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TERRORISME

Attentats de Paris et de Bruxelles : pourquoi tous les chemins du jihadisme mènent à Molenbeek

Depuis les attentats de Paris et de Bruxelles, la commune belge de Molenbeek est présentée comme la plaque tournante du jihadisme en Europe. Une situation héritée de plusieurs années d’incurie des autorités belges.

Le bar des frères Abdelsam à Molenbeek.
Le bar des frères Abdelsam à Molenbeek. Emmanuel Dunand, AFP
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"De Molenbeek à Molenbeek". Ainsi titrait le journal Le Soir au lendemain de l’arrestation de Salah Abdeslam, l’homme le plus recherché de France, le 19 mars dernier. Le quotidien belge ne croyait pas si bien dire. Depuis quelques jours, cette commune belge de 96 000 habitants concentre de nouveau toute l’attention médiatique et policière. Soupçonné d’avoir abrité le commando des attentats du 13 novembre qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis, le district bruxellois est une nouvelle fois pointé du doigt pour son statut présumé de "base-arrière" des jihadistes à l’origine des attentats qui ont frappé Bruxelles le mardi 22 mars.

Selon le parquet fédéral belge, deux des kamikazes de l’aéroport de Zaventem et de la station de métro de Maelbeek ont été identifiés comme étant Khalid et Ibrahim El Bakraoui. Deux frères bruxellois que l’on dit proche de Salah Abdeslam et donc liés à Molenbeek, puisque c’est là que le suspect-clé des attentats de Paris a été capturé quatre jours plus tôt.

Une arrestation dont se sont félicitées les autorités belges et françaises mais qui a rapidement relancé les interrogations sur l’étendue du réseau de la commune bruxelloise. Comment le seul survivant des commandos de Paris a-t-il bien pu y séjourner plus de 120 jours sans se faire prendre ? "Certainement a-t-il profité de complicités locales qui ne sont pas forcément de nature jihadiste, mais peut-être familiale ou clanique", suppose Wassim Nasr, spécialiste des réseaux terroristes pour France 24.

"Terreau fertile"

Pour beaucoup, la "protection" dont aurait bénéficié Salah Abdeslam n’est qu’une preuve supplémentaire de l’importance de Molenbeek dans la filière jihadiste européenne. Une confirmation que la commune est devenue en à peine deux décennies une "plaque tournante du terrorisme". Voilà près de 20 ans en effet que le district a produit, abrité ou vu passer plusieurs jihadistes impliqués dans nombre d’attentats. C’est de Molenbeek que sont partis en 2001 les auteurs de l’assassinat du commandant Massoud en Afghanistan. Là aussi qu’a séjourné Hassan el-Haski, l'un des concepteurs des attaques meurtrières de 2004 à Madrid, ainsi que Mehdi Nemmouche, le responsable présumé de la tuerie au Musée juif de Bruxelles, qui avait fait quatre morts en mai 2014. Selon des médias belges, Ayoub el-Khazzani, l’assaillant du Thalys, a lui aussi trouvé temporairement refuge dans la commune.

Comment expliquer que ce bourg typique des périphéries urbaines européennes soit devenu une place forte de l’islamisme radical ? Observateurs et élus locaux avancent aujourd’hui plusieurs facteurs. Pour Françoise Schepmans, la bourgmestre de Molenbeek, ce sont notamment les "difficultés sociales et éducatives, le manque d’emploi et des petits logements pour de trop grandes familles" qui ont fait de sa commune un "terreau fertile" du fondamentalisme islamique. Un contexte social que l’édile, interrogée par Libération, dit avoir hérité de son prédécesseur, Philippe Moureaux.

À la tête de Molenbeek durant 20 ans (1992-2012), l’ancien maire socialiste est, depuis les attentats de Paris, régulièrement accusé d’avoir négligé la question de la radicalisation de la commune. "Philippe Moureaux a passé une sorte d’accord électoraliste avec les islamistes, une sorte de pacte de non-agression qui a laissé les plus radicaux prospérer", affirme ainsi dans Paris Match la journaliste belgo-marocaine Hind Fraihi, auteure de l’ouvrage "En immersion à Molenbeek".

"Salafisation de l’islam belge"

Reste que la mauvaise gestion dont se serait rendu coupable l’ex-élu socialiste n’est qu’une illustration des années d’incurie des autorités belges. Pendant 30 ans, le royaume a en effet laissé à l’Arabie saoudite le soin de gérer, via une ONG appelée la Ligue islamique mondiale, plusieurs lieux de culte musulmans à Bruxelles. Parmi eux, la Grande mosquée du Cinquantenaire, qui fut longtemps considérée comme le porte-voix du wahhabisme en Belgique avant de changer de direction en 2012 sous la pression d’autorités locales de plus en plus inquiètes de la montée de l’intégrisme au sein de la communauté musulmane.

"Cette salafisation de l’islam belge a été un terreau pour d’autres dérives", affirme l’islamologue Michael Privot dans les colonnes de Libération. De fait, aujourd’hui, les activistes radicaux de Molenbeek ne fréquentent plus les mosquées par peur de se faire repérer par les radars du renseignement belge. Aux lieux de culte qui travaillent désormais plus étroitement avec la municipalité, ils préfèrent les réunions dans l’intimité d’un appartement, aux prêches de l’imam, ils privilégient les discours diffusés sur Internet pour grossir les rangs de la "guerre sainte". "Ce n’est plus juste une question de quelques livres, ou de chaînes de télévision satellite, ce sont tous les réseaux sociaux qui peuvent servir à diffuser le message. Et grâce à Internet, le recrutement d’un jeune peut se faire encore plus rapidement qu’avant", rapporte Hind Fraihi.

Passés dans la clandestinité, les réseaux belges fournissent ainsi un nombre important de candidats au jihad : plus de 1 000 combattants seraient partis en Syrie contre 2 000 pour la France. Ramené au nombre d'habitants, ce ratio fait de la Belgique, 11 millions d’habitants, le pays européens le plus touché par le phénomène.

"Faire du jihadisme un élément d’une ville ne tient pas la route"

Mis en lumière avec les attentats de Paris et de Bruxelles, Molenbeek n’est toutefois pas une exception en Europe, insistent les spécialistes. "Faire du jihadisme un élément d’une ville ou d’une localité ne tient pas la route, commente dans Les Inrocks Corinne Torrekens, politologue à l’Université libre de Bruxelles. Ce sont des individus qui sont organisés en réseaux. Qu’ils puissent, à Molenbeek, se fondre dans la masse, c’est une chose. Qu’ils aient pu avoir des complicités, c’est possible. Mais aujourd’hui c’est toute l’Europe qui est concernée par ce phénomène."

"Le réseau de Molenbeek est aujourd’hui connu parce qu’il est passé à l’action. Mais rien n’indique qu’il n’y aura pas d’autres cellules ailleurs qui vont aussi le faire", abonde Wassim Nasr. En France, des villes comme Lunel, dans l’Héraut, ou Sevran, en Seine-Saint-Denis, sont elles aussi connues pour abriter des filières jihadistes. S’il est encore difficile de parler de "réseau", la présence de recruteurs a engendré le départ de dizaines de jeunes en Syrie et en Irak. Une douzaine d’entre eux y ont trouvé la mort.
 

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