Des festivals de musique ouvrent leurs scènes aux artistes réfugiés

Au festival Babel Med de Marseille, plusieurs programmateurs européens ont exprimé leur intention de considérer la crise des migrants comme une potentielle richesse. De Damon Albarn au projet Refugees for Refugees, les initiatives se multiplient.

Par Eric Delhaye

Publié le 22 mars 2016 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h33

Le 29 juin prochain, l'Orchestre national syrien pour la musique arabe ouvrira, en compagnie de Damon Albarn, le festival géant de Roskilde, au Danemark. Tout sauf un hasard, dans un pays dont le parlement vient d'adopter une réforme du droit d'asile qui prévoit, notamment, de confisquer les biens des réfugiés à leur arrivée.

L'orchestre a rencontré Damon Albarn (Blur, Gorillaz) dès 2008, lors d'un concert à l'opéra de Damas qui inaugura une série de collaborations. Mais ses cinquante musiciens se sont dispersés partout dans le monde, suite au déclenchement de la guerre civile en Syrie au printemps 2011. Ils ne se sont plus produits depuis.

« L'ouverture du Roskilde est toujours un moment très attendu, sur une scène qui peut accueillir 90 000 spectateurs, décrit Peter Hvalkof, l'un des programmateurs du festival. En faisant le choix de confier cette ouverture à un orchestre syrien, nous ne nous adresserons pas seulement à ceux qui considèrent les réfugiés comme nos égaux. Nous toucherons aussi ceux qui adhèrent aux décisions de notre parlement. »

Peter Hvalkof intervenait lors du festival Babel Med, trois jours de concerts et de rencontres autour des musiques du monde, dont la douzième édition vient de s'achever à Marseille. L'une des tables rondes, convoquée par le Forum européen des festivals de musiques du monde (EFWMF), portait sur la manière dont les opérateurs culturels contribuent à répondre aux questions soulevées par l'arrivée d'un million de réfugiés en Europe en 2015.

Un sujet auquel tout le festival est naturellement sensibilisé, puisqu'il programme beaucoup d'artistes méditerranéens et que cette édition fut notamment marquée par les prestations de formations turques (Baba Zula) ou maliennes (Bamba Wassoulou Groove). Plusieurs invités y firent aussi référence sur scène. « L'Eldorado, on peut aussi le construire en Afrique. Mais si vous partez, vous allez vider le continent », s'inquiéta ainsi le chanteur burkinabé Alif Naaba tandis que Mehdi Haddjeri, leader du groupe marseillais Temenik Electric, haranguait la foule : « On va penser à ceux qui croulent sous les bombes. Ma discothèque se trouve à Damas, nous sommes tous en Syrie ! Allez, danse ! »

Fin février, c'est aussi à Marseille que fit escale l'Aquarius, un bateau de 77 mètres affrété par SOS Méditerranée et Médecins du monde pour secourir les migrants en détresse au large des côtes libyennes. Avant qu'il appareille, des concerts ont eu lieu à bord. On y a notamment entendu Refugees of rap, deux rappeurs syriens-palestiniens qui, menacés en raison de textes hostiles au régime de Bachar el-Assad, ont fui vers la France. Mais aussi une batucada pas comme les autres : Metêketú, créée en décembre auprès du collectif Soutien migrants 13, réunit une quinzaine de réfugiés qui jouent du tambour sur des rythmes brésiliens.

Asad Qizilbash

Asad Qizilbash © Dieter Telemans

Une initiative parmi d'autres, souvent issues du maillage militant et de solidarités citoyennes, à une époque où les Etats européens ferment leurs frontières, même si des structures plus établies jouent heureusement leur rôle. C'est le cas de l'Onda (Office national de diffusion artistique), subventionné par le ministère de la Culture : « Depuis un an, nous essayons d'identifier les artistes qui arrivent en France afin de les mettre en présence de programmateurs de théâtres, de salles de concerts et de festivals, et voir ainsi qui peut travailler avec qui », avance Adrien Chiquet, l'un de ses conseillers.

