“Quand on a 17 ans” : André Téchiné porté par l’élan de la jeunesse

Pour le réalisateur André Téchiné, “il y a dans la jeunesse quelque chose de magique, qui peut donner au cinéma une valeur enchantée”. Il nous parle de son nouveau film.

Par Frédéric Strauss

Publié le 29 mars 2016 à 07h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h33

Avec Quand on a 17 ans, le réalisateur des Roseaux sauvages revient à un cinéma lumineux, porté par l'élan de la jeunesse. André Téchiné nous parle de la figure du jeune homme, qui traverse ses films, du jeune garçon qu'il fut lui-même et de son désir de montrer des personnages qui existent aussi au-dessous de la ceinture.

En voyant Quand on a 17 ans, on réalise que votre grand sujet, finalement, c'est la jeunesse…

Dit comme ça, ça paraît très totalisant ! Si on veut être aussi simple et bref, je dirais que mon sujet, c'est les âges de la vie. Comment ça circule entre les différents âges. La question du vieillissement n'est pas étrangère à mes films. La jeunesse, c'est ce que j'essaie de prolonger avec le cinéma, comme beaucoup de réalisateurs. J'essaie aussi, dans le travail, de construire des ponts avec les autres générations, avec les jeunes comédiens de mon film comme avec ma coscénariste, Céline Sciamma.

L'adolescence reste un terrain privilégié pour moi car c'est celui qui correspond le plus étroitement à ma sensibilité. Dans l'adolescence, l'expérience rêvée et l'expérience vécue se rejoignent. Et ça, ça m'est familier, curieusement, car j'ai quand même passé cet âge depuis longtemps. Dans le monde adulte, on fait la part des choses entre le principe de réalité et le principe de plaisir. Dans l'adolescence, c'est beaucoup plus indissociable. Et pour moi, il y a dans la jeunesse quelque chose de magique, qui peut donner au cinéma une valeur enchantée.

La figure du jeune homme traverse vos films, même dans Les Sœurs Brontë (1979), vous aviez donné une place importante au jeune frère, Branwell…

Branwell, c'est vraiment un éternel adolescent et, à force de ne pas sortir de l'adolescence, il tombe dans son versant romantique, mélancolique et mortifère. Dans Quand on a 17 ans, c'est, au contraire, un mouvement d'émancipation qui transporte les deux adolescents. En tout cas, ces personnages qui ne sont pas tout à fait sortis de l'enfance et qui ne sont pas encore vraiment dans l'âge adulte, c'est vrai que j'ai envie de les suivre dans leur mutation, jusqu'au moment où ils s'envolent ou jusqu'au moment où c'est le naufrage, comme c'est le cas pour Branwell.

Kacey Mottet Klein

Kacey Mottet Klein © Fidélité Films - Wild Bunch

Ce jeune homme qui a toutes sortes de visages à travers vos films, c'est vous ? Vous vous y projetez ?

J'ai besoin de me projeter dans tous mes personnages, quel que soit leur âge, quel que soit leur sexe. J'ai besoin de m'identifier même à ceux qui sont loin de moi. Dans Quand on a 17 ans, le personnage du père militaire, cet homme qui veut rester joyeux malgré les épreuves et malgré ses absences, j'ai eu besoin de l'éprouver de l'intérieur, et c'est notamment pour cela que j'ai confié ce rôle à Alexis Loret [qui avait déjà joué sous la direction d'André Téchiné dans Alice et Martin et Impardonnables, ndlr].

Si je ne pouvais pas m'approprier les personnages, je crois que je ne saurais absolument pas diriger mes acteurs, leur indiquer des gestes, des déplacements, me mettre à leur place. Il m'est arrivé que des producteurs me proposent des scénarios et, à chaque fois, je vois que je peux me débrouiller avec l'histoire, les péripéties, même quand j'ai affaire à un récit d'un invraisemblance assumée comme celui de Philippe Djian dans Impardonnables. Mais quand je ne parviens pas à croire à un personnage, je me sens infirme et je perds tous mes moyens de metteur en scène.

