entrepreneurs, patrons heureux

Top view of a successful business team giving you an emphatic thumbs up

En France, les entrepreneurs peuvent-ils être optimistes?

Yuri_Arcurs/iStock.

La France est souvent décrite comme un enfer du point de vue de l'entrepreneuriat. Les charges y sont trop élevées, nos entreprises peinent à trouver de gros financements, nos jeunes diplômés partent à l'étranger... Est-il encore possible d'être optimiste?

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Fabrice Cavarretta. Bien sûr! Oui, la France peut être un paradis pour certains entrepreneurs. Et je ne dis pas cela par provocation. Soyons clair: l'entrepreneuriat n'est jamais facile, que ce soit ici, au Brésil, ou à Palo Alto. Cependant, nous avons, en France, un environnement très favorable pour certains types d'entrepreneurs. Un exemple parmi d'autres: le taux d'emploi des femmes, beaucoup plus élevé en France qu'à l'étranger. Le taux de risque d'une Française qui s'engage dans l'entrepreneuriat est un des plus avantageux du monde. A Paris, notamment, elle va pouvoir bénéficier d'un système de garde, de financements, d'incubateurs, d'un droit aux congés en création d'entreprise ou éventuellement d'allocations-chômage...

A Londres ou à New York, comment paie-t-elle l'école? Comment paie-t-elle la santé? A Paris, une fois réglé le problème de l'immobilier, on peut faire une aventure de deux ou trois ans avec un niveau de confort qu'on ne trouvera nulle part ailleurs. Aux Etats-Unis, beaucoup de femmes possédant un MBA se retrouvent à la maison!

Que pensez-vous de cette vision "paradisiaque"?

Thibault Lanxade. Avant d'arriver au paradis, il faudrait d'abord peut-être sortir du purgatoire. Certes, nous avons un formidable écosystème d'entreprises. Lentement mais sûrement, nous allons dans la bonne direction pour résoudre certains problèmes, comme les effets de seuil ou la complexité du Code du travail. Mais, en France, nous avons aussi un ADN corporatiste, qui est un élément extrêmement paralysant. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les actualités.

Aujourd'hui, les VTC se disent: "Attention, avec la nouvelle loi Macron, il nous faudra beaucoup moins d'heures de formation. Donc il va y avoir davantage de VTC. Il faut qu'on se protège!" Tout comme se protègent les taxis ou les motos-taxis. C'est symptomatique de notre mal français. Autre point noir: nous avons une administration qui perturbe l'écosystème entrepreneurial. Elle contrôle, elle régule trop. Elle ne conseille pas, elle sanctionne.

Thibault Lanxade, vice-président du Medef, le 29 mai  2013 à Lyon

"Aujourd'hui, on a 650 milliards d'euros qui financent la protection sociale. Un carcan qui empêche par exemple la création de slashers qui vont naviguer d'une aventure entrepreneuriale à une aventure salariée." Thibault Lanxade, vice-président du Medef. Ici, le 29 mai 2013 à Lyon.

© / afp.com/JEFF PACHOUD

F.C. Vos remarques sont fondées. Mais vous êtes un peu déclinologue. Si vous vouliez motiver les jeunes pour faire du handball, que diriez-vous? "Waouh, la France est une nation très forte en handball" ou bien "Vous pouvez faire du handball mais, vous savez, en France les salles sont trop petites, les entraîneurs sont nuls, la fédération nous met des bâtons dans les roues"? En France, notre système scolaire débouche sur la formation d'élites parmi les meilleures au monde et remarquablement peu chères. Dans de nombreuses activités (luxe, alimentaire...), le simple fait de pouvoir se prévaloir de la France donne un véritable avantage compétitif, une crédibilité, une attention...

T.L. Je comprends votre réaction. Mais, au Medef, nous avons une tâche ingrate à accomplir. Pour rester dans l'univers du sport, c'est comme si nous étions gardien de but. L'équipe adverse - l'administration, les politiques - regorge d'idées qui ne sont pas toujours très bonnes. Nous passons donc le plus clair de notre temps à arrêter des ballons, expliquer pourquoi telle idée ne fonctionnerait pas, proposer des solutions. C'est à la fois frustrant et chronophage.

La fiscalité est-elle un frein à l'entrepreneuriat en France? Dans votre livre, M. Cavarretta, vous soutenez que non...

F.C. Je n'ai pas de souvenir de cas où un entrepreneur regarde cette question-là au stade du business plan. A Paris, dans le secteur du high-tech, les taux de taxation ne sont pas atroces. Xavier Niel et d'autres disent même que la France est un paradis fiscal. Je ne défends pas cette position. Je ne suis pas spécialiste de la question. En revanche, j'essaie de convaincre les jeunes qui montent des boîtes de se focaliser d'abord sur la création de valeur.

