Argenteuil : ce que pourrait cacher le voile de la conseillère municipale

Et si la polémique autour de l'élue voilée n'était qu'un contre-feu pour faire oublier la politique communautariste de l'ancien maire ? Enquête.

Par Isabelle Kersimon

Philippe Doucet, l'ancien maire d'Argenteuil, et Georges Mothron, redevenu maire après les élections municipales de 2014. 
Philippe Doucet, l'ancien maire d'Argenteuil, et Georges Mothron, redevenu maire après les élections municipales de 2014.  © DENIS ALLARD/REA

Temps de lecture : 9 min

Comme souvent, c'est sur les réseaux sociaux que naissent les polémiques et que s'éteignent les lumières de la raison dans un brouhaha de cour de récré. Une conseillère municipale (LR) voilée à Argenteuil, Mme Fatiha Bacha, a été livrée à la curée des internautes par la remarque, notamment, de l'élu PS Amine El Khatmi – lui-même victime d'un harcèlement virtuel pour avoir clamé son attachement à la laïcité. Une belle occasion de faire le point.

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Argenteuil, où coule la Seine, abrita au Moyen Âge la jeune Héloïse future maîtresse du moine Abélard. Aujourd'hui, la ville a bien changé. Elle compte un peu plus de cent mille habitants, au moins cinq églises catholiques, une église évangélique et quatre mosquées. Autant dire des réserves de voix confessionnelles que se disputent des édiles. Dernière polémique en date : le port du voile de Fatiha Bacha, conseillère appartenant à l'équipe municipale de Georges Mothron, ancien maire LR redevenu maire après la fin du mandat du socialiste Philippe Doucet (2008-2014), par ailleurs rapporteur spécial pour la laïcité à l'Assemblée nationale et député d'Argenteuil-Bezons.

« Service commandé »

Le torchon brûle depuis des années entre Mothron et Doucet, qui s'accusent mutuellement d'instrumentaliser les faits et de tordre les réalités. Il est vrai qu'à l'heure actuelle Philippe Doucet semble être en délicate posture. Déjà contraint en 2014 par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise – sur réclamation de l'Observatoire de la laïcité du Val-d'Oise (Olvo) – d'abroger sa délibération créant un « conseil des cultes », il est actuellement sous le coup d'une information judiciaire confiée au pôle financier du TGI de Paris. Georges Mothron a, en effet, déposé deux plaintes pour « favoritisme, complicité et recel, trafic d'influence, détournement de fonds publics et abus de confiance aggravé ».

« Des accusations très graves », commente Laurence Marchand-Taillade, présidente de l'Ovlo. Selon elle, Amine El Khatmi est dans cette polémique en « service commandé ». Objectif ? « Se venger sans doute, ou détourner l'attention des Argenteuillais sur les affaires gravissimes pour lesquelles la mairie actuelle s'est portée partie civile. » Elle rappelle que Philippe Doucet « tolérait tout lorsqu'il était aux affaires et organisait le communautarisme, tant à la mairie d'Argenteuil, où il a négocié des voix tout le long de son mandat avec les responsables religieux les plus radicalisés, qu'à la communauté d'agglomération, où il a mis à disposition, pour l'entretien des extérieurs des mosquées, des employés de l'hôtel d'agglomération ».

« Le loyer, c'est entre la mairie et nous »

Les militants laïques locaux sont unanimes : oui, Philippe Doucet aurait bel et bien joué avec le feu du radicalisme islamiste. Ainsi, des documents révélés par Georges Mothron lors d'une enquête d'Envoyé spécial montrent qu'il a mis à la disposition de l'association gérant la mosquée Es Salam un bâtiment initialement prévu pour la Direction de l'éducation et de l'enfance et y a engagé 393 000 euros de travaux, notamment pour sa mise aux normes de sécurité, avant de signer un contrat de location de 60 000 euros annuel.

La mosquée en question recevait en février 2014 le prédicateur Hassan Iquioussen pour une conférence sur l'islam et la politique, un Frère musulman. L'Olvo avait alerté le préfet au nom de l'article 26 de la loi de 1905 stipulant qu'« il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte ». Interrogé par Séverine Lebrun, journaliste pour Envoyé spécial, l'imam bénéficiaire de cette largesse annonçait le plus tranquillement du monde qu'il ne payait pas : « Le loyer, c'est entre la mairie et nous. On avait un accord entre eux et nous : ils nous prêtent le local jusqu'à la construction de la mosquée, c'est tout. On a signé une convention, mais après j'ai dit : Non, je ne paye pas. Donc ils nous ont dit de rester là jusqu'à nouvel ordre. Monsieur Doucet, c'est un accord qu'on a fait entre lui et nous. Je ne peux pas vous dire plus que cela. »

Le maire actuel aurait donc hérité d'une dette locative de 82 000 euros. Quant à Abdelkader Achebouche, qui gère la mosquée Al Ihsan, il assume pleinement les tractations confessionnelles : avant chaque élection, assure-t-il, il négocie des travaux d'aménagement.