Votre jeunesse reste-t-elle pour vous une période solaire que vous revisitez à travers vos films ?

Solaire dans les mouvements d'évasion, qui m'étaient absolument nécessaires et que je trouvais principalement au cinéma. Je ne pratiquais pas de sport, je n'appartenais pas à des groupes, les amitiés étaient pour moi des relations duelles assez narcissiques et introverties, intellectuelles, on parlait de livres et de films. C'est ce qui me permettait de me dégager d'une réalité que je trouvais pesante et limitée, comme toujours quand on est adolescent. Le cinéma L'Apollo à Valence d'Agen, c'était mon moyen d'évasion. Mais qu'est-ce que je voyais sur l'écran ? Raimu, Fernandel, Jean Gabin, des hommes à qui je n'avais pas du tout envie de ressembler ! Alors je me disais vivement la séance en couleur du dimanche, je verrai un film américain avec Fred Astaire et je pourrai m'envoler !

Qu'est-ce qui vous déplaisait chez les acteurs français de l'époque ?

C'est de l'ordre de la sensibilité, de l'arbitraire, pas du tout de la cohérence ! Il y a toute une part mythologique du cinéma français qui va de Gabin à Montand en passant par Lino Ventura, avec laquelle je ne me sens tout simplement aucune espèce d'affinité. Ce sont d'immenses acteurs mais je n'aurais jamais su les filmer. L'âge et le sexe ne sont jamais, comme je le disais, ce qui m'empêchera de me projeter dans les personnages et dans les comédiens. Mais il y a quand même une typologie qui est rédhibitoire pour moi. Ça fait partie de mes limites ! Il faudra que vous ajoutiez « Rires » entre parenthèses, sinon tout ça va sembler trop sérieux ! (Rires).

Dans Quand on a 17 ans comme dans Les Roseaux sauvages, vous filmez l'éveil à la sensualité de façon très belle. Est-ce que cela repose sur des souvenirs ?

Oui, cela repose sur des souvenirs mais des souvenirs qui sont vraiment déformés pour que ça devienne de la fiction. C'est entièrement reconstruit. Dans Les Roseaux sauvages, le personnage est très cinéphile et croit être très amoureux d'une jeune adolescente et puis il se rendra compte qu'il s'est trompé d'histoire d'amour et de partenaire. Dans Quand on a 17 ans, l'évasion se joue beaucoup moins sur un mode cinéphile, livresque et intellectuel. Je voulais que tout soit physique.

Et puis au milieu des deux garçons, il y a aussi un portrait de femme. Ce n'est plus une adolescente comme dans Les Roseaux sauvages, j'avais envie d'un autre âge de la vie, justement. Et c'est le personnage de Sandrine Kiberlain, la mère, qui est au milieu de ces deux garçons. Le film raconte l'histoire d'un triangle et d'une initiation qui n'est pas seulement sexuelle mais affective et même morale.

Quand on a 17 ans d'André Téchiné

Quand on a 17 ans d'André Téchiné © Fidélité Films - Wild Bunch

Les deux jeunes garçons de Quand on a 17 ans avancent vers une sorte d'état de grâce amoureux. Vous n'avez pas voulu les confronter à l'intolérance, à l'homophobie ?

Ça a été une discussion avec Céline Sciamma. Le problème, c'est qu'il y a toujours des risques de cliché et de caricature avec l'homophobie. L'homophobe de service, ça ne marche pas au cinéma. Même dans des films que j'aime beaucoup, je le constate. Par exemple, dans La Vie d'Adèle, que j'adore, la scène où elle subit les remarques homophobes des autres lycéens, ça me paraît tout à coup trop chargé.

