Primaires des Républicains: le nom du vainqueur est là…

Le premier rendez-vous de l’élection présidentielle qui se déroulera en France, au printemps 2017, sera celui que les dirigeants des Républicains donnent à leurs électeurs, au mois de novembre 2016, pour les primaires chargées de départager les candidats de ce parti en lice pour l’Elysée.
Présentation des programmes, publication de livres, meetings, discours, croche-pieds, petites phrases, sondages d’intentions de vote, souhaits de victoire, pronostics électoraux: tout l’attirail de la politique est déployé dans ce camp, ce qui montre bien que la campagne est déjà lancée, même si elle est encore loin d’avoir saisie l’opinion publique concernée, toujours malléable et imprévisible quant au choix qu’elle fera.

Aujourd’hui, un favori domine la compétition: Alain Juppé. Sa position se déduit des sondages qui lui sont largement favorables, et d’un commentaire général qui compose une ambiance bienveillante à son égard. Derrière lui, Nicolas Sarkozy semble avoir du mal à tenir la cadence, même si chacun note la longueur des files d’attentes qui se forment devant les librairies où il se trouve pour signer son dernier livre au titre plaisamment égocentrique: « La France pour la vie. »

Derrière ces deux poids lourds, François Fillon, ancien premier ministre, et Bruno Le Maire, qui rêve son rôle d’Obama à peau blanche, se détachent d’un peloton où figurent Nathalie Kosciusko-Morizet, Nadine Morano, Hervé Mariton, Jean-Frederic Poisson, l’ombre de Michèle Alliot-Marie, et d’autres que nous sommes désolés d’oublier.

Peut-on dire, en cette fin mars 2016, que la primaire des Républicains est déjà jouée, et qu’à défaut d’en connaître le vainqueur avec certitude, Juppé, on peut assurer qu’elle se résoudra en un duel Juppé-Sarkozy? A l’évidence non, pour deux séries de raisons, la première qui tient à une prudence générale qu’il est utile de détailler; la seconde qui se nourrit de ce que les acteurs eux-mêmes offrent à l’observation, soit en terme d’erreurs ou bien d’efficacité.

La prudence est nécessaire pour plusieurs raisons. Le résultat d’une l’élection est affecté par le climat dans lequel elle se déroule. Mille événements, d’ici au mois de novembre, peuvent modifier, ou bouleverser, les attentes de l’opinion publique vis-à-vis de la politique, et ce qui vaut pour le corps électoral en général vaut aussi pour cette fraction électorale de la droite qui se déplacera pour les primaires. La campagne elle-même produira des effets qu’il est impossible aujourd’hui d’anticiper. Des polémiques, des débats, opposeront les candidats, et tout cela solidifiera, ou modifiera, le regard des électeurs potentiels sur les candidats. Et puis, nous ne savons rien de cette partie de la société française qui sera appelée aux urnes, cet échantillon de la droite tricolore qui désignera son candidat à la présidentielle au terme d’une compétition politique interne inédite.

A cette nécessaire prudence, s’ajoute l’observation de la scène actuelle. Est-il possible de dire qu’Alain Juppé semble se tromper totalement de campagne? Certes, les sondages le donnent aujourd’hui largement en tête dans les intentions de vote, et la leçon des sondages ne doit pas être négligée. Elle établit notamment que le retour de Nicolas Sarkozy n’a rien créé d’exceptionnel à droite, qu’il n’est pas regardé par cet électorat comme un sauveur, un homme providentiel, et qu’il lui sera nécessaire, pour parvenir au sommet en tête, de puiser au plus profond de sa personnalité l’énergie nécessaire à l’escalade de la montagne qui se dresse devant lui.

Pour autant, la force actuelle d’Alain Juppé apparaît fragile. L’homme joue la carte de l’expérience et de la sagesse. Il parle beaucoup, mais avec à l’esprit tellement de retenue et de finesse, qu’on ne l’entend pas. On le voit certes, mais souvent ridicule, une charlotte misérable sur la tête lors de visites de terrain, ou bien dans un pas de danse étrange, entourées de vieilles dames hilares, pensionnaires d’une maison de retraite dont on se demande si le candidat à l’Elysée n’est pas lui-même pensionnaire.

En d’autre termes, depuis le début de l’année, Alain Juppé n’a rien produit d’extraordinaire et n’a sûrement pas solidifié dans cet intervalle de temps l’avantage que lui accordent les sondages. Le sentiment qui domine est qu’à force de modération et de tactique, Alain Juppé s’est enfoncé malgré lui dans un second tour d’élection présidentielle, ce moment délicat où il faut garder avec soi les électeurs du premier tour et aller chercher des bataillons supplémentaires dans les cheptels des adversaires.

C’est là que le discours doit s’arrondir et que sa formulation doit permettre à des gens très divers de se retrouver tous ensembles dans les urnes. Mais ce moment, nous en sommes loin. Aujourd’hui, Alain Juppé doit parler à la droite française, une droite radicalisée par son hostilité profonde, proche de la violence parfois, à l’égard de François Hollande, et attirée aussi par le discours du Front national, même si le gauchisme économique de Marine Le Pen représente à cette étape un puissant vaccin contre la fuite des électeurs Républicains.