T.L. Incontestablement, la fiscalité en phase d'amorçage n'est pas un sujet. Mais si on veut faire en sorte que nos entreprises exportent mieux (90% de nos PME vendent à l'intérieur d'un rayon de 50 kilomètres), on doit avoir une harmonisation fiscale européenne. C'est ça, notre marqueur: des règles communes avec les autres pays européens. L'ISF pose aussi un problème, car il tue l'esprit entrepreneurial. Il faudrait le supprimer. Mais le vrai sujet de fond, c'est la flexibilité de l'emploi.

L'Espagne, qui a pris des mesures en faveur de plus de flexibilité, a créé beaucoup d'emplois sur la période récente. C'est le modèle à suivre?

T.L. Depuis plus de trente ans, on a essayé de faire converger la France vers le tout-salariat, en tuant la dynamique entrepreneuriale. Aujourd'hui, on a 650 milliards d'euros qui financent la protection sociale. Un carcan qui empêche par exemple la création de slashers, qui vont naviguer d'une aventure entrepreneuriale à une aventure salariée. Au Royaume-Uni, ces slashers ont fait baisser sensiblement la courbe du chômage.

Aux Etats-Unis, c'est la flexibilité, la capacité à pouvoir recruter, identifier les talents et les utiliser le temps nécessaire qui fait la différence avec notre écosystème. Ce n'est pas la fiscalité. En France, un autoentrepreneur qui gère un club de sport et qui travaille avec des coachs sportifs eux-mêmes autoentrepreneurs risque de se faire redresser par l'administration pour salariat déguisé. Autre exemple: un épicier qui fait son inventaire deux fois par an. S'il fait appel à un jeune ou à un autoentrepreneur pour ranger sa réserve et que l'Inspection du travail passe, il sera sanctionné.

Aux Etats-Unis, il y a au contraire des applications pour encourager ce type de travail, comme celle créée par Coca-Cola pour livrer ses palettes dans les boutiques. En France, cela va mettre du temps à arriver. Cette flexibilité-là, on ne l'a pas!

Un chauffeur VTC a introduit une action auprès du conseil des prud'hommes de Paris pour réclamer une requalification de son contrat de partenariat avec Uber en contrat de travail, a annoncé son avocat mardi

L'appli Uber sur smartphone.

© / afp.com/Nicolas Maeterlinck

F.C. Vos exemples sont intéressants. Mais en voici d'autres qui montrent qu'en France on n'est pas si mal. Commençons par Uber. Aux Etats-Unis, cette entreprise est en difficulté sur le droit du travail. La class action qui demandait à requalifier les chauffeurs de l'application en salariés a été acceptée par la cour californienne. Uber a donc le même problème que votre coach marseillais!

Autre exemple: Homejoy, l'Uber du travail à la maison. Homejoy a dû fermer après avoir subi plusieurs attaques en justice de la part de ses employés. La conclusion de tout cela? N'écoutez pas ceux qui vous disent que ce serait merveilleux ailleurs. En France, les entrepreneurs bénéficient d'un large filet de sécurité. Si votre entreprise capote, vous pouvez reprendre votre ancien job grâce au congé d'entreprise, ou bien toucher des allocations-chômage.

Notre administration est-elle aussi un frein, comparée à celle d'autres pays?

T.L. C'est vrai que notre administration n'aide pas. Mais, paradoxalement, elle n'est pas si sévère que cela en cas de contrôle. En Belgique ou au Royaume-Uni, l'administration vous accueille à bras ouverts. Mais s'il y a un contrôle derrière, c'est une balle dans la nuque. Idem aux Etats-Unis: si vous fraudez et que vous êtes pris, vous êtes mort. En France, il y a des recours, des commissions. On pourra toujours trouver un modus vivandi, sauf à être un escroc notoire.

F.C. La Banque mondiale a sorti récemment une étude tout à fait intéressante sur le coût du lancement d'une entreprise. Cette étude prend en compte la totalité des procédures, délais et dépenses. La France se classe 28e au niveau mondial. Elle devance largement le Royaume-Uni (45e ), les Etats-Unis (46es ), Israël (53e ) et l'Allemagne (114e )! Finalement, créer une entreprise en France est un repos comparé aux Etats-Unis. Une anecdote au passage: je regarde en famille la série Silicon Valley. Les jeunes entrepreneurs qu'on y voit passent le tiers du temps chez leur avocat. Il faut dire ça aux gens!

Tout n'est quand même pas à jeter dans les autres pays. M. Cavarretta, vous prenez vous-même l'Allemagne en exemple pour la gestion d'entreprise...