Dans Quand on a 17 ans, on avait au départ beaucoup souligné l'homophobie du personnage de Paulo, avec qui Damien s'entraîne et veut s'endurcir. On a juste gardé le fait qu'il dit à Damien qu'il crie comme une fille. C'est très léger. Mais sinon ça semblait trop intentionnel. Ou alors, il faut créer un vrai personnage qui est constitué fondamentalement par son homophobie et je ne vois qu'un exemple réussi, c'est dans Angels in America de Mike Nichols, où Al Pacino jouait un homme qui est en train de mourir du sida et qui est dans un rapport d'homophobie à sa propre homosexualité, dans un déni effrayant. Ça, c'est un vrai personnage shakespearien. Mais un personnage homophobe qui n'est là que pour en insulter un autre… Il y a une forme de méchanceté, de cruauté, que je n'ai pas envie de montrer.

Ce qui m'intéressait, c'était de regarder le versant opposé des choses : montrer qu'une solidarité est possible, montrer que même dans les campagnes profondes, l'hospitalité est présente. Il y a peut-être une part d'utopie dans le film mais je voulais rendre l'utopie possible, faire vivre un monde où la rencontre et le soutien existent. C'est une nécessité par les temps qui courent.

Vous faites donc ce film pour la jeunesse que vous représentez, comme un accompagnement, un soutien ?

Pour la jeunesse et pour les adultes qui verront le film. Le personnage que joue Sandrine Kiberlain est une femme heureuse qui aime son métier, son mari, son fils, et qui prend soin de l'autre garçon, Tom, en l'aidant dans son travail scolaire. Si une mère qui est dans le désarroi à cause de l'orientation de son fils vers l'homosexualité voit le film, elle peut se dire qu'elle va faire comme Sandrine Kiberlain, qui ne fait pas la leçon à son fils, qui accueille ce qu'il lui confie. Ce personnage de mère peut être un modèle.

Ça nous ramène au cinéma de Valence d'Agen et à ces films français où il n'y avait justement pas pour moi, quand j'étais adolescent, de modèles. Je n'avais absolument pas envie de ressembler à ces personnages masculins qui étaient d'une grande noirceur. Devant Quand on a 17 ans, je pense qu'on peut avoir envie de ressembler à ces personnages. Et cela enlève de la solitude. Il ne s'agit pas de bouleverser le monde, le cinéma, on le sait, n'est pas capable de cela. Mais si on se sent moins seul après avoir vu le film, c'est déjà pas si mal.

Les questions de l'identité sexuelle et du genre vous intéressent-elles ? Vous vouliez faire un film sur un déserteur de 14-18 qui se travestissait en femme…

C'est mon prochain film, qui s'intitule Nos années folles et que je vais tourner avec Adèle Exarchopoulos et Pierre Deladonchamps. Il s'agit d'une histoire vraie qui a inspiré une bande dessinée [Mauvais genre, de Chloé Cruchaudet, ndlr] mais mon film se base sur les documents d'archives. Je ne sais pas si c'est la question du genre qui m'intéresse. En tout cas, la représentation du sexe au cinéma, ça m'intéresse, oui. Ça a toujours traversé mes films et la question du genre en fait forcément partie.

Comment on représente les formes de sexualité à l'écran pour transmettre la sensualité sans tomber dans la pornographie, comment parvenir à faire exister un personnage pas seulement au-dessus de la ceinture, d'une façon un peu hypocrite, mais avec l'ensemble de ses désirs, de ses pulsions. Ça m'intéresse comme ça pouvait intéresser les peintres qui, dans leur tableaux de nus, mélangeaient le profane et le sacré. C'est très riche à explorer et c'est dans ce domaine-là qu'on s'aventure avec cette histoire vraie qui se passe pendant la guerre 14-18.

Ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'il s'agit d'un soldat qui prend l'apparence d'une femme sans qu'il y ait, au départ, un désir du travestissement, comme dans le film de Ozon, Une nouvelle amie, ou dans celui de Dolan, Laurence anyways. C'est sa compagne qui, parce qu'il est déserteur, décide de déguiser cet homme en femme. C'est une sorte de Frankenstein, d'homme-femme, mais qui va prendre chair. C'est assez troublant, on est dans une réalité qui devient baroque, un peu fantastique. C'est une histoire extraordinaire et un sujet vraiment passionnant.

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