Alain Juppé, ceci paraît évident, ne parle pas, ou parle peu, à l’électorat des primaires de novembre. Il parle déjà à tous les Français, et il parle comme pourrait le faire François Bayrou, depuis le centre de toutes choses, le lieu exact d’où, en France, on collectionne les échecs depuis quarante ans.

La stratégie du maire de Bordeaux est étrange, décalée, pas dans le tempo, grillant les étapes, anticipant les rendez-vous. C’est cela qui confère à sa situation actuelle une grande fragilité et qui suggère que la messe est loin d’être dite pour les Républicains.

Derrière, Nicolas Sarkozy rame. Son autorité n’a plus rien à voir avec celle du candidat qu’il fut en 2007. Sa créativité politique est quasi-nulle, tant il est vrai que sauf à se contredire, l’ancien président est obligé de se répéter. Et puis, sa personnalité. Ses emportements, ses tics, nous ont tous fatigués. Alors recommencer, non merci.

Mais en même temps, l’homme demeure terriblement singulier, énergique pour dix, réactif comme cent. S’il n’est plus le chef incontesté, il demeure le chef. Si dans son parti, certains lui répondent, ils le font avec mesure. Quant à l’opinion publique, une part demeure magnétisée par le personnage, et dans cette part là se retrouve un pan entier de l’électorat des primaires.

Nicolas Sarkozy n’a pas trouvé le chemin de la reconquête. Depuis dix-mois, date de son retour à la présidence de son parti, il se perd sur des sentiers chaotiques et ne produit rien de remarquable. Pour autant, le potentiel est toujours là et personne ne peut jurer qu’il est tout à fait perdu pour la bataille qui s’annonce.

Derrière ces deux poids lourds, deux autres compétiteurs, pardon pour les autres, retiennent l’attention.

Comment ne pas évoquer d’abord le fiasco de Bruno Le Maire. A la fin de l’année dernière, alors qu’il n’avait encore rien dit de sérieux, il pouvait figurer comme un espoir dans la compétition, quelqu’un à qui son jeune âge conférait une forme de virginité, et qui pouvait, justement appuyé sur son état-civil, incarner le renouveau, la modernité, l’audace, tous ces gris-gris que la politique adore mettre en scène.

Depuis le début de l’année, nous assistons à un naufrage. Bruno Le Maire ne nous parle que de lui, et le tour de France que j’ai fait, et les gens que j’ai vu, et le temps que j’ai pris, et mon papa qui ne m’a pas aimé… La publication de son livre fut un moment de narcissisme qui mériterait d’être étudié dans les cours de psychologie appliquée, et d’un coup le capital, certes faible, sur lequel il pouvait fonder quelques espoirs s’est trouvé aussi rétréci que celui de Bernie Madoff après la tempête.

Est-ce surmontable? On en doute, mais comme nul ne veut du mal à Bruno Le Maire, on le lui souhaite.

Le dernier compétiteur qui sera évoqué ici est l’ancien premier ministre Francois Fillon. Un cas, lui aussi. Après la défaite de Nicolas Sarkozy, il disposait dans sa main de tous les atouts dont rêve un joueur de cartes. Il les a tous gâché. Bravo l’artiste. Triste et nu, démuni de tout et pratiquement d’amis, il aurait pu jeter l’éponge. Après tout, si la politique est un sacerdoce, nul besoin qu’elle devienne un calvaire. Eh bien non, il s’est accroché, et plutôt à la face nord que sud, celle que le soleil ne vient jamais caresser.

Il a réfléchi, il a travaillé, il a ordonné et il a présenté. Austère mais sérieux, de droite et assumant de l’être, pas un mot plus haut que l’autre mais de la fermeté. Et il a creusé son sillon, dans la tristesse sans doute, mais en même temps quand la course à l’Elysée a pris des airs de fête, 1981 et 1995, voire 2007, c’est à chaque fois une sévère gueule de bois qui s’en est suivie.

Avec tout ça, François Fillon est toujours là. Et c’est un miracle. Ses deux années calamiteuses, 2012 et 2013, valaient un enterrement. Sa situation actuelle équivaut à une résurrection. Jusqu’où ira-t-il? Potentiellement plus haut que ce que lui prédisent aujourd’hui les sondages, mais cela dépendra de son savoir-faire, qui n’est pas toujours immense, et de ses adversaires dont on est certain qu’ils ne lui feront pas de cadeaux.

En conclusion, il est possible d’écrire ceci. La primaire des Républicains n’a encore livré aucun des ses secrets car trois hommes possèdent des atouts pour la remporter. Aucun ne suscite un espoir fou mais à la fin des fins, il y en aura toujours un pour avoir plus de voix que les autres. Quant au surgissement d’un quatrième personnage, il est peut-être des romans où la chose a été observée, mais c’est plus rare dans la vraie vie.