F.C. Effectivement, je dis souvent à mes étudiants: s'il vous plaît, mettez-moi un système "à l'allemande". Un système où, dès le début dans la construction de l'entreprise, les partenaires sociaux siègent au conseil d'administration. Je sais bien, ce n'est pas facile. On a déjà vu des fusions mises en échec par des syndicats. Mais je crois sincèrement que si vous le faites bien dans une entreprise qui a un peu de croissance, il y a une chance pour que vous ne sentiez pas passer les fameux effets de seuil, par exemple.

T.L. En Allemagne, le syndicaliste a son bureau en face de celui du patron. Mais tous deux sont animés d'un objectif commun: la défense des intérêts propres de l'entreprise. C'est sur cette base-là que l'on négocie, outre-Rhin, et pas de façon aveugle sur l'emploi, ce qui peut conduire à des cas extrêmes, comme Goodyear. En France, nous avons une carence dans la formation syndicale. Résultat, on est souvent dans une défense dogmatique de l'emploi et pas dans une défense de l'intérêt économique. Tant que cela persistera, il est exclu que les syndicats puissent participer à une forme de cogestion à l'allemande.

F.C. Des cas à l'allemande, on en voit tout de même quelques-uns en France. Notamment lors d'une reprise d'entreprise. Les syndicats négocient avec une personne extérieure, et cela se passe bien. Même certains fonds d'investissement à Paris savent s'entendre avec la CGT. Et cela ne veut pas dire qu'ils lui tordent le bras !

T.L. Pour aller dans votre sens, je remarque que cette forme de cogestion est prégnante dans les jeunes entreprises issues du numérique. C'est assez nouveau en France.

Le secteur high-tech est souvent pris en exemple, mais il n'est pourtant pas représentatif de l'ensemble des entrepreneurs...

T.L. Effectivement, tout entrepreneur n'est pas condamné à lever un million de dollars et à présenter ses produits au Consumer Electronic Show, à Las Vegas. Et tant mieux! Cela dit, le numérique a fait un bien incroyable pour la dynamique entrepreneuriale dans notre pays. Il lui a redonné ses lettres de noblesse. Et tout le monde en a profité. Mais c'est vrai qu'il y a une fracture entre les "pigeons" et les "moineaux", entre Paris et la province, ne serait-ce que sur les dispositifs d'accompagnement. Or il ne faut pas négliger ces entrepreneurs, qui ne portent pas les mêmes ambitions que les stars de la French Tech. Ils participent eux aussi à l'écosystème et contribuent à réduire la courbe du chômage.

F.C. Paris/province, high-tech/pas high-tech, vieux/jeune, homme/femme... Ces quatre dualités sont abordées dans mon livre. Et pour cause: il faut arrêter de tout ramener au jeune petit gars avec son business plan Internet. C'est ridicule. Mon personnage préféré dans mon livre, c'est Michel, 50 ans, qui habite Brive-la-Gaillarde. Il est au chômage technique et veut monter un café-tabac. Je montre qu'il peut faire plein de choses en s'appuyant sur son réseau et sur l'extraordinaire terroir français. Par exemple, il pourrait exporter du saucisson du Massif central en Corée du Sud avec l'aide de sa nièce fraîchement diplômée. La richesse de la France permet ce genre de pollinisation croisée. Restons donc optimiste!

Etes-vous convaincu, M. Lanxade? La France est-elle parfois un paradis?

T.L. Pas encore! Ma préoccupation, c'est que, sur 3 millions de chefs d'entreprise, un tiers va partir à la retraite dans les dix prochaines années. Or les entreprises qu'ils vont laisser sont en crise depuis 2008. Elles ont rogné leurs marges. Elles sont souvent dépassées par le digital. Leur business model a vieilli et leur capacité à exporter n'est pas très forte. Nous avons là un sacré problème d'"excellence opérationnelle". Et, sur ce plan, nous sommes très en retard par rapport à d'autres pays.

Fabrice Cavarretta. Diplômé de Polytechnique, Stanford et Harvard, ce passionné d'informatique a travaillé chez Oracle, Schneider Electric et Vivendi Universal avant d'enseigner à l'Essec. Dans son livre Oui ! La France est un paradis pour entrepreneurs préfacé par Xavier Niel, il va à l'encontre du French bashing et démontre la solidité de notre écosystème d'entreprises.

Thibault Lanxade. Ayant fait une grande partie de sa carrière dans l'énergie (Shell, Butagaz, Gazinox...), Thibault Lanxade a été candidat à la présidence du Medef en 2013, avant de se rallier à Pierre Gattaz. Désormais vice-président du syndicat patronal, chargé des TPE-PME, il est l'auteur de plusieurs livres et d'un rapport en faveur d'un Small Business Act à la française.

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