“Des terroristes à la retraite” : un pavé dans la mare de la Résistance

1983. Le documentaire de Mosco Boucault vient marcher sur les platebandes du Parti communiste : un mythe s'effrite. Retour sur l'histoire de ce film, juste avant sa diffusion ce soir sur Arte.

Par François Ekchajzer

Publié le 06 février 2014 à 11h39

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h09

A (re)voir aujourd'hui Des terroristes à la retraite de Mosco Boucault, qu'Arte diffuse ce mardi 11 février 2014, dans une version fraîchement restaurée, on a peine à imaginer le scandale que provoqua en 1985 ce formidable documentaire consacré aux FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans-Mains-d'œuvre immigrée), réseau de résistance formé de Juifs communistes originaires de Pologne, de Roumanie ou d'Arménie, qui commirent en 1942 et 1943 de nombreux attentats contre l'occupant.

Nourri de témoignages des héros de cette histoire méconnue et mythifiée par le Parti communiste, Des terroristes à la retraite – fait rarissime en matière de documentaire – a mis au jour une matière historique inédite et insoupçonnée. « De cette histoire, je ne connaissais pas grand-chose d'autre que le poème d'Aragon [Strophes pour se souvenir, sur le groupe Manouchian, en 1955, ndlr], explique l'historien Stéphane Courtois, qui terminait alors sa thèse sur le PCF dans la guerre (dirigée par Annie Kriegel). En me mettant sur le coup à la demande de Mosco, j'ai fait des découvertes. Notamment à travers une publication des lettres de fusillés, en 1951 – une brochure préfacée par Louis Aragon, dans laquelle quasiment tous les immigrés avaient été oubliés. C'est que l'histoire des communistes dans la guerre était la chasse gardée des communistes eux-mêmes. Aussi, lorsque Mosco m'a présenté son film, et que j'ai entendu la phrase (“Faute de preuves, je n'irais pas jusqu'à dire que le Parti les a donnés.”) de Philippe Ganier-Raymond, auteur de L'Affiche rouge (Fayard, 1975) à propos de l'arrestation du groupe Manouchian, je lui ai dit que ça allait tanguer ! »

« Je n'imaginais pas que ça irait si loin, sourit Mosco Boucault. Le film a été présenté au festival de Cannes en 1983 (à Perspectives du cinéma français, dont s'occupait Jacques Poitrenaud, proche du PCF), puis au festival de Grenoble où il a obtenu le Grand prix. Aucun problème ne s'est présenté… jusqu'à ce que Simone Signoret, qui avait enregistré le commentaire du documentaire avec Gérard Desarthe, s'inquiète de sa non-diffusion. Elle a pris rendez-vous avec Jean-Claude Héberlé, pdg d'Antenne 2. Pierre Desgraupes, auquel il venait de succéder, lui avait dit : “Il y a un film dans le coffre. Une bombe à retardement. Je te conseille de ne pas y toucher.” »

Mélinée Manouchian, veuve de Missak Manouchian, dernier commandant militaire des FTP-MOI parisiens et Simon Rayman, frère de Marcel Rayman, fusillé en février 1944 à 18 ans après avoir accompli des actions d'éclat contre des objectifs militaires allemands. © KIPA

Mélinée Manouchian, veuve de Missak Manouchian, dernier commandant militaire des FTP-MOI parisiens et Simon Rayman, frère de Marcel Rayman, fusillé en février 1944 à 18 ans après avoir accompli des actions d'éclat contre des objectifs militaires allemands. © KIPA

« Mais Simone Signoret en avait parlé à son cercle d'amis, se souvient Mosco Boucault, et une projection avait été organisée un matin chez Marin Karmitz, avec Costa-Gavras, Jorge Semprun et Ivan Levaï, qui en a parlé le lendemain à la radio : « J'ai vu un film qu'on vous empêche de voir ! » Une partie de la presse s'est emparée du sujet. Libération s'en est ému. Le Matin de Paris a publié sur plusieurs jours les témoignages du film… Lorsque Serge Klarsfeld, président de l'Association des fils et filles de déportés juifs de France, s'est élevé contre la déprogrammation du film, c'est un « conflit entre mémoire communiste et mémoire juive de la Résistance » qui s'est cristallisé, explique Stéphane Courtois.

La publication, dans les colonnes du Monde, d'une tribune de l'avocat Georges Kiejman (« L'annulation du film sur le groupe Manouchian : un pas vers la censure à la télévision ? ») fait l'effet d'un pavé dans la mare, provoquant la colère de François Mitterrand. « Antenne 2 a dû trouver un compromis, explique Mosco Boucault. Et le film a été diffusé en juin 1985 dans les Dossiers de l'écran, précédé d'un avertissement du sénateur Charles Lederman et suivi d'un débat dont il n'est rien sorti. »

Favorisée par la polémique, cette diffusion réunit 13 millions de téléspectateurs – un record dans l'histoire de l'émission d'Armand Jammot. Près de trente ans plus tard, le film de Mosco Boucault a certes perdu de sa force transgressive ; sa rediffusion ne provoquera aucun remou. Mais la puissance de témoignage des Terroristes à la retraite et la profonde humanité dont est chargé ce film doublement historique ne manquera pas de marquer de nouveaux spectateurs, renouant avec sa vocation première.

A voir

Des terroristes à la retraite, de Mosco Boucault, mardi 11 février 2014 à 23h55, sur Arte.

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus