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TRIBUNE

Quatre mois après l’assaut du Raid : un chien décoré, des familles oubliées…

Le 18 novembre, l’assaut était donné contre le terroriste Abdelhamid Abaaoud, à Saint-Denis. Les habitants de l’immeuble du 48 rue de la République ont vécu un enfer. Trois ont été blessés par balle, tous ont perdu leurs logements et leurs affaires personnelles, sans parler du traitement infligé à ceux qui étaient sans-papiers.
par Julie Pagis, chercheure en sociologie politique au CNRS.Membre du Comité de soutien aux familles du 48, Etienne Penissat, Sociologue au CNRS, membre de Sciences populaires Saint-Denis, Sibylle Gollac, Dionysienne, enseignante-chercheure, membre de Sciences populaires Saint-Denis, Stéphanie Guyon, Dionysienne, enseignante-chercheure, membre de Sciences populaires Saint-Denis et Karel Yon, Dionysien, chercheur (sociologue) , membre de Sciences populaires Saint-Denis
publié le 24 mars 2016 à 15h37
(mis à jour le 24 mars 2016 à 15h48)

Depuis les révélations de Mediapart, on sait précisément quelles ont été les conditions de l’intervention du Raid lors de l’assaut du 18 novembre dernier contre le terroriste Abdelhamid Abaaoud au 48 rue de la République à Saint-Denis : plus de 1500 balles tirées par des policiers la peur au ventre, des heures durant, un déchaînement de violence inouïe, un immeuble littéralement ébranlé par les tirs. Diesel, le chien policier abattu pendant l’intervention, n’est pas le seul dommage collatéral de cette scène de guerre. Les plus de 80 habitants de l’immeuble ont vécu un véritable enfer. Trois ont été blessés par balle, tous ont perdu leurs logements et leurs affaires personnelles, sans parler du traitement infligé à ceux d’entre eux qui, sans-papiers, ont été placés en garde à vue, puis en centre de rétention et enfin libérés, mais avec la menace d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). Quatre mois après, certains n’arrivent toujours pas à dormir la nuit, leurs enfants à prendre le chemin de l’école sans avoir peur.

Ces hommes, femmes et enfants auraient dû connaître pour seule peine la peur et le traumatisme. Pourtant, ils ont dû faire face à une deuxième peine, peut-être la plus douloureuse : les insuffisances et la mauvaise volonté de l’État et des autorités publiques à réparer les conséquences de cet assaut.

Une semaine après les événements, nous avions alerté sur cette situation inhumaine. Aujourd'hui, malgré les promesses de relogement des 45 ménages concernés, obtenues à force de mobilisation et de pression médiatique, la situation n'a pas évolué depuis deux mois. La plupart des victimes sont encore «logées» dans des hébergements sociaux, voire des chambres d'hôtel, sans possibilité de cuisiner, de recevoir, d'avoir un minimum d'intimité pour soi et ses enfants.

Pourquoi ? Certains n’ont pas de papiers et ne peuvent être relogés tant qu’ils ne sont pas régularisés. La préfecture, qui avait annoncé qu’elle traiterait ces dossiers de demande de régularisation avec «bienveillance», n’a pas tenu ses promesses. L’État devait assurer la moitié des relogements, à charge pour la mairie et la communauté d’agglomération de s’occuper de l’autre moitié. Ce sont ces collectivités locales qui ont assuré la plupart des relogements. Ainsi, parmi les ménages en situation régulière, seule une dizaine a aujourd’hui retrouvé un logement pérenne. Et que dire du refus de la préfecture, des mois durant, de rencontrer les habitants (constitués en association DAL des Victimes du 48 rue de la République) et d’associer leurs représentants au comité de suivi préfectoral ? L’État leur dénie un droit de regard sur les affaires qui les concernent. Est-ce ainsi que la République traite les victimes collatérales d’un assaut destiné à protéger l’ensemble de la Nation ?

Nous pensions qu’avec la création d’un nouveau secrétariat d’État chargé de «l’aide aux victimes», et avec l’annonce récente du nombre de 2000 dossiers d’indemnisation de victimes liées aux attentats du 13 novembre d’ores et déjà traités, une des principales revendications des familles – la reconnaissance du statut de victime – avancerait. Il n’en est rien : à ce jour, aucune des personnes ayant vécu l’assaut – pas même les trois blessés par balle ! – n’a été reconnue comme victime. Il existe pourtant un statut de victime collatérale d’une opération policière. La secrétaire d’État, qui les a finalement reçus le 25 février dernier, leur a annoncé que cette reconnaissance ne «relevait pas d’elle, mais de la justice» ! Double peine ? Injustice réservée aux classes populaires et aux immigrés ?

La République française se paye de mots et traite les habitants de Saint-Denis, hier comme aujourd’hui, avec mépris. Malheureusement, cette situation n’a rien d’exceptionnel dans nos quartiers. Après les attentats de janvier 2015, l’État avait appelé les écoles à se mobiliser pour les valeurs de la République. En ce moment, entre 250 et 400 classes de primaire sont, chaque jour, sans instituteur en Seine-Saint-Denis faute de remplaçants en nombre suffisant. Ici, comme en zone rurale, les services publics se retirent : les habitants du quartier Floréal-Saussaie-Courtille se battent pour le maintien des horaires d’ouverture d’un bureau de poste ; à l’hôpital Delafontaine les agents du service de pédiatrie luttent pour que les moyens humains et matériels suivent l’augmentation du nombre de jeunes patients.

Le traitement des habitants du 48 rue de la République illustre la manière dont l’État conçoit son intervention dans nos territoires : roulement de tambours, fracas, plan de communication et puis disparition. Pour ne pas laisser ces familles tomber dans l’oubli, et pour que cette situation inadmissible prenne fin, nous réclamons l’égalité de prise en charge et donnons rendez-vous le 30 mars au Théâtre Gérard Philippe pour une soirée de soutien aux victimes de l’assaut, en présence de nombreux artistes.

http://www.theatregerardphilipe.com/cdn/soiree-de-solidarite-avec-les-victimes-du-48-rue-de-la-republique

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