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Bradley Birkenfeld, l’homme qui a coûté 780 millions de dollars à UBS

Le témoignage de l’ex-chargé d’affaires a contraint la banque suisse à payer une amende aux Etats-Unis. En 2015, il a assuré aux juges français que la banque violait la loi en toute connaissance de cause.

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Publié le 18 février 2016 à 15h35, modifié le 11 mars 2016 à 17h02

Temps de Lecture 4 min.

Quand Le Monde l’avait rencontré en mars 2015, dans la suite luxueuse d’un palace parisien, Bradley Birkenfeld, bientôt 51 ans, ancien salarié d’UBS AG, n’avait pas de mots assez durs pour décrire un système pensé par la banque comme un « business plan ». Un système qu’il comparait alors à de « l’extorsion de fonds » d’une banque contre des Etats. Lui même faisait partie de ce qu’il appelle les « chasseurs ». Ces chargés d’affaires qui voyageaient de Genève vers les Etats-Unis équipés de leur ordinateur sécurisé dans le but de convaincre de riches Américains de placer de l’argent dans le coffre-fort suisse.

En 2009, son témoignage, plus proche de celui d’un repenti que d’un lanceur d’alerte, avait contraint UBS à verser une amende de 780 millions de dollars (700 millions d’euros) aux Etats-Unis. Une transaction qui permettait à la banque de conserver sa licence sur le territoire américain. La banque suisse avait aussi dû rompre le secret bancaire et transmettre l’identité de 4 450 clients américains soupçonnés d’avoir fraudé le fisc. Bradley Birkenfeld avait toutefois omis de dénoncer son plus gros client, ce qui lui avait valu d’être incarcéré pendant plus de deux ans pour complicité de blanchiment de fraude fiscale.

Un chèque de 104 millions de dollars de la part du fisc américain

L’histoire s’était finalement bien terminée pour lui. Fort reconnaissant pour les informations livrées par l’ex-chargé d’affaires, le fisc américain l’a rendu riche, très riche, en lui faisant un chèque de 104 millions de dollars, soit, après impôt, 78 millions de dollars. « Parfois, le crime paye », avait écrit à son sujet le New York Times, rappelant ainsi qu’il n’avait commencé à s’opposer aux pratiques de son employeur que lorsqu’il avait pris conscience qu’il serait le seul à risquer des poursuites si celles-ci étaient découvertes.

Quelques jours avant d’accorder un entretien au Monde, Bradley Birkenfeld avait raconté au juge financier Guillaume Daïeff ce qu’il avait pu observer aux Etats-Unis entre 2001 et 2006, recoupant du même coup les éléments recueillis jusqu’ici par la justice française. De la même manière que la banque a tenté de décrédibiliser les témoignages d’anciens salariés français, parmi lesquels Stéphanie Gibaud et Nicolas Forissier, qui ont contribué à dénoncer ses pratiques en France, elle avait indiqué que « la crédibilité [de M. Birkenfeld], qui a fait des pieds et des mains pour être invité par le juge français, qui a dû recevoir une autorisation spéciale d’un juge américain pour pouvoir voyager du fait de son statut judiciaire de liberté surveillée et qui n’a jamais travaillé dans les activités sur lesquelles porte l’instruction, devrait être très limitée ».

« De la pure façade »

Dans une audition dont Le Monde a pris connaissance, M. Birkenfeld expliquait pourtant sans détour que « l’objectif d’UBS Private Banking était de collecter de l’argent frais de tous les autres métiers de la banque, et partout dans le monde, mais pour ensuite l’envoyer en Suisse. »

Alors que la banque a toujours affirmé que les résidents français ouvraient des comptes en Suisse pour échapper à la crise de la zone euro et trouver des produits financiers de meilleure qualité, M. Birkenfeld a avancé une autre explication. A ses yeux, la raison était simple : « C’est en Suisse qu’UBS facture aux clients le plus de frais (…). Le client accepte évidemment de payer plus de frais à sa banque lorsqu’elle lui permet de ne pas payer des impôts. »

Avec un sens certain de la formule, M. Birkenfeld a démonté les documents dans lesquels la banque avait pris soin de détailler à l’attention de ses employés les contours légaux de leur activité, excluant ainsi le démarchage bancaire. « Ces instructions n’étaient jamais respectées, et UBS le savait. (…) C’était ce qu’on appelle “protéger son cul” : de la pure façade. Pensez-vous qu’UBS était prêt à dépenser 10 000 dollars pour deux semaines de voyage professionnel aux Etats-Unis, si c’était uniquement pour que j’aille présenter leurs relevés bancaires à des clients existants et rien d’autre ? », feint-il de s’interroger.

La volonté de collecter l’argent pouvait prendre différentes formes. Au magistrat français, M. Birkenfeld a donné l’exemple suivant : « Vous êtes propriétaire d’une exploitation viticole dans le Bordelais, pour la vente vous faites appel aux équipes d’investment banking d’UBS [distinctes des équipes de vente privées] et qu’on appelle CAG. Le conseiller CAG vous recommande alors à son partenaire de la banque privée, pour que vous placiez le produit de la vente chez UBS Private Banking. »

Malgré les dénégations de la banque, M. Birkenfeld a en outre assuré que les chargés d’affaires étaient formés à la constitution de sociétés offshore. Des « check-list » détaillant « tous les documents nécessaires pour la constitution de sociétés de domicile [« corporation »] et de trust [« corporate trustee »] dans toutes les juridictions du monde » leur étaient ainsi distribués.

Comme acheter un pistolet

L’enquête judiciaire en France a permis d’établir que chez UBS, près d’un client français irrégulier sur dix possédait une société offshore non déclarée, selon le bilan établi en janvier 2015 par la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale. Pour M. Birkenfeld, « ce système permettait à la banque deux choses : le contrôle du client et la multiplication des frais bancaires. Quand vous êtes bénéficiaire d’un trust avec un compte chez UBS et dont UBS est trustee, c’est beaucoup plus compliqué de quitter UBS et cela augmente les honoraires. »

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Selon M. Birkenfeld, dire, comme l’a fait UBS, qu’aucune loi ne l’obligeait à vérifier que ses clients remplissaient leurs obligations fiscales dans leurs pays de résidence, revient à « acheter un pistolet, le donner à quelqu’un et dire : je ne sais pas si tu vas tuer quelqu’un, mais je te donne un pistolet ».

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