Le mouvement terroriste qui se fait appeler «État Islamique» a opéré une rupture en matière d’utilisation des NTIC. Des dizaines de victimes sont recrutées par le biais du web 2.0, et ce, dans plusieurs régions du monde. Facebook est le principal média de recrutement tandis que Twitter est utilisé dans la diffusion des liens de contenus extrémistes…

On en est conscient et après ?

La communauté internationale est consciente du danger que représente le web social à cause de son instrumentalisation par les extrémistes islamistes (et non islamiques, comme ils se prétendent), mais elle a du mal à les contrer efficacement. La lutte contre ce qui est appelé le Djihadisme 2.0 est orientée sur deux axes : l’élimination du problème à la source, c’est-à-dire la fermeture des plateformes concernées, et la production d’un contre-discours. Mais force est de constater que les efforts dépensés ne parviennent pas à obtenir des résultats satisfaisants : DAECH prospère sur le web et recrute de plus en plus.

Contrairement aux groupes terroristes d’avant sa création, DAECH est en train de faire très mal dans la bataille de la communication. Par sa maitrise des NTIC, sa production de qualité hollywoodienne et ses porte-paroles auxquels s’identifient les cibles, ce prétendu État a déployé une redoutable stratégie qui s’avère malheureusement efficace. Comment expliquer cette efficacité alors que les États eux aussi disposent de grands moyens de communication ?

Crédibilité de la source et crédibilité du contenu

Les régimes arabes qui ont toujours menti à leurs peuples, les USA qui ont déclaré tellement de guerres inutiles et injustes (la guerre en Iraq est la principale cause de l’existence de DAECH), la France qui a semé le chaos en Libye, l’Angleterre qui a toujours soutenu aveuglement les USA, les Nations Unies, dont l’histoire est souillée par « le deux poids deux mesures » qu’ils pratiquent si insolemment…et tous leurs médias. Voilà la communauté internationale qui lutte contre DAECH et voilà les sources du contre-discours censé combattre l’extrémisme.

Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de produire un contenu crédible. Il faut que sa source jouisse elle aussi de la confiance du récepteur, sans quoi même la pure vérité serait perçue comme de la manipulation.

La fin du village mondial

Marshall McLuhan, l’un des plus grands chercheurs de l’histoire de la communication, prédisait dès les années 60 la formation d’un unique village qui engloberait toute l’humanité. Celle-ci consommerait les mêmes idées grâce aux médias qui diffuseraient l’information instantanément, comme si les humains vivaient dans un même village.

Certains diront qu’il a eu raison puisqu’un site comme Facebook englobe 1,5 milliard d’abonnés du monde entier. Ceci est vrai. Mais des études sociales ont démontré que nous sommes passés, grâce à des réseaux comme Facebook, vers un système de tribus, voire de multiples villages mondiaux. Qu’est-ce que cela implique ? L’idée est que la dimension planétaire dans les échanges est toujours présente, elle est même renforcée par la communication asynchrone que permet le web. Mais la population mondiale est fractionnée en tribus. Par exemple, vous pouvez faire partie d’un groupe qui comporte une centaine de membres, mais qui est répartie sur tous les continents.

L’isolement des recrues de DAECH

Les victimes de ce mouvement terroriste, il faut le dire, sont d’abord isolées psychologiquement, puis se renferment dans un mode de pensée unique et refusent d’écouter d’autres avis. Je ne dirai pas plus sur ce sujet, car le but de cet article est d’aborder ce qui a trait au web social.

Le deuxième facteur qui met les recrues dans leur macabre bulle est lié à ce que j’ai évoqué plus haut, les multiples villages mondiaux. En effet, lorsqu’on fait partie d’un groupe ou d’une page Facebook, ceux-ci vont être des sources d’information permanentes et privilégiées. Surtout que Facebook est aujourd’hui utilisé par beaucoup comme un agrégateur du web social : on s’y rend pour lire la presse, regarder des vidéos, jouer… donc un nombre limité de groupes peuvent très bien satisfaire tous les besoins 2.0.

Le troisième facteur d’isolement est le fameux EdgeRank de Facebook. Cet algorithme qui détecte les contenus sur lesquels vous cliquez, afin de vous les proposer en priorité lors de vos connexions futures. Le risque est qu’il suffit d’interagir (même si c’est pour critiquer) sur quelques pages qui promeuvent le terrorisme pour que votre Timeline devienne un réceptacle des contenus de DAECH. Avec le concours des autres plateformes comme Twitter et la qualité extraordinaire des contenus de propagande, il y a de grands risques que vous soyez influencé.

Communication personnelle vs communication de masse

Vous êtes séduit par la qualité des vidéos qu’ils vous montrent. Vous rêvez d’appartenir à un groupe où le sens de la « fraternité » est au sommet. Vous vous voyez très bien vivre cette « ascension » en vous intégrant parfaitement à DAECH, car ils ont tout fait pour vous miroiter une image interne « parfaite ». Vous êtes confiant quant à votre intégration dans le groupe, car ils vous ont montré quelqu’un qui vous « ressemble », qui avait la même vie que vous avez et qui affirme pourtant être très heureux de son choix de rejoindre DAECH.

L’ultime étape est celle du recrutement. Comme si tout ce que je viens de citer n’était pas assez dangereux, DAECH procédera à une dernière manœuvre : la construction d’un lien de confiance à travers des conversations privées. La faiblesse de la communauté internationale est totale sur ce point. Elle ne communique qu’à travers les canaux de masse, contrairement à DAECH qui s’offre le luxe de personnaliser sa communication. À cette phase, l’isolement de la victime atteint un point de non-retour. Si auparavant elle avait des chances de tomber sur un contre-discours en cherchant des réponses, elle devient désormais prisonnière du recruteur, à qui elle soumettra toutes ses interrogations.

Conclusion

Je ne pouvais pas conclure cet article sans proposer ma vision de la solution (sommairement). D’une manière générale, il faut se rendre compte que les moyens de lutte classiques ne fonctionneront pas. Il faut s’adapter en soutenant des leaders d’opinion capables de se positionner dans la conversation interpersonnelle, et de porter un contre-discours au sein même des multiples villages mondiaux. Sans oublier les sites comme Facebook qu’il faut pousser à plus de collaboration. Il faut surtout promouvoir une citoyenneté numérique, à travers laquelle nous combattrons cette folie dans notre entourage immédiat…