Thierry Denoël

On a manqué quelque chose…

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Si ce 22 mars 2016 marquera un tournant effroyable dans l’histoire de la Belgique, il y a des raisons à cela. Si la Belgique fait désormais partie du terrain de guerre sanglant des djihadistes, c’est que nous avons manqué quelque chose. Voici des exemples.

On s’y attendait, on l’avait annoncé. Juste avant l’arrestation de Salah Abdeslam, Didier Reynders avait confirmé que la menace était bien présente, qu’on avait trouvé « beaucoup d’armes, des armes lourdes, lors des premières perquisitions (Ndlr : à Forest) et découvert un nouveau réseau d’individus autour de lui ». Les menaces de Daech contre les pays alliés de la coalition internationale qui frappe les positions de l’Etat islamique en Syrie et en Irak étaient sans équivoque. Nombre d’experts répétaient que la question n’était plus de savoir s’il y aurait un attentat un jour en Belgique, mais où et quand.

Nous étions prévenus. Et c’est arrivé. Sans que les 700 militaires déployés dans nos rues et les vigiles privés, embauchés à tour de bras depuis quatre mois, n’aient rien pu faire. Sans que les 18 nouvelles mesures antiterroristes adoptées et les 400 millions d’euros dégagés par le gouvernement fédéral n’aient réussi à protéger les citoyens morts ou blessés lors des attentats de Bruxelles et Zaventem. Sans que les milliers d’heures supplémentaires prestées par les services de police et de renseignement n’aient permis d’arrêter à temps la cellule des terroristes qui se sont fait exploser hier dans le métro et à l’aéroport de Bruxelles.

Nous savions, mais nous avons manqué quelque chose, c’est clair.

Nous avons sans doute manqué de vigilance en terme de sécurité, malgré toutes les mesures prises. Voilà plusieurs mois que des syndicats de police tirent la sonnette d’alarme pour dénoncer le niveau de surveillance à Brussels-Airport, surtout au regard du trafic actuel, et le manque d’au moins 40 hommes sur le terrain par rapport aux normes de Schengen (fixées au tout début des années 2000). C’est la même chose aujourd’hui aux abords du Thalys à Bruxelles, la capitale de l’Europe, alors que la sécurité est censée y avoir été renforcée depuis l’attentat miraculeusement déjoué sur la ligne Amsterdam-Paris le 21 août dernier. L’auteur de l’attaque était monté à Bruxelles-Midi. Jusqu’à hier, un autre aurait pu recommencer sans être inquiété ni contrôlé.

Dans le pays qui affiche le taux le plus élevé de citoyens partis faire le djihad proportionnellement à sa population, nous avons manqué de discernement.

Depuis 2013, les hésitations des autorités politiques par rapport aux dizaines de returnees, revenus de ce terrain de guerre où ils ont été entraînés, endoctrinés et souvent traumatisés, interpellent : prison, bracelet électronique, surveillance par le Sûreté ? Certes, l’arsenal législatif s’est petit à petit durci au fil des mois, après bien des doutes et des discussions. Mais, dans les communes qui abritent ces soldats revenus du front, rien n’a pu être entrepris pour tenter de convertir un maximum d’entre eux et éviter qu’ils sombrent dans un obscurantisme plus noir et violent encore. Et c’est encore vrai aujourd’hui. Il suffit d’écouter les travailleurs sociaux et certains échevins de communes comme Molenbeek pour en avoir le coeur net.

Nous avons aussi manqué de fermeté par rapport aux courants les plus radicaux de l’islam. Entre autres, le salafisme qu’on a laissé se diffuser pendant quarante ans en Belgique notamment grâce au soutien des Saoudiens (lire l’article Comment l’Arabie saoudite a imposé son islam rigoriste à la Belgique). Révélateur : en aout dernier, grâce à un câble Wikileaks, on apprenait qu’il y a quatre ans, la Belgique avait discrètement demandé aux autorités saoudiennes le départ de Khalid Alabri, le directeur du Centre islamique et culturel de Belgique. Depuis 1969, dans le parc du Cinquantenaire, le CCIB permet de faire rayonner l’islam wahhabite comme l’Arabie saoudite l’entend. Les propos d’Alabri étaient jugés beaucoup trop radicaux. Il a été remplacé en toute discrétion. C’était en 2012, au tout début du phénomène des départs en Syrie, pas encore médiatisé. En 2013, lorsque les premiers recensements sont tombés, la Belgique faisait déjà partie des principaux pays exportateurs de combattants européens.

Nous avons manqué bien d’autres choses, comme la lutte contre l’exclusion sociale – depuis plus de trente ans – dans nombres de quartiers de nos grandes villes, en particulier à Bruxelles (où le taux d’emploi des jeunes d’origine maghrébine est d’à peine 40 % !) et Anvers. Aujourd’hui, au lendemain des attentats du 22 mars, sonne l’heure des comptes. Inévitablement. Non pas pour accabler les responsables politiques de tous bords qui, ces dernières décennies, ont pris des décisions dans les matières évoquées. Mais pour éviter que les morts absurdes de Zaventem et Bruxelles ne servent à rien et qu’on se dise, dans quelques mois ou quelques années, que depuis le « mardi noir » les choses n’ont pas vraiment évolué. Pour que le courage et la lucidité politique prennent le pas sur l’électoralisme, les compromissions diplomatiques et l’aveuglement du politiquement correct.

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