Olivia Bugault : Pourquoi avez-vous fondé la Brigade des mères ?

Nadia Remadna : Travailleuse sociale et médiatrice culturelle pour l’Éducation nationale, j'ai constaté la montée de l'échec scolaire, de la délinquance et actuellement de la radicalisation. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas, qui ne fait pas son travail ? Je me suis dit "c'est à nous les mères, c'est à nous les femmes ! Debout les mères, debout les femmes, debout les hommes, réveillez-vous !" parce que nos enfants partent soit en prison soit en Syrie. Il faut qu'on réagisse.

Quelles sont vos actions ?

Il y a 3 axes : les enfants exclus qui ne trouvent pas d'école, les femmes victimes de violences conjugales et la prévention de la radicalisation. Les gens me connaissent comme travailleuse sociale alors le contact est plus facile. Mais j'ai créé la Brigade des mères pour être plus libre, pour ne pas représenter l'institution. Parce que souvent on me reprochait de faire barrière, j'étais étiquetée 'Éducation nationale', 'Mairie'.

Quelle est la place des hommes au sein de la Brigade des mères?

Nous avons des hommes avec nous mais ils sont plus présents lors des manifestations. On fonctionne un peu comme les urgences : le téléphone sonne et on y va... Les hommes ne voient pas les choses comme nous. Ils sont plus fatalistes peut-être parce que l'amour d'une mère c'est différent et, dans certaines cultures, les enfants sont plus proches de leur mère.

Vous semblez être déçue par les institutions et la classe politique. Pourquoi ?

Le problème c'est qu'aujourd'hui, on a l'impression que certains maires ne le sont que pour la population qui a voté pour eux. Ça ne peut pas fonctionner. Je pense que le changement viendra des citoyens. Je dis souvent : ‘’on ne pourra pas faire pire’’. C'est l'avenir de nos jeunes qui est en jeu. Demain, ils nous diront « vous avez fait quoi, à part pleurer, faire des débats, des conférences ... mais vous avez fait quoi exactement ? ».

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Vous écrivez : "On a pas compris que les politiques veulent nous maintenir dans nos traditions, nous maintenir dans nos cultures ... même pas 'nous maintenir', nous enfermer" ...

Les quartiers sont comme des prisons à ciel ouvert. On vous maintient dans votre culture et on joue avec vos blessures. Aujourd'hui, les élus locaux vous disent "faites attention, les autres ce sont des méchants. Nous on vous laisse tout faire, vous voulez un couscous, une mosquée ? On vous les donne !". Ils nous enferment dans une communauté qui ne serait que religieuse. On a l'impression de vivre dans un pays du tiers-monde et que nos institutions sont des ONG. On voit le résultat !

Vous évoquez votre père qui ne voulait pas que vous côtoyiez des Français. Le communautarisme est à double sens ?

Le racisme est universel. Il n'est pas français, il n'a pas de religion, pas de nationalité. Ce qui est bien avec la Brigade des mères, c’est que toutes les nationalités, toutes les religions se côtoient. On voulait faire le pont entre les cultures. Pour arrêter d'avoir des préjugés parce qu'ils existent des deux côtés. Beaucoup de Parisiennes nous ont rejointes et, grâce à la Brigade, elles parrainent une famille de banlieue : elles prennent, pour un weekend, un enfant de cité et l'emmènent au musée par exemple. En échange, leurs enfants viennent dans nos quartiers, et voient qu'ici les nôtres partagent une chambre à trois et que ça se passe bien.

Vous dites que vous avez été formatée par votre père ... comment vous vous êtes émancipée ?

Grâce à la France. Je l'adore, elle m'a tout donné. On ne peut pas ne pas aimer la France. On peut critiquer certaines choses mais la culture, la langue, la philo, la connaissance... En France, vous pouvez rentrer à la Fnac, vous asseoir et ouvrir un livre. Pour moi, c'est important. Dans la culture et l'instruction, il n'y a pas de limites.

Vous parlez d'un « mal islam », le fait que les jeunes vivent mal leur religion aujourd'hui...

Pour certains, l’islam, c'est revenir en arrière et agir comme au temps du prophète. Ils sont convaincus d'avoir raison, ce qui est dangereux surtout quand ils sont jeunes parce que ni la cellule familiale ni le Coran ne leur disent qu'ils n'ont pas le droit de faire des choses monstrueuses. Dans toutes les religions, l'amour et la haine existent. Leur dire qu'il n'y a que de l'amour, c'est faux. Il faut arrêter de mentir.

Avez-vous été traitée d'islamophobe, reçu des menaces ?

Ce sont plus des insultes que des menaces, et c'est lâche, on voit que ce sont des hommes. Mais comme je suis travailleuse sociale, je crois que certains jeunes se disent "attention ne touche pas à Nadia".

Vous dites que vous avez peur de parler mais aussi de vous taire. Est-ce que votre force, c'est votre peur ?

Oui c'est ma peur. On veut que je me taise mais la peur n'empêche pas le danger. Je refuse d'être complice comme ces politiques qui n'écoutent pas pour ne pas savoir. Cela doit être le combat de tous, c'est pour ça que j'invite tout le monde à manifester avec nous dimanche 13 mars pour les jeunes et pour la République. La France ne m'appartient pas, elle appartient à tout le monde et si la République va mal, nos enfants vont mal !

Votre notoriété vous sert-elle ? Les politiques vous invitent-ils ?

J'ai été invitée un peu partout mais, à Sevran, personne n'a réagi. On a un nouveau projet : quand j'ai vu que le président, François Hollande, a donné la légion d'honneur à ce prince saoudien, j'ai décidé d'entreprendre une nouvelle action : "Prenons nos valises". On va aller à l’Élysée, toquer, et on va leur demander si un pays laïc peut nous accueillir parce que la France ne l'est plus !

"Comment j'ai sauvé mes enfants" de Nadia Remadna chez Calmann-Lévy, 17 euros.

Manifestation de la Brigade des mères dimanche 13 mars à 14h Gare du Nord direction République