes de Caijing qui animent Watching. Le gouvernement du Xinjiang, ainsi qu’Alibaba, ont participé au tour de table du nouveau média.

Le SEEC Media group est coté à Hongkong et présidé par Wang Boming, un « prince rouge », fils d’un ancien adjoint de Zhou Enlai. M. Wang est réputé proche à la fois de Xi jinping et de Wang Qishan, le tsar anti-corruption. Son frère dirigeait le courtier Citic Securities – avant d’être poussé à la retraite en novembre 2015 à la suite des cas de supposés délits d’initié dans ses équipes pendant le fiasco boursier de l’été dernier. Cet arrière-plan laisse entendre que l’affaire peut-être plus complexe qu’il n’y paraît dans un contexte de grogne montante au sein du parti, mais aussi d’une partie de l’aristocratie rouge, face à la dérive autoritaire de Xi Jinping.

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