Identifier qui sont les artistes et quelles sont leurs compétences, dans le flot continu des arrivants hagards, voilà bien l'une des premières tâches à mener. « Nous devons véhiculer une autre image des réfugiés en leur permettant d'exprimer leur histoire, leur identité et donc leur art, observe Patrick de Groote, directeur du festival belge Sfinks. Mais je ne peux programmer que les artistes que je connais. Nous devons donc créer des connexions pour qu'ils gagnent en visibilité. J'ajoute que je ne programme pas un Syrien – ou toute autre nationalité – parce qu'il est Syrien : ce serait irrespectueux. Je le fais d'abord parce qu'il est un artiste et qu'il le mérite en tant que tel. »

De nombreux directeurs de festivals de musiques du monde expriment la responsabilité qui est la leur vis-à-vis des artistes et du public. « J'ai été choqué par la réaction – guidée par la peur – des Néerlandais face à l'afflux des réfugiés, témoigne Erwin Schellekens du festival Mundial, aux Pays-Bas. Nous avons pensé, en tant que festival, que nous devions agir. Avec le concours des associations humanitaires locales, nous avons donc réuni des réfugiés musiciens, plus ou moins aguerris, pour qu'ils répètent avec un pianiste hollandais. Je ne sais pas où ça nous mènera mais nous devons le faire. Ces gens ont été chassés de leurs pays, ils doivent se reconstruire par rapport à ça, puis seulement il pourront construire le pont qui les mènera à nous. »

Un projet ambitieux porte ses fruits depuis quelques mois, à Bruxelles, à l'initiative de la fondation Muziekpublique qui souhaite montrer que les migrants sont une richesse pour la société qui les reçoit. « Nous savions que des maîtres de musique avaient trouvé refuge dans notre pays, explique Peter Van Rompaey, directeur artistique du label. Nous avons donc appelé les centres d'accueil, les collectifs d'entraide, les cours d'alphabétisation… et nous en avons retrouvé une quinzaine. » Baptisé Refugees for Refugees, le programme réunit notamment un joueur irakien de qanûn, un virtuose afghan de dambura, une chanteuse tibétaine… Mais aussi le Pakistanais Asad Qizilbash, maître du sarod (un instrument indien à dix-neuf cordes), qui avait fui son pays parce que les extrémistes de la région lui reprochaient d'avoir fondé une école de musique.

Enregistré via un pécule amassé sur une plateforme de financement participatif, l'album de Refugees for Refugees sortira en mai. Huit dates du collectif sont déjà programmées cet été, dont l'une début août au festival belge Esperanzah ! : « Ils joueront le samedi sur la grande scène, annonce son directeur Jean-Yves Laffineur. Ce sera, parmi plusieurs autres initiatives en direction des réfugiés, un moyen de dénoncer des décisions politiques basées sur la peur et les discriminations. »

Alexandra Archetti Stølen, directrice du Oslo World Music Festival, raconte comment le projet Our neighborhood a rapproché Norvégiens et arrivants : « Le camp de réfugiés se trouve en pleine ville, à proximité des écoles et des jardins publics. Pourtant, les contacts étaient presque inexistants entre les deux populations. Nous avons donc organisé un festival gratuit, dans le camp, avec succès. On travaille aujourd'hui pour qu'il devienne plus gros. »

L'exemple, en la matière, est peut-être à trouver du côté d'un pays abonné aux problèmes migratoires liés aux conflits armés : le Liban, dont près du quart de la population est désormais composé de réfugiés syriens. « La crise actuelle est extrême mais ces questions sont intégrées depuis longtemps par la scène culturelle libanaise », témoigne Geoliane Arab, du festival musical Beirut & Beyond, qui précise : « Nous ne sommes pas guidés par des intentions humanitaires. Cela signifie que ce ne sont pas des réfugiés que nous voyons arriver mais bien des musiciens, des dramaturges, des managers, des opérateurs culturels… Depuis 2012, les collaborations en ce sens se multiplient. On nous parle toujours de la peur de l'autre et des difficultés pour communiquer. En réalité, cela contribue à la prospérité de notre scène artistique. »

En Europe aussi, l'idée qu'un réfugié puisse constituer un atout plutôt qu'un problème fait son chemin chez certains – mais pas à la tête des Etats, visiblement. Tolérants par définition, les festivals de musiques du monde sont sur le point de créer une plateforme qui permettra de mettre en réseau les programmateurs et les talents nouvellement arrivés. Avec du pain sur la planche : aucun réfugié n'assistait à la table ronde marseillaise.

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