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Didier Daeninckx : après les attentats, « le sentiment d’être pris en étau »

#Résister. Après les attentats de Bruxelles, comment faire face à la terreur ? Aristes, écrivains et intellectuels répondent.

Publié le 24 mars 2016 à 11h04, modifié le 01 avril 2016 à 10h11 Temps de Lecture 2 min.

L'écrivain français Didier Daeninckx en 2007.

Je vis, dans mon quartier, avec le sentiment d’être pris en étau  : d’un côté, la menace mortelle des nihilistes ; de l’autre, la faillite des institutions.

Dans les jours qui ont suivi le massacre des terrasses et du Bataclan, le chef djihadiste Abdelhamid Abaaoud s’est caché dans un terrain vague, à Aubervilliers, à quelques centaines de mètres de l’endroit où j’habite. Puis il a rejoint la rue du Corbillon, à Saint-Denis, pour y mourir, là où j’ai passé une partie de mon enfance. La proximité avec les tueurs n’est pas que géographique. Pour la première fois dans ma vie, un ami, Tignous, est tombé, fauché par une rafale de kalachnikov.

Nous sommes ainsi une multitude à voir l’ombre portée des fossoyeurs du Néant s’étendre sur nos existences. Les choses les plus insignifiantes sont aujourd’hui gorgées de sens et de sang. Un kiosque où l’on achète le journal du mercredi, une table ronde et deux chaises cannées posées sur un trottoir de Paris, la réservation d’une place pour un concert, le frottement du passe Navigo sur le lecteur avant de descendre dans le labyrinthe du métro.

Les signes avant-coureurs de la catastrophe étaient visibles. En ce qui me concerne, depuis trois ans, ici, j’ai vu les corps s’éloigner, les embrassades se raréfier, les barbes et les voiles pousser, les regards s’aiguiser, les murs s’élever. Il a fallu s’habituer à croiser des imams rétrogrades installés dès le petit matin dans les commerces, pour y faire pression sur les fidèles.

Et ce n’est pas par hasard que l’accélération a coïncidé avec les dernières élections municipales. Par son importance à Aubervilliers, la communauté musulmane a été l’une des clés et l’un des enjeux du scrutin. Le Parti de gauche local n’a pas hésité, par exemple, à placer sur les rangs un futur maire adjoint qui engageait le dialogue avec les troupes d’Alain Soral sur le site conspirationniste MetaTV, la Palestine servant de ciment. Un autre futur maire adjoint, membre du Parti communiste, s’amusait à relayer les messages de La Manif pour tous afin d’inciter les « frères » à se détourner des socialistes, vecteurs de décadence. La réalité n’a pas tardé à leur rendre la monnaie de leur pièce.

La semaine dernière, l’un des principaux agents électoraux du Front de gauche local, promu responsable d’un des services municipaux les plus importants au mépris de toutes les règles administratives, a été condamné à six mois de prison. Il avait menacé de mort un voisin, lui promettant de l’égorger, tout en brandissant un bonnet siglé Daech. Une perquisition à son domicile a permis de trouver des drapeaux de la même organisation djihadiste.

Dans une telle situation, chacun cherche à conjurer le désespoir, se met en quête de solidarités. De plus en plus, l’écriture m’apparaît comme un espace de résistance, de ré-existence. Continuer à interroger l’Histoire au moyen de la fiction, immerger des personnages dans les villes chancelantes, aller à la rencontre des habitants provisoires des décharges de Calais pour y entendre les traumatismes centenaires nés des tracés franco-anglais des frontières… Ramasser les éclats du temps un à un. Une écriture qui ambitionnait de changer le monde et qui peine, aujourd’hui, à simplement le dire.

Didier Daeninckx est écrivain. Dernier ouvrage, à paraître en mai  : Un parfum de bonheur, sur ­les photographies de France Demay (Gallimard).

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