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Interview

Shunichi Miyanaga : « Le Japon paie le prix d'une crise de confiance »

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Par Véronique Le Billon, David Barroux

Publié le 1 avr. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Le Japon semble en crise depuis plus de vingt ans. Pourquoi le pays n'arrive-t-il pas à rebondir pour de bon ?
Les années 1990 et 2000 ont été rebaptisées « les deux décennies perdues », mais cela est partiellement trompeur. Avant la crise financière des « subprimes » et la chute de Lehman Brothers en 2008, le Japon était à nouveau sur une bonne dynamique. Nous étions en train de sortir de la récession ou d'une longue période de croissance faible. Plus récemment, la politique économique du gouvernement Abe, ce que certains ont appelé les Abenomics, a également commencé à produire des effets mais nous avons subi cette fois-ci le net ralentissement des économies des pays émergents. Dans les BRICS - Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud -, seule l'Inde fait mieux que prévu.

En gros, le Japon n'a pas de chance...
Le Japon a forcément aussi sa part de responsabilité. Mais ce que nous payons aujourd'hui, c'est le prix d'une crise de confiance. Le pays est depuis si longtemps dans une période de crise, de stagnation, de déflation que cela pèse sur le moral des ménages comme celui des entreprises. Le pays doute et quand un pays doute, il est prudent. Sur la consommation comme sur l'investissement, nous pourrions faire beaucoup mieux.

Les entreprises japonaises sont-elles aussi responsables ?
Les entreprises japonaises investissent mais juste le minimum nécessaire. C'est dommage car il y a de vraies opportunités de croissance à saisir, mais l'incertitude nourrit le doute. Sur la durée, la déflation est très négative pour un pays. A court terme, la baisse des prix peut sembler une bonne chose pour le consommateur, mais pour les entreprises ce sont des opportunités de croissance qui disparaissent. Cela finit forcément par peser sur les salaires comme sur les investissements. Aujourd'hui, nous devons sortir de cette spirale négative socialement destructrice et les entreprises peuvent jouer un rôle. Au début de la crise, le patronat a sans doute mis un peu trop de temps à réaliser l'ampleur du problème, mais aujourd'hui personne ne peut nier que nous devons agir de façon proactive. Les grandes entreprises doivent jouer leur rôle en mettant par exemple en oeuvre des politiques d'augmentation des salaires, afin de donner aux gens davantage confiance en l'avenir et d'accroître la consommation. On ne peut pas être que focalisé sur la baisse des coûts.

« Japan Inc. » a connu une baisse de régime, tandis que la Chine a crû rapidement. Comment percevez-vous les groupes chinois ?
Jusqu'en 2007-2008 et pendant vingt-cinq à trente ans, la Chine a connu une croissance exceptionnelle. Le pouvoir central a encouragé une perfusion de capitaux dans les infrastructures et les industries de base. Cela a conduit dans certains cas à des surcapacités, par exemple dans l'acier. Nous avons connu cela aussi au Japon pendant notre période de très forte croissance, c'est classique. Mais pour franchir un nouveau palier, la Chine a besoin d'une certaine rationalisation de ses capacités de production comme de ses organisations et de ses ressources humaines. Si cela fonctionne, la Chine disposera de grands groupes très compétitifs. Mais ce processus va forcément prendre du temps.

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Dans le rail par exemple, craignez-vous une concurrence pour le Shinkansen ?
Pas encore. On mesure la force d'un acteur à ses performances sur un grand nombre d'années. Dans le rail, les Chinois n'ont pas encore prouvé leur performance de façon durable. Ils ont profité des investissements domestiques décidés de façon centralisée. Ils gagnent des contrats à l'export en s'appuyant sur leur capacité de financement. Mais s'ils obtiennent beaucoup de contrats en même temps, pourront-ils livrer dans les temps et dans le respect du budget ? Ils vont devoir prouver leur fiabilité et faire leurs preuves en matière de services ou de sécurité.

Dans le secteur de l'énergie, même si les Chinois ont démontré leur capacité à construire des centrales au charbon supercritiques - et ce sont des concurrents très forts pour fabriquer certaines turbines - ils manquent de références pour les centrales ultrasupercritiques, par rapport à des acteurs comme nous - Mitsubishi Hitachi Power Systems - et GE-Alstom.Etes-vous optimiste pour l'industrie lourde ?
Si nous conservons notre modèle économique, l'avenir sera probablement morose. Il faut donc passer de l'industrie lourde à quelque chose de plus sophistiqué, de plus intelligent, qui intègre les avancées de l'intelligence artificielle et du « deep learning » par exemple. Ce sera peut-être difficile de faire l'industrie 4.0, mais cela vaut la peine d'essayer, et nous allons investir ce champ. Notre force c'est que nous ne partons pas de zéro. Nous avons des technologies, des marchés, des savoir-faire... Nous avons une base sur laquelle construire, mais nous devons évoluer.

