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Négociations

Les intermittents «piégés» par le Medef ?

A l'occasion d'une réunion avec les syndicats, jeudi, le Mouvement des entreprises de France a demandé d'économiser 185 millions d'euros par an, tout en appelant l’Etat à la rescousse. Un «chantage» pour la CGT, mais aussi pour FO.
par Amandine Cailhol
publié le 25 mars 2016 à 14h34

Mercredi, 43 000 jeunes étaient dans la rue. De plus, 58% des Français rejettent le projet de loi El Khomri selon un sondage réalisé pour Libération, et le chômage, dont les derniers chiffres viennent d'être publiés, est reparti à la hausse. Bref, l'agenda social est aussi électrique que chargé. Pourtant, c'est un sujet bien spécifique qui a occupé les partenaires sociaux jeudi : l'avenir des règles d'indemnisation chômage des artistes et techniciens intermittents. Réunis au siège du Medef, dans le cadre des négociations sur l'assurance chômage, syndicats et représentants du patronat ont tenté, sans succès, de se mettre d'accord sur les économies à réaliser par les intermittents du spectacle, dans le cadre de leur régime spécifique, défini par les annexes 8 et 10 de la convention Unédic.

Mais de quoi parle-t-on ? Cette année, pour la première fois, les règles propres au «régime» des intermittents du spectacle sont négociées «à part», c'est-à-dire entre représentants du secteur. Mais, si les partenaires sociaux interprofessionnels sont sortis du jeu, ils gardent la main sur le «cadre financier» de cette négo. Déjà attendu le 8 mars, lors de la dernière rencontre des partenaires sociaux, ce dernier divise les syndicats.

«C’est la guerre à nouveau qu’ils veulent»

En amont de la réunion de jeudi, le Medef a fait parvenir ses propositions aux  syndicats. Parmi ses requêtes : «a minima», que les règles applicables aux annexes 8 et 10 ne conduisent «pas à augmenter l'écart existant entre celles-ci et les règles d'indemnisation du régime de droit commun». Et, surtout, qu'à l'horizon 2020, les dépenses liées à l'indemnisation des intermittents ne soient pas plus de trois fois supérieures à ses recettes (le ratio étant de quatre aujourd'hui). Ce qui, selon la CGT, pourrait entraîner une baisse des allocations de l'ordre d'un quart.

L'organisation patronale, qui a précisé ses attentes devant les partenaires sociaux, attend donc une économie de 185 millions d'euros par an, d'ici 2018. Un chiffre jugé «inacceptable» par la CGT Spectacle, majoritaire dans la profession. «Il faut que ce document évolue considérablement», prévient Denis Gravouil, son secrétaire général. Sans quoi le conflit des intermittents pourrait repartir de plus belle, comme en 2014, lors de la précédente négociation sur l'assurance chômage. «C'est la guerre à nouveau qu'ils veulent», note sur Twitter la Coordination des intermittents et précaires d'Ile-de-France (CIP-IDF). Un scénario catastrophe pour le gouvernement.

«Un bras de fer clair entre Matignon et le Medef»

Autre demande mise sur la table par le Medef : une participation de l'Etat. Sur les 185 millions d'euros, le patronat attend donc un effort de 105 millions d'euros de la part des professionnels du spectacle et réclame le reste, 80 millions d'euros, à l'Etat. Argument de l'organisation : actuellement, le gouvernement participe à hauteur de 100 millions d'euros, puisqu'il a accepté, en 2014, de prendre en charge financièrement le différé d'indemnisation, une mesure très décriée par les intermittents. Et, selon les plans des patrons, le gouvernement «ne dira pas non» cette fois encore. «Partir de l'hypothèse que l'Etat va compenser en lui mettant le couteau sous la gorge et en disant "attention, les festivals arrivent", c'est une drôle de façon de négocier», abonde Stéphane Lardy, le négociateur FO qui, comme la CGT, oppose un «non» catégorique aux propositions patronales.

Pour la CGT, qui dénonce «un bras de fer clair entre Matignon et le Medef» et un «chantage du patronat par rapport à la loi travail», la proposition est un «piège». Le but : supprimer d'ici peu le régime des intermittents, dont l'existence a pourtant été inscrite dans la loi en 2015. «Rien ne dit que l'Etat va dire oui, et dans tous les cas, que ce passera-t-il en cas de changement de gouvernement en 2017 ?» questionne Gravouil. Côté CFDT, la mise à contribution étatique est par contre envisagée, puisqu'il est responsable, «au regard de sa politique culturelle», pointe Véronique Descacq. La centrale devrait, comme la CFTC, signer mardi le document du Medef. La CFE-CGC, elle, «attend des éclaircissements de l'Etat» avant de se décider, note son négociateur Franck Mikula.

Changement de cap de la ministre du Travail

Quant aux autres sujets, ceux du régime général, les participants à la réunion n'ont pas avancé. Les discussions sont reportées au prochain rendez-vous. «Le Medef est toujours obsédé par les intermittents», s'agace sur Twitter Sophie Binet, de la CGT, tout en appelant à parler des «vrais sujets», comme les CDD ou les ruptures conventionnelles : le syndicat propose d'augmenter les cotisations patronales. Un point que Myriam El Khomri, la ministre du Travail, semble partager, au vu de ses dernières déclarations. Lors des questions au gouvernement, jeudi, elle a déclaré : «La pérennité financière du régime d'assurance chômage ne signifie pas une diminution de l'indemnisation des chômeurs.» Avant de pointer du doigt deux sources de déficits : les «employeurs qui font des contrats particulièrement courts» et les «ruptures conventionnelles». De quoi marquer un net changement de cap de la ministre, qui avait dressé, il y a un mois, une liste bien plus longue de curseurs activables. Dont la «durée d'indemnisation», la «durée d'affiliation» ou encore la «dégressivité» des allocations.

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