Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?
Offrir Le Monde

L’excision bientôt interdite en Somalie ?

D’après l’Unicef, près de 98 % des femmes somaliennes ont subi des mutilations génitales à des degrés divers.

Par 

Publié le 28 mars 2016 à 14h42, modifié le 29 mars 2016 à 11h57

Temps de Lecture 4 min.

Dans un camp de réfugiés à Baidoa, en Somalie, en 2013.

Les chiffres ont beau être connus, ils restent affolants. D’après le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), près de 98 % des femmes somaliennes ont subi des mutilations génitales à des degrés divers : ablation du clitoris, des petites et grandes lèvres, couture du vagin ou infibulation… Quel que soit le niveau d’intervention et malgré son interdiction dans la Constitution de 2012, l’excision au sens large reste couramment pratiquée dans le pays sur les fillettes de 4 à 11 ans. C’est pour en finir avec cette pratique d’un autre âge qui « viole les droits humains » que Sahra Ali Samatar, la ministre des femmes et des affaires familiales de Somalie, se bat depuis sa nomination, en février 2015. Elle a reçu ces derniers jours un soutien de poids : Omar Shermarke, le premier ministre, et 1,3 million de personnes ont signé une pétition en ligne lancée par Avaaz pour en finir avec les mutilations génitales féminines en Somalie.

La tâche paraît impossible, et pourtant… à l’été 2015, la ministre est parvenue à convaincre les autres membres du gouvernement de soutenir un projet de loi en faveur d’une abolition partielle de l’excision. Seules les formes traditionnelles les plus sévères y étaient prohibées. Restait l’excision dite « sunna » ou « minimale », concentrée sur le clitoris. Sahra Ali Samatar espère aujourd’hui amender le texte en obtenant l’interdiction de toutes les formes de cette pratique. Il y a toutefois peu de chances que le projet de loi soit adopté par le Parlement avant l’élection présidentielle prévue dans le courant de l’année. « Après, c’est faisable, assure-t-elle. Même le ministre de la religion est pour ! »

La responsable mise beaucoup sur une prise de conscience des anciens membres de la diaspora aujourd’hui aux affaires. Le président du Parlement, le premier ministre et plusieurs membres du gouvernement qui ont étudié et travaillé à l’étranger pour fuir la guerre civile des années 1990 sont favorables à une interdiction. La pratique est d’ores et déjà moins visible dans les grandes villes. « A Mogadiscio, où j’ai grandi dans les années 1970, l’excision faisait l’objet de cérémonies qui duraient parfois une semaine. On en entendait parler dans le quartier. Des filles s’absentaient plusieurs jours de l’école et celles qui n’étaient pas coupées étaient connues. Leur famille faisait l’objet de pressions. C’est beaucoup plus discret aujourd’hui », assure Sahra Ali Samatar.

Lors des réunions organisées pour débattre du sujet, mères et grands-mères seraient également de plus en plus nombreuses à refuser d’opérer leur fille. « Beaucoup de celles qui l’ont fait se disent aujourd’hui résolues à épargner leurs petits-enfants », souligne la ministre. Elle-même s’est abstenue d’exciser sa fille et s’en félicite : « Lorsqu’elle a accouché aux Etats-Unis, j’ai pu constater à quel point la mise au monde était facile. Elle a donné naissance comme un chat. Alors que nous… »

« Effleure et n’abuse pas »

Les résistances sont toutefois nombreuses dans les rangs conservateurs. « Pour beaucoup d’hommes, l’excision reste une garantie de pureté, de virginité », rappelle Sahra Ali Samatar. Nombreux y voient également une prescription religieuse : si la circoncision des femmes n’apparaît pas dans le Coran, elle est explicitement mentionnée dans les hadiths ou dits du Prophète. « Effleure et n’abuse pas, car cela rend le visage plus rayonnant et est plus agréable pour le mari », aurait enjoint Mahomet à une exciseuse de Médine. Recommandation, obligation, simple conseil ? Les théologiens musulmans sont loin de s’accorder sur le caractère prescriptif de l’opération.

Amran Mahamood, exciseuse depuis une quinzaine d’années à Hargeisa, au Somaliland.

Pour les partisans d’une interdiction totale, la nuance entre excision sunna et opérations sévères reste tout un non-sens. Dans tous les cas, il s’agit de mutilation. Les gynécologues américains qui ont fait polémique en février en défendant les interventions « minimales » dans le Journal of Medical Ethics sont « des criminels purs et simples », estime Edna Adan. Première sage-femme du Somaliland et ex-ministre des affaires étrangères de cette République indépendante autoproclamée du nord de la Somalie, la militante fait campagne depuis quarante ans contre l’excision. « Comment des médecins qui ont juré de protéger les êtres humains peuvent se dire aujourd’hui prêts à endommager le corps des femmes en bonne santé ? », s’insurge-t-elle.

L’infatigable Somalilandaise de 79 ans a fait construire à Hargeisa une clinique où elle forme de jeunes sages-femmes. Près de 97 % des femmes qui y ont accouché ont subi des mutilations génitales, selon elle, mais les infibulations, qui touchent encore les trois quarts des patientes, sont en déclin. Elles sont surtout pratiquées dans les zones rurales, dans des conditions d’hygiène souvent problématiques.

Pour faire évoluer les mentalités, la ministre somalienne Sahra Ali Samatar compte multiplier les rencontres sur le sujet réunissant hommes et femmes dans les villes et villages. Même si elle était adoptée, sa loi ne suffirait pas à faire refluer significativement l’excision dans un pays surtout préoccupé par les questions sécuritaires, reconnaît-elle. C’est un pari sur dix ans : « Il faudra qu’un jour tous les employés, les cheikhs, les commerçants aient été sensibilisés, que les dommages de l’excision soient évoqués dans les écoles, que le code pénal sanctionne durement ceux qui s’y livrent. »

Dix-huit Etats africains, dont le Nigeria en juin 2015, ont interdit définitivement les mutilations génitales féminines. Proscrite par le droit international, l’excision toucherait près de 200 millions de femmes dans la trentaine de pays d’Afrique et du Moyen-Orient où elle est couramment pratiquée.

Pourcentage de femmes entre 15 et 49 ans ayant subi des mutilations génitales entre 2004 et 2015
Source : UNICEF
L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.