Où est passé Mehdi l'aumônier ?

En outre, Philippe Doucet aurait fermé les yeux sur les pratiques de certains employés municipaux : prières dans les vestiaires (ce qui contraignait les autres employés à attendre avant de pouvoir revêtir leurs uniformes le matin) ; demandes d'aménagement horaires pour la prière du vendredi ; recrutement d'un agent jugé antirépublicain et dénoncé par la CGT (refus de serrer la main à sa supérieure hiérarchique pour des raisons confessionnelles, demande d'aménagements de temps de prière). Connu sous le sobriquet de « Mehdi l'aumônier », ce dernier a la réputation d'être un salafiste très actif. Officiellement engagé au sein du service cadre de vie, il n'y aurait jamais été vu par sa supérieure et n'aurait jamais été noté. Or un fonctionnaire doit être noté au moins une fois par an. Où était donc Mehdi ? À en croire son dossier et les paroles d'Argenteuillais qui le connaissent bien, il était officieusement l'interface entre Philippe Doucet et « la communauté musulmane d'Argenteuil », dont il était chargé d'« encourager » le vote.

Alors, l'affaire du voile d'Argenteuil, un simple écran de fumée ? Contactée par téléphone, la mairie d'Argenteuil s'est refusée à tout commentaire, nous renvoyant à son laconique communiqué de presse. Lequel se contente, comme diraient Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène (membres très controversés de l'Observatoire national de la laïcité), de « dire le droit ». De fait, au regard du droit, Mme Bacha n'est pas en délicatesse. Mais la question peut-elle se résumer à cela ?

« Amine (El Khatmi) a eu raison de dénoncer ce voile. Mais danser la carmagnole dès qu'un voile pointe le bout de son nez, ça ne mène pas très loin », commente Karim Bey, militant laïque et féministe. « Il y a beaucoup à faire. Par exemple, vérifier que les mariages pratiqués par les imams suivent bien une déclaration à l'état civil. On voit bien toutes les histoires de polygamie. Le voile est un combat féministe qu'il faut mener, mais la loi en l'état ne permet pas tout. »

« Petites entorses »

Laurence Marchand-Taillade est tout aussi agacée : « La loi ne prévoit pas grand-chose sur la question. Autant la neutralité du fonctionnaire est une obligation, autant celle de l'élu, non. L'Assemblée nationale a d'ailleurs connu la soutane de Félix Kir jusqu'en 1967. Néanmoins, il paraît évident, lorsque l'on est élu, que l'on se doit d'être le représentant de tous les administrés de sa commune. En portant un signe distinctif, quel qu'il soit, on ne délivre plus ce message unitaire. À l'heure où l'on demande à tous les élus d'être irréprochables, peut-être que la question des signes religieux ostensibles dans le cadre des fonctions d'élus mériterait d'être remise au goût du jour. »

M'Barek Marir, militant laïque et ancien élu MoDem, va plus loin : « Concrètement, la loi de 1905 permet énormément de choses, mais interdit une gestion confessionnelle. Et celle-ci ne se déroule pas sous les lumières des médias, mais mano a mano, sous forme de pactes de non-agression ou de services mutuels. Personne ne voit rien à redire aux petites entorses et aux accommodements grâce aux enveloppes législatives, c'est la pratique habituelle. Les usages contraires à la loi sont une vraie tradition. Les entorses ne datent pas de l'implantation de l'UOIF. La seule alternative serait de tout geler, de prendre une année pour réfléchir et de rectifier peut-être la loi concernant le financement des candidats et le pouvoir des lobbies religieux. »


Tribune de Philippe Doucet en réponse à Isabelle Kersimon :


Le 2 mars dernier, Isabelle Kersimon publiait un article choquant, mettant en cause la politique que j'ai menée lorsque j'étais maire d'Argenteuil (de 2008 à 2014). Dans cet article, écrit au conditionnel, et ne citant comme sources que mes détracteurs politiques, elle m'y accusait notamment d'avoir mis à mal le principe de laïcité, et favorisé le communautarisme religieux à des fins électorales. Pis encore, en re-diffusant sur Twitter ce même article le jour de l'arrestation de Reda Kriket, elle m'accuse d'être responsable de la radicalisation de cet individu, et pourquoi pas, de sa décision de passer à l'acte ! Ce sont là des propos inacceptables et dangereux auxquels je souhaite répondre.

