Murs de brique et de béton, longue grille de fer forgé le long du boulevard Raspail, l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) pourrait faire figure de citadelle au centre de Paris. Sa porte est cependant grande ouverte et, depuis le mois de février, Dunia, Amir, Mohammed et dix autres réfugiés syriens, soudanais et afghans en ont franchi le seuil. Ils sont les bienvenus dans cet établissement, cœur de l’enseignement et de la recherche en sciences sociales en France.
L’EHESS a en effet élaboré, depuis novembre 2015, un programme destiné à faciliter l’accueil des réfugiés et à accorder une nouvelle chance à ceux que la guerre a contraints à abandonner études ou recherches. Diplômé de littérature anglaise de l’université de Damas, Mohammed, 30 ans, qui préfère garder l’anonymat tout comme ses collègues réfugiés, est aussi un vif opposant au régime de Bachar Al-Assad. Une cigarette roulée aux lèvres, une autre en préparation entre ses doigts, le jeune homme raconte ses études sabordées par une révolution à mener, puis la perte de proches, son départ ensuite, par le Liban, pour échapper à un enrôlement forcé dans l’armée. « J’ai quitté la Syrie très vite », résume-t-il, une manière d’expliquer l’extrême nécessité de sa fuite. « Et dans ces moments d’urgence, on ne pense pas à prendre les papiers indispensables à la reconstruction d’une vie ailleurs. »
Comme de nombreux réfugiés, Mohammed n’a que sa parole pour garantir la réalité de son parcours universitaire, et pas de diplôme à présenter. « Peu importe », tranche Liora Israël, maître de conférences et secrétaire du bureau de l’EHESS, l’école a une tradition d’accueil des dissidents politiques. « Des réfugiés comme José Kagabo, qui fuyait des violences au Rwanda, sont passés ici et ont enseigné dans nos murs. L’établissement a ouvert ses portes à des hommes et des femmes de l’ancien bloc soviétique et, auparavant, à ceux qui fuyaient les dictatures sud-américaines. »
Un système « à trois étages »
La responsabilité de l’admission, ou non, d’un étudiant est laissée aux enseignants et n’est pas conditionnée à un parcours académique. « Nous ne sommes pas corsetés par une procédure ou un diplôme. Les seuls éléments qui importent vraiment sont la situation et le niveau de l’étudiant. Est-il en mesure de mener les travaux qu’il se fixe ? Nous évaluons le potentiel du candidat et nous le dirigeons vers la spécialité idoine », explique l’enseignante. C’est une des spécificités de l’EHESS, les étudiants travaillent en priorité sur des projets de recherche et ne se dispersent pas parmi une multitude de matières. Anthropologie, droit comparé, sociologie, ou arts et langages notamment : chaque nouvel arrivant intègre une spécialité au sein de laquelle il doit mener son projet à terme.
L’intégration de ces nouveaux étudiants au sein de la prestigieuse école ne se fait pas sans sélection. L’établissement a mis en place un système « à trois étages ». Premier niveau : un groupe d’enseignants-chercheurs centralise les dossiers reçus, opère un premier tri et attribue des tuteurs-enseignants en fonction de la spécialité qui se dessine pour chaque projet. Une fois les binômes étudiants-enseignants créés, les projets doivent être définis ou au moins affinés. Alors, seulement, l’inscription pédagogique est validée. S’ensuit une inscription administrative dont le coût annuel s’échelonne entre 476 et 1 007 euros, en fonction du niveau de formation et de l’âge de l’étudiant réfugié. Ces sommes sont prises en charge par l’établissement.
« Resocialisation académique et administrative »
L’encadrement par l’école n’est pas seulement intellectuel. « Nous devons également favoriser une resocialisation académique et administrative », souligne Liora Israël. En clair, donner le mode d’emploi de notre culture dont la première des clés est la langue. « La priorité est d’apprendre le français », reconnaît Amir, réfugié soudanais et peut-être bientôt spécialiste du droit comparé des réfugiés selon les pays d’accueil. « Ici, une fois que vous avez obtenu le statut de réfugié, la République offre des cours de français. Mais ne serait-il pas plus efficace d’accorder aux demandeurs ces cours en amont afin qu’ils comprennent ce que leur réclame l’administration ? », interroge Mohammed.
L’EHESS peut compter sur l’établissement voisin, l’Alliance française, pour l’enseignement des rudiments du français, puis sur son propre bureau de langue pour les cours de perfectionnement. « En France, dit Mohammed, tu reçois autant que tu donnes. J’accomplirai mon rêve : je serai professeur. »
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