Le mariage entre Orange et Bouygues Telecom aura-t-il lieu? Plus les jours passent, plus les négociations se durcissent. Principal obstacle: l’État, qui détient 23% du capital d’Orange. En effet, Martin Bouygues, qui a fixé à 10 milliards d’euros le prix de Bouygues Telecom, a posé comme condition à la cession de sa filiale de téléphonie mobile son entrée au capital de l’opérateur historique. L’opération, grâce à laquelle Martin Bouygues souhaite acquérir 15% du capital d’Orange, doit donc être réglée en titres et en cash.
L’État souhaite rester un actionnaire de référence avec au moins 20 % ou 21 % du capital. Son bras armé, l’Agence des participations de l’État, appuyé par Emmanuel Macron, est prêt à accorder 12 % du capital à Bouygues. En revanche, les discussions butent sur les conditions d’entrée au capital du géant du BTP. Les fonctionnaires de Bercy souhaitent valoriser Orange le plus cher possible, et Bouygues Telecom le plus bas possible, ce qui diminuerait de facto la part en cash reversée à Bouygues.
Surtout, Emmanuel Macron aimerait imposer une clause de « standtill » (clause de blocage) de 7 ans, empêchant Martin Bouygues de monter au capital de l’opérateur historique. Pis, le ministre de l’économie veut que le patron du groupe éponyme renonce pendant 10 ans à ses droits de vote double. Des conditions inacceptables aux yeux de l’homme d’affaires. « On se demande si Macron est si libéral que ça », s’interroge une partie.
Le ministre de l’économie, qui conserve un souvenir mitigé du rôle de l’homme d’affaires lorsqu’il était administrateur d’Alstom, est soucieux de montrer qu’il défend les intérêts de l’État actionnaire, et qu’il ne « fait pas de cadeau à Martin Bouygues ». Une position, jugée politique par certains. Propre à Emmanuel Macron, cette vision n’est, semble-t-il, pas partagée par Manuel Valls et François Hollande, qui se seraient montrés plus favorables à l’opération.
Un deal d’une rare complexité
Stéphane Richard, qui a vu le président de la République récemment, continuerait à faire jouer ses relations à l’Élysée pour faire pencher la balance de son côté, à savoir faire des concessions à Martin Bouygues pour que l’opération réussisse. Le spécialiste du BTP, dont on dit qu’il a de bonnes relations avec François Hollande, fait également son lobbying de son côté. A un an de la présidentielle, les opérateurs agitent la perspective d’un nouveau plan social dans les télécoms, si la consolidation n’aboutissait pas. De fait, même si Bouygues Telecom va mieux, sa situation reste encore fragile.
Martin Bouygues avait assuré que les négociations en vue du rachat de sa filiale de téléphonie mobile, Bouygues Telecom, par Orange, trouveraient leur épilogue « à la fin du premier trimestre ». Las, au lendemain de deux conseils d’administration, les deux opérateurs ont publié, jeudi 31 mars, un communiqué précisant que les « discussions n’étaient pas suffisamment avancées ». Les deux opérateurs convoqueront un nouveau conseil d’ici dimanche 3 avril, se fixant ainsi une nouvelle date butoir. Jeudi matin, Stéphane Richard devait de nouveau rencontrer Martin Bouygues.
Autre sujet difficile : les risques que les parties devraient assumer si l’opération venait à échouer à l’issue de son examen par l’Autorité de la concurrence. Il faut dire que le « deal » est d’une rare complexité. Pour racheter Bouygues Telecom, Orange doit au préalable rétrocéder une partie des actifs de l’opérateur à SFR et à Free, (fondé par Xavier Niel, actionnaire à titre individuel du Monde), afin de ne pas grossir démesurément. SFR est censé racheter des clients, en particulier BYou, les abonnés low cost de l’opérateur et la clientèle entreprise. Le tout pour 3,5 milliards d’euros environ, si la valorisation finale de Bouygues Telecom ne varie pas.
De son côté, Free, qui serait prêt à dépenser 2,5 milliards d’euros, s’intéresse surtout aux fréquences de téléphonie et au réseau mobile de l’opérateur. Ces actifs lui permettraient de renforcer ses propres infrastructures, qu’il a commencé à bâtir il y a quatre ans seulement.
L’Autorité de la concurrence pourrait remettre en cause cette ligne de partage et imposer de nouveaux « remèdes » c’est-à-dire des contreparties, en poussant l’émergence d’un nouvel opérateur, via l’arrivée d’un MVNO (un opérateur sans réseau propre). Une nouvelle configuration de marché de nature à remettre en cause l’intérêt de l’opération, voire à inciter certains acteurs, comme Orange, à faire marche arrière. « Qui portera le risque sur ses épaules, si dans quatorze mois, l’opération ne se fait pas ? », s’interroge un proche des discussions.
« Tout peut encore bouger»
Même entre les opérateurs, les problèmes sont loin d’être résolus. Selon nos informations, les « exigences » de Xavier Niel commencent à hérisser Orange. L’entrepreneur souhaiterait obtenir des « avantages sur la mise en œuvre du réseau », dit une source sans préciser. La question de « l’itinérance », qui permet à Free d’utiliser le réseau d’Orange en attendant que le sien soit entièrement construit, ne fait toujours pas consensus. Xavier Niel souhaiterait en effet prolonger son contrat au-delà de 2018, l’échéance de son accord actuel, en attendant d’avoir accès au réseau de Bouygues Telecom.
Autre souci : la question des boutiques de Bouygues Telecom n’est pas non plus réglée. Le trublion des télécoms avait accepté de reprendre les 300 magasins de téléphonie détenus en nom propre par son concurrent. « Tout peut encore bouger », dit un négociateur. L’opérateur a-t-il fait volte-face définitivement ? « Il n’y aucun candidat à la reprise des boutiques, pas même Free », assure la même source. De fait, pour Free, habitué à commercialiser ses offres principalement en ligne, la reprise des magasins constituerait une concession de taille. Au départ, l’opérateur avait l’intention de se limiter à « quelques magasins » supplémentaires pour compléter les 49 pieds de porte qu’il possédait fin décembre. « Il n’y a pas de point bloquant, juste des discussions pas abouties », modère une source.
La perspective de voir les coûts fixes de Free s’alourdir n’enchante guère les analystes parisiens. « Pour Free, l’intérêt de l’opération réside dans la valeur temps. La reprise du réseau et des fréquences pourrait leur faire gagner deux ans. Mais ce qu’il gagne d’un côté, il le perdrait en partie de l’autre avec des boutiques », dit Jacques de Greling, analyste chez Natixis.
La question des 7 500 salariés de Bouygues Telecom est enfin centrale, les pouvoirs publics ayant exigé que la consolidation se fasse « sans casse sociale ». Jusque-là, Orange était censé reprendre 4 500 personnes, SFR 1 000 et Free 2 000.
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