Avant de dégainer un tweet faisant un lien plus que discutable entre la politique menée à Argenteuil lorsque j'étais maire et l'arrestation de Reda Kriket, peut-être aurait-il été utile à Isabelle Kersimon, journaliste, de vérifier certains faits. Reda Kriket n'a ni grandi ni vécu à Argenteuil ; l'appartement perquisitionné lui servait principalement de « planque ». On imagine mal comment ma prétendue « politique communautariste » aurait pu participer à la radicalisation de cet individu.

Cet article n'est étayé par aucune preuve, participe à la diffusion de rumeurs lancées depuis longtemps à mon encontre par mes opposants politiques locaux, et ne me laisse à aucun moment la parole.

Concernant mon action lorsque j'étais maire, et encore aujourd'hui député d'Argenteuil, je me suis toujours attaché à maintenir le vivre ensemble et le dialogue au sein de la population argenteuillaise, tout en respectant le principe de laïcité. Dans une ville où se côtoient des citoyen(ne)s athées, chrétien(ne)s (catholiques et évangélistes), musulman(e)s et israélites, j'ai souhaité faire du dialogue et des rencontres entre les habitants la pierre angulaire du vivre ensemble. C'est dans ce but que j'ai encouragé l'organisation des journées « portes ouvertes » dans des lieux cultuels, dans le cadre des journées du vivre ensemble.

À l'échelle nationale, j'ai fait mien le combat pour la laïcité, telle que définie par la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État. Responsable du groupe de travail « laïcité et cultes » à l'Assemblée nationale, j'ai également rédigé une charte de la laïcité afin d'en réaffirmer les principes. C'est dans le respect de la loi de 1905, que les élus locaux peuvent, et même doivent, rencontrer les multiples acteurs de leur ville, qu'ils aient un rôle économique, culturel, social ou spirituel. Mais il semble falloir préciser que rencontrer et dialoguer, ce n'est pas soudoyer. Isabelle Kersimon prouve sa profonde méconnaissance du travail de maire, qui ne consiste pas à jouer les grands inquisiteurs, mais au contraire à être le représentant de toutes et tous, et donc à discuter avec toutes et tous. C'est notamment en agissant pour favoriser le dialogue et une meilleure connaissance de l'autre, deux éléments efficaces contre l'embrigadement, que les élu(e)s peuvent agir contre la radicalisation de certains.

La République et la loi de 1905 nous offrent les outils nécessaires pour faire respecter le principe de laïcité et assurer à chaque citoyen le libre exercice de son culte, quel qu'il soit. Malheureusement, la manière dont Mme Kersimon appréhende la laïcité semble parfois plus proche de celle du Front national, qui sous couvert de laïcité, s'en prend d'abord aux Français(es) de confession musulmane. Je ne peux que l'inviter à cesser de proférer de telles énormités et à relire la loi de 1905, dont je vais d'ailleurs m'empresser de lui faire parvenir le texte.

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Commentaires (32)

  • camimille

    Le sabotage de nos valeurs laïques et républicaines grâce à la loi qui finalement ne garantit pas grand chose.
    Nous sommes en temps de guerre je crois, appliquons donc les sanctions de rigueur.

  • Phobos

    Les socialistes ont dans leurs rangs, un nombre incroyable de mis en examen, d'inculpés, de tricheurs accusés de détournement d'argent public, etc.
    Là nous voyons comment les socialistes qui se battent tant contre le nationalisme, favorisent la montée du communautarisme.
    Les socialistes ont bel et bien trahi les intérêts des français. C'est aux socialistes que l'on doit le délitement de la société française.
    Depuis l'affaire mafieuse URBA, les socialistes sont partout impliqués dans des affaires mettant en cause l'intégrité de l'argent public.
    On attend toujours le jugement de Guérini, lui qui affirmait qu'il en savait assez pour faire tomber plusieurs ministres de Hollande.
    Après la défaite de Hollande en 2017, la justice qui retrouvera le chemin de la vérité, aura beaucoup de pain sur la planche pour enquêter sur tous ces socialistes pas clairs du tout.

  • Passeur

    @Sanglier de Génolhac : bon anniversaire de la part d'un "jeunot " qui se régale de vos commentaires quasi rabelaisiens.