Silhouette chétive et sourire timide, Mueen Jabbour arbore sur sa poitrine une discrète croix dorée. Ce père de famille palestinien ne se lasse pas de faire visiter la petite église grecque-orthodoxe de Burqin, Saint-Georges, plantée sur les reliefs du nord de la Cisjordanie. Elle fut construite au IVe siècle byzantin par sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin. « C’est la quatrième plus ancienne église du monde, rappelle volontiers le guide. Regardez, la cathèdre date du IVe siècle et elle est en pierre, ce qui est très rare ! » Si Mueen aime tant Burqin et son église, c’est parce qu’il y est né. Mais aussi, surtout, parce que « le Christ est passé par là ».

72 chrétiens sur 7000 habitants

Chrétiens et musulmans font revivre Burqin

À la place de cette église aux dimensions de chapelle, à la pierre claire et au clocher élancé dans l’azur du ciel, il faut imaginer, à l’époque romaine, une simple citerne accessible par un trou étroit. Selon la tradition, on y isolait les lépreux de ce village, qu’aurait un jour traversé Jésus en allant à Jérusalem depuis la Galilée. Peu après la guérison miraculeuse de dix d’entre eux (Luc 17, 12-19), le village serait devenu chrétien. « Les premiers fidèles descendaient prier dans la grotte pour se cacher des Romains », raconte Mueen Jabbour. Puis, à l’époque byzantine, sainte Hélène fit ouvrir la citerne sur le côté pour en faire une église.

Aujourd’hui, les chrétiens ne sont que 72 dans ce village à grande majorité musulmane de 7 000 habitants. Au début du XXe siècle, les proportions étaient inversées, mais les guerres successives ont poussé de nombreux chrétiens à l’exil.

Avec son environnement parsemé d’oliviers et son dédale de ruelles en pente, ce village rural rappellerait presque la haute Provence. Pourtant, il figure rarement sur les circuits de pèlerinage. « Beaucoup de cars traversent la Samarie entre Nazareth et Jérusalem, mais peu s’y arrêtent », déplore Khoussam Salameh, un guide palestinien. Burqin (de l’arabe « burce », qui signifie lèpre) est situé à l’extrême nord de la Cisjordanie, tout près de la ville palestinienne de Jénine et de la frontière israélienne.

Or dans les années 2000, en réaction aux violences de la seconde Intifada, l’armée israélienne avait interdit aux pèlerins l’accès à cette région de Samarie. Depuis que c’est de nouveau autorisé, les visiteurs privilégient la grande ville de Naplouse : elle abrite des sites bibliques plus incontournables que Burqin, comme le puits de Jacob (où a eu lieu le dialogue avec la Samaritaine) ou encore le mont Garizim (où vivent les derniers Samaritains).

Travaux dans l’église de Burquin

Les choses pourraient néanmoins être en train de changer. Entre 2007 et 2011, d’importants travaux ont été menés dans l’église de Burqin. Grâce aux financements du Patriarcat orthodoxe de Jérusalem et de l’Autorité palestinienne, l’édifice délabré (les derniers travaux notables remontaient à l’époque ottomane) a été réparé et son accès dégagé. La décoration est aujourd’hui soignée, les icônes nombreuses, l’ambiance recueillie. À l’extérieur, un jardin luxuriant voit pousser des arbres fruitiers.

« Beaucoup de volontaires ont participé à ce chantier, affirme Mohammad Sabah, le maire du village. Et pas seulement des chrétiens ! Les musulmans s’occupent de cette église avec le même soin que si c’était une mosquée. » Parmi eux, il y a Firas Khloof. Cet étudiant affable de 18 ans se sent particulièrement responsable de l’entretien de l’édifice et du rayonnement de Burqin à l’extérieur. « Quelle que soit notre religion, cette église fait partie de notre histoire », assure le jeune musulman, qui vient souvent donner un coup de main pour les visites ou la décoration de l’arbre de Noël.

Avec une poignée de voisins, Firas s’est mis en tête de développer le tourisme dans ce coin reculé de la Palestine. Ils entendent valoriser ainsi un patrimoine d’exception, mais aussi redresser l’économie locale : elle ne repose aujourd’hui que sur une modeste agriculture familiale (culture de l’olivier et de légumes divers).

Visites de pèlerins orthodoxes

Ce choix du tourisme s’est traduit par l’ouverture, à l’automne, d’un centre d’accueil de visiteurs dans une ancienne résidence ottomane rénovée. Le « Khokha palace » abrite désormais un restaurant et quelques boutiques d’artisanat. Un parking devrait aussi sortir de terre d’ici l’été pour accueillir des cars de pèlerins. « Le Patriarcat orthodoxe de Jérusalem devrait mieux communiquer sur ce village, encore très peu connu », suggère de son côté le guide Khoussam Salameh, qui doute que l’aménagement de boutiques et de parkings de bus soit la plus efficace des publicités.

La rénovation de l’église, en tout cas, semble avoir permis d’attirer davantage de visiteurs ces dernières années. Parmi eux, il y a surtout des pèlerins orthodoxes, notamment de Russie – « une dizaine de groupes par semaine », soutient Mueen Jabbour – ainsi que des touristes palestiniens, chrétiens et musulmans confondus.

Même sans être du village, certains Palestiniens chrétiens sont très attachés à l’église de Burqin. Walid Basha, qui vit à Jénine, vient ici chaque vendredi pour assister à la messe. Il parle avec enthousiasme de cette église exceptionnelle et de la nature qui l’environne.

En 2010, ce scientifique de profession avait participé à la découverte, sous le sol de l’église, de cinq corps datant d’au moins 300 ans : un évêque, trois prêtres et un enfant. « Cela nous a fait prendre conscience qu’il y a encore quelques siècles, toute une communauté de croyants vivait ici. Et dire qu’aujourd’hui, un prêtre orthodoxe doit venir spécialement de Ramallah, chaque semaine, pour célébrer la messe ! »

Walid en est convaincu : si plus de pèlerins s’intéressaient à ce village, ses habitants chrétiens cesseraient peut-être de le déserter pour aller ailleurs, que ce soit en Europe, en Amérique, ou dans le sud de la Cisjordanie, où leurs coreligionnaires sont plus nombreux. Cet homme jovial envisage même d’acquérir un pied-à-terre ici. Sa manière à lui de participer à l’effort collectif, pour tirer Burqin de l’oubli.