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Comment un rapport du CNRS sur l’impact du diesel sur la santé a été enterré

Dès 1997, une expertise donnait l’alerte sur le lien entre les fumées émanant des moteurs diesel et le risque de cancer des voies respiratoires.

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Publié le 29 mars 2016 à 19h57, modifié le 01 avril 2016 à 18h49

Temps de Lecture 5 min.

C’est une histoire exemplaire, révélatrice de l’inertie des pouvoirs publics sur les questions sanitaires, du poids des lobbys et de l’isolement des scientifiques. Selon nos informations, dès l’automne 1997, une quarantaine de chercheurs français livraient une expertise du CNRS intitulée « Diesel et santé ». Pour la première fois, des scientifiques français donnaient clairement l’alerte sur la dangerosité de ce carburant, mettant en évidence le lien entre les fumées de ces moteurs et le risque de cancer. Seize ans avant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe les gaz d’échappement des moteurs diesel dans la catégorie des cancérogènes pour l’homme.

Ce rapport de 245 pages, le document scientifique le plus ambitieux conduit à cette époque sur le sujet, a été purement et simplement enterré. Jamais publié, il est aujourd’hui à peu près introuvable ; il n’en reste que de très rares copies. La direction actuelle du CNRS ignorait jusqu’à son existence même ; sollicité par Le Monde, l’organisme de recherche a mis près de cinq mois à le retrouver, dans son dépôt d’archives de Gif-sur-Yvette (Essonne)… Le Monde a ainsi pu consulter une copie du document.

Avec la prudence habituelle des scientifiques, les auteurs ne tiraient pas de conclusions définitives. « Mais il y avait clairement une alerte », dit l’un des auteurs du rapport, sous le couvert de l’anonymat. « L’action mutagène et génotoxique [qui provoque des dommages à l’ADN] des émissions diesel a été démontrée in vitro, écrivaient les auteurs. A long terme, chez le rat, [elles] induisent la formation de tumeurs pulmonaires (…). Il semble que les particules soient plus particulièrement responsables de cette carcinogenèse. » En 1997, il était encore « illusoire », exposaient-ils, de quantifier l’effet du diesel sur les taux de cancer du poumon chez les humains. Néanmoins, « de nombreuses études épidémiologiques suggèrent qu’une exposition à long terme pourrait participer (…), certes faiblement, à la cancérogenèse ».

Les auteurs avaient rassemblé 25 études épidémiologiques sur le sujet, dont 22 montraient un risque accru de cancer du poumon chez les humains exposés aux fumées du diesel. La moitié d’entre elles mettaient en évidence un risque statistiquement significatif.

« En 1993, à mon arrivée au CNRS, je trouvais l’organisme assez timide sur les questions scientifiques en lien avec la société, par rapport à ce qui existait à l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale], par exemple, raconte Pierre Tambourin, figure de la biologie française, à l’époque directeur du département des sciences de la vie du CNRS et aujourd’hui à la tête du Génopole d’Evry. J’ai consulté le directeur général de l’époque, Guy Aubert, sur l’opportunité de s’autosaisir de la question de l’impact sanitaire du diesel, et il m’avait donné son accord. »

Une quarantaine de scientifiques des universités ou des organismes de recherche publics ont ainsi été réunis par le CNRS, avec pour mission de produire une expertise collective sur le sujet. Ce genre d’expertise a généralement une fonction de conseil pour la conduite des politiques publiques. Elle explore l’ensemble des aspects d’un sujet donné et son poids scientifique est très supérieur à celui d’une étude isolée. Plusieurs comités (sur la combustion des hydrocarbures, sur la toxicologie, l’aérologie, l’épidémiologie, etc.) ont ainsi été constitués en vue de réaliser l’expertise. Après plusieurs années de travail, le document a été finalisé en septembre 1997.