Mais le Japon est davantage un pays du « hard » que du « soft »...
Personnellement, je crois que le fait que le Japon ne soit pas très fort dans les industries de « pure software » est dû à un certain nombre de facteurs culturels, historiques, etc. Si l'on change de point de vue et que l'on regarde le monde de l'électronique - domaine où le Japon fut jadis à la pointe - les cycles sont plus courts, les innovations majeures transformantes plus fréquentes. Le progrès n'est souvent pas continu mais fait de ruptures. Les positions sont donc moins durablement acquises et on ne peut pas se permettre de se développer par le software. Certaines entreprises se sont donc trouvées fragilisées - du matériel qui se vendait bien auparavant devenait soudain difficile à vendre - car les cartes sont plus souvent rebattues. Mais dans l'industrie traditionnelle, les cycles sont plus longs, les exigences en termes de fiabilité ou de sécurité, plus élevées... Si nous évoluons sans perdre nos atouts, nous pouvons continuer de progresser, en nous basant à la fois sur une évolution continue du hardware et un contrôle accru (software).

Dans l'industrie spatiale, SpaceX bouscule tout de même les acteurs en place, dont vous-mêmes...
Nous devons analyser, évaluer mais pas nous précipiter et tirer trop vite des conclusions. Bien sûr, nous sommes inquiets et nous devons être très modestes. L'idée de SpaceX pourrait en soi être meilleure, mais c'est une technologie qui n'a pas fait ses preuves et qui n'est pas encore compétitive.

MHI mise sur l'aviation civile avec l'avion régional MRJ. N'est-ce pas trop tard et trop cher, quand on voit les projets ou les difficultés d'Embraer et de Bombardier ?
C'est un métier très difficile mais c'est aussi cette complexité qui crée l'opportunité. Nous avons de l'expérience dans les pièces aéronautiques, nous avons des activités dans la défense; nous avons tout un savoir-faire qui peut être encore plus valorisé et, enfin, nous avons des moyens financiers. Nous avons démarré ce programme en 2007 et nous savons bien que le succès ne sera pas pour tout de suite. Ce que nous faisons dans l'aviation, c'est que nous inventons pour les décennies qui viennent un relais de croissance pour notre entreprise. Nous voyons à très long terme en nous positionnant sur un marché porteur.

Comment financez-vous ces projets au long cours ?
Ce n'est pas un problème. La plupart des fonds sont apportés par MHI, à cause des règles de l'Organisation mondiale du commerce. Heureusement, nous avons beaucoup d'activités très profitables, dans l'énergie ou les biens d'équipement. Notre sujet est surtout de renouveler nos produits pour le successeur de mon successeur. Le MRJ est un développement de très long terme. C'est la façon de faire japonaise : éternelle !

Après l'accident nucléaire de Fukushima il y a cinq ans, comment imaginez-vous possible de redémarrer cette industrie au Japon ?
Après l'accident de Fukushima, nous avons beaucoup travaillé pour rendre les réacteurs aussi sûrs que possible. Nous avons encouragé nos ingénieurs à renforcer la sûreté et nous n'arrêterons pas cette quête. Il y a toujours une place possible pour l'énergie nucléaire, parce que les énergies vertes ne peuvent pas être développées partout. En Europe, vous avez de bonnes conditions de vent, mais ce n'est pas le cas partout. Ici au Japon, nous avons des typhons par exemple. Quant à l'énergie solaire, nous en avons beaucoup réalisé au Japon, et le prix des installations décroît fortement, mais il y a aussi des limites.

Construirez-vous de nouveaux réacteurs au Japon ?
J'espère, mais nous devons d'abord nous concentrer sur le redémarrage des réacteurs existants et cela prendra déjà beaucoup de temps.

Vous étiez conviés à l'Elysée pour une grande conférence sur l'attractivité. Jugez-vous la France attractive ?
Il y a peut-être des problèmes en France, mais il y a aussi des équipements de très grande qualité, des ingénieurs de très haut niveau et l'industrie française est encore très forte. Nous voudrions travailler davantage en France. C'est d'ailleurs pour cela que nous venons de transformer la branche française de MHI, qui va désormais avoir en charge la couverture de toute l'Europe continentale, l'Afrique et le Moyen-Orient. Quand nous avons cherché un nouveau centre pour la gestion du marketing et des services dans ces régions, Paris s'est avéré être une très bonne base pour développer notre activité.


Son actualité

Après l'échec de MHI et Siemens face à GE pour reprendre l'activité Energie d'Alstom en 2014, MHI souhaite prendre des parts dans Areva NP, la division Réacteurs d'Areva, dont EDF doit prendre le contrôle majoritaire.

En Australie, le groupe japonais est en compétition contre le français DCNS pour remporter un grand contrat de fourniture de sous-marins.

Le groupe (80.000 salariés) vient de clôturer son exercice 2015-2016 au 31 mars. Il affiche un chiffre d'affaires annuel autour de 30 milliards de dollars.

Son parcours

Shunichi Miyanaga, soixante-huit ans ce mois-ci, a rejoint Mitsubishi Heavy Industries (MHI) il y a quarante-quatre ans, après avoir été formé à l'université de Tokyo. Il est aussi diplômé d'un MBA de Booth School of Business (université de Chicago).

Shunichi Miyanaga est PDG de MHI depuis trois ans, et au conseil d'administration du groupe depuis 2008.

Depuis un an, il est aussi vice-président du Keidanren, le Medef japonais.

David Barroux Véronique Le Billon

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