TERRORISME - Alors que les polices belge et française poursuivent leurs opérations pour tenter de démanteler le vaste réseau terroriste des attentats de Paris et Bruxelles, les regards se tournent désormais vers les Pays-Bas, où plusieurs arrestations en lien avec un projet d'attentat sur le sol français ont eu lieu ces derniers jours.
Dimanche 27 mars, un Français, Anis Bahri, a été arrêté à Rotterdam, soupçonné d'avoir été mandaté par le groupe État islamique (EI) pour attaquer la France. Mercredi 30 mars, le procureur de Paris François Molins dévoilait de nouvelles informations sur ce projet d'attentat avorté, laissant entrevoir le dessin d'une filière jihadiste qui s'étendrait, non plus jusqu'à la Belgique, mais bien jusqu'aux Pays-Bas.
C'est l'arrestation de Reda Kriket à Boulogne-Billancourt le 24 mars qui a mis les enquêteurs sur la piste d'un complice aux Pays-Bas. L'homme de 32 ans, mis en examen pour "association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste criminelle", avait sur lui une carte SIM. Elle a fait apparaître deux lignes téléphoniques néerlandaises, dont l'une a mis la police sur les traces d'Anis Bahri.
Interpellé dimanche à Rotterdam après l'émission d'un mandat d'arrêt européen à son encontre, Anis Bahri, également âgé de 32 ans, devra être remis aux autorités françaises dans un délai de trois mois, même s'il a déjà fait part de son refus d'être extradé. Un mandat de recherche avait déjà été émis par la France à l'encontre de ce natif de la région parisienne le 24 décembre 2015 pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste".
Interrogatoires et perquisitions en cours
Reda Kriket et Anis Bahri, tous deux déjà condamnés pour des faits de droit commun, sont suspectés de s'être rendus en Syrie entre fin 2014 et début 2015. À leur retour, ils auraient fait des "aller-retours" réguliers entre la France, la Belgique et les Pays-Bas, selon François Molins. Avaient-ils des attaches ou des complices aux Pays-Bas? Aucune information n'a pour l'instant été confirmée en ce sens. Mais les policiers ont arrêté trois autres personnes à Rotterdam, dont deux hommes de 43 et 47 ans d’origine algérienne, soupçonnés d'être en lien avec les deux terroristes présumés.
Des perquisitions menées dans deux habitations du quartier de Rotterdam-Ouest, où a été interpellé Anis Bahri, ont permis de saisir des munitions, des téléphones, des cartes SIM, des disques durs, de l’argent et de la drogue, selon Le Monde, rapportant des informations du parquet néerlandais. Aucun explosif n’a été retrouvé sur place.
"La coopération internationale est en cours avec les autorités néerlandaises", "en contact étroit et constant", "dans une même volonté de lutte contre le terrorisme", a tenu à rassurer François Molins mercredi. Une enquête autonome a été ouverte dans le pays après l'interpellation d'Anis Bahri. Deux des personnes arrêtées avec lui sont actuellement entendues et des perquisitions sont toujours réalisées, selon le procureur de Paris.
Les Pays-Bas, le refuge d'Ibrahim El Bakraoui
Pourtant, les Pays-Bas sont déjà montrés du doigt pour avoir ignoré des informations concernant les kamikazes des attentats en Belgique. Une semaine avant les attaques de Bruxelles, le FBI américain aurait informé les Pays-Bas de la dangerosité des frères El Bakraoui, deux des kamikazes de l'aéroport et du métro bruxellois, raconte Reuters. L'un d'eux, Ibrahim, avait séjourné aux Pays-Bas puisqu'il y avait été envoyé, à sa demande, après avoir été arrêté à la frontière syrienne puis expulsé de Turquie, soupçonné de vouloir se rendre en Syrie pour combattre dans les rangs de Daech.
"Le 16 mars, le FBI a informé la police néerlandaise sur le fait que les deux frères étaient recherchés par les autorités belges", a expliqué mardi le ministre de la Justice néerlandais, Ard van der Steur, dans une lettre. Ibrahim, l'un des terroristes de l'aéroport, était surveillé pour "son passé criminel", tandis que Khalid, qui s'est fait exploser dans le métro de Bruxelles, était recherché pour "terrorisme, extrémisme et recrutement". Tous deux figuraient sur une des listes anti-terroristes des États-Unis. Les Pays-Bas en auraient eux-mêmes informé la Belgique, ce que cette dernière nie.
La Belgique faisant l'objet d'une surveillance accrue, depuis les attentats de Paris et ceux de Bruxelles, son voisin du Nord deviendra-t-il la nouvelle base arrière du jihadisme en Europe? Le pays est en tout cas depuis longtemps sensibilisé à la question du terrorisme. Fin janvier 2015, l'Institut international d'étude de la radicalisation (ICSR), basé à Londres, recensait entre 200 et 250 personnes parties des Pays-Bas pour rejoindre les groupes islamistes en Syrie et en Irak, sur un total de 20.000 étrangers présents sur place. Les Pays-Bas, qui comptent 16,9 millions d'habitants, dénombrent donc en moyenne près de 15 départs pour le jihad pour chaque million d'habitants.
En comparaison, la France compterait 1200 jihadistes en Syrie et en Irak, soit 18 départs pour 1 million d'habitants. La Belgique, le Danemark et la Suède arrivent en première position, avec les taux les plus élevés relativement à leur population.
Un arsenal législatif renforcé en 2014
Membres de la coalition internationale contre le groupe État islamique, les Pays-Bas ont dirigé leurs premières frappes contre Daech en Syrie en février. En août 2014, le pays s'est doté d'un "plan de lutte contre le jihadisme", comme le rappellent Les Échos.
Parmi les nombreuses mesures prévues par ce plan de lutte, on trouve la déchéance de nationalité pour les binationaux membres de groupes terroristes (même s'ils n'ont jamais été reconnus coupables d'un crime) et la possibilité de poursuivre un recruteur ou une personne soupçonnée de vouloir rejoindre un groupe jihadiste. "Au niveau local, une coopération entre les mairies et les mosquées vise à détecter tout comportement déviant au sein de la communauté musulmane", écrit le journal.
Sur le plan politique, le pays s'intègre aujourd'hui plus que jamais aux discussions entre la France et la Belgique, dans leur lutte commune contre le terrorisme. Le Parlement néerlandais devait discuter mardi de nouvelles mesures de sécurité après les attaques de Bruxelles, qui ont coûté la vie à au moins 32 personnes dont trois Néerlandais.
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