« J’ai présenté les principales conclusions en comité de direction du CNRS et je me souviens de réactions assez négatives, poursuit M. Tambourin. Le rapport impliquait que les véhicules diesel soient tous équipés de filtres. Or, à l’époque, cette solution était économiquement viable pour les gros véhicules, mais pas pour les véhicules particuliers. Certains ont vu ce rapport comme une menace pour notre industrie automobile. »

En 1997, c’est la nouvelle directrice générale du CNRS qui hérite de la patate chaude. « J’ai transmis le rapport à ma tutelle, c’est-à-dire au ministère de la recherche, raconte la physicienne Catherine Bréchignac, aujourd’hui secrétaire perpétuelle de l’Académie des sciences. Je l’ai transmis une fois, deux fois et je n’ai eu aucun retour. De guerre lasse, j’ai fait ce que je devais et pouvais faire : nous avons publié un communiqué de presse, sans publier le rapport, qui était toutefois consultable au CNRS. » Il en a rapidement disparu pour devenir introuvable.

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Le ministre de tutelle est alors Claude Allègre. Celui-là même qui s’oppose à cette époque à la publication d’une autre expertise collective sur l’amiante. Le 16 octobre 1997, la revue Nature déclenche un scandale en révélant que M. Allègre bloque la publication du rapport de l’Inserm sur cette fibre hautement cancérogène – révélations qui ont conduit à ce que le document en question soit finalement publié. Le rapport sur le diesel restera, lui, dans les limbes.

Pourquoi les auteurs ne se sont-ils pas offusqués de cet enterrement ? « Au départ, on ne nous avait pas dit si le rapport allait être publié ou non, se souvient l’un de ces auteurs, peu accoutumés à travailler sur ce type d’expertise, la première du genre organisée par le CNRS. Je me suis demandé pendant un temps ce qu’ils allaient en faire et puis j’ai renoncé. Mais je ne me faisais pas trop d’illusions : à l’époque, les constructeurs français vendaient leurs diesels au monde entier. »

La non-publication de l’expertise est donc passée inaperçue. Tout comme le communiqué de presse censé lui rendre justice. Diffusé le 27 août 1998, le texte n’évoque aucun des risques sanitaires soulevés par le rapport lui-même.

Au contraire, il ne traite que des incertitudes. « Les données existantes (…) ne permettent pas d’isoler ce qui a trait spécifiquement au diesel, souligne le communiqué. (…) Enfin, les données sur la qualité de l’air sont agrégées et ne permettent pas de distinguer les sources de rejet de polluants. » Loin de relayer l’alerte portée par le rapport, le communiqué a plutôt cherché à diluer la responsabilité du diesel dans la pollution atmosphérique.

Plus étonnant, le communiqué associe les industriels à l’affaire. « Le CNRS, les constructeurs automobiles PSA et Renault, les représentants des pétroliers Total et Elf ont décidé de poursuivre leur investigation, en partenariat avec l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité et l’Inserm, poursuivait ainsi le texte. Un groupe de travail est constitué (…), chargé de poursuivre les études (…). La première réunion de travail de ce groupe doit se tenir au mois d’octobre [1998]. »

Rendu public en plein mois d’août, le communiqué a échappé à plusieurs des auteurs du rapport contactés par Le Monde, qui s’étonnent aujourd’hui de la mention des constructeurs automobiles et des pétroliers. « On a travaillé uniquement entre académiques, à aucun moment nous n’avons été en contact avec des industriels, en tout cas dans mon groupe de travail », confie un chercheur qui a contribué au chapitre sur la toxicologie. « Les industriels ont été mentionnés car nous leur avons adressé le rapport final, puisqu’ils étaient les premiers concernés, répond Mme Bréchignac. En ce sens, je pense d’ailleurs que cette expertise n’est pas restée complètement lettre morte puisqu’il y a eu, depuis, beaucoup de progrès accomplis sur les pots catalytiques. »

Quant au groupe de travail commun entre organismes publics et industriels, mentionné par le communiqué et censé avoir poursuivi les études sur le sujet, il semble n’avoir jamais existé. Interrogés, ni le CNRS ni l’Inserm n’en ont retrouvé la moindre trace.

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