« La France appelle au respect des acteurs de la société civile qui jouent un rôle central dans la construction de la démocratie et de l’Etat de droit » en Egypte. C’est par ce communiqué, le 23 mars, que le ministère français des affaires étrangères saluait la libération de Mahmoud Hussein, détenu depuis le 25 janvier 2014.
Le jeune homme avait été arrêté au Caire à l’occasion du troisième anniversaire de la révolution qui avait mis fin au règne du président Hosni Moubarak. Selon Amnesty International, le jeune homme de 18 ans rentrait chez lui après une action de protestation pacifique contre le régime militaire au pouvoir et les Frères musulmans quand les forces de sécurité l’ont appréhendé avec son ami Islam Talaat. Son frère et son avocat ont précisé que le motif de l’arrestation était son tee-shirt, sur lequel on pouvait lire : « Une nation sans torture. »
« Conspiration de l’étranger » bis ?
Le même jour, un collectif d’ONG – dont Human Rights Watch et Amnesty International – ainsi que les Nations unies appelaient Le Caire à abandonner une enquête visant des défenseurs des droits de l’homme. « Les autorités s’apprêtent à prendre rapidement des mesures concrètes pour réduire au silence les dernières voix critiques de la communauté des défenseurs des droits humains en Egypte », ont déploré les treize organisations non gouvernementales, indiquant que « ces dernières semaines, le pouvoir égyptien a convoqué des membres d’organisations de défense des droits pour les interroger, leur ont interdit de voyager et ont tenté de geler leurs avoirs et ceux de leurs familles. »
Ces ONG redoutent que Le Caire, comme en 2011, ne relance des procédures contre les dernières représentations encore sur le terrain au même prétexte d’enregistrement illégal et de réception des fonds de l’étranger sans autorisation des autorités égyptiennes. « A l’époque, il s’agissait de lier la révolution à une conspiration de l’étranger, explique Mohamed Zaree, directeur de l’Institut d’études en sciences humaines du Caire (CIHRS). Aujourd’hui, tous ceux qui critiquent la situation actuelle, ou ceux qui se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment, sont accusés d’être soit des Frères musulmans, soit des agents de l’étranger. »
Le 18 mars, le chef de la diplomatie égyptienne avait vivement réagi aux propos de son homologue américain John Kerry, qui s’est déclaré « profondément préoccupé par la détérioration de la situation des droits de l’homme en Egypte ».
Des personnalités emblématiques, comme le célèbre journaliste Hossam Bahgat, fondateur de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), et l’avocat Gamal Eid, directeur du Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme (ANHRI), sont sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire. De nombreux autres militants sont détenus arbitrairement dans des centres de détention militaires. Ceux qui sont en liberté reçoivent des menaces de mort émanant de « personnes inconnues » ou font l’objet d’un harcèlement judiciaire. Dans les cas les moins graves, les comptes Facebook sont piratés.
« Ce sont eux les criminels »
Depuis 2013, les ONG ont recensé, selon les sources, entre 500 et 2 000 cas de disparitions forcées. « Le chiffre réel est certainement plus élevé, car ces estimations n’incluent pas le Sinaï, inaccessible, où la situation est pire, précise Mohamed Lotfy, directeur de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés (ECRF). Autrefois, seules les personnes liées aux groupes terroristes, les islamistes ou les militants étaient concernés. Désormais, plus personne n’est épargné. Les autorités sont passées d’une phase de réaction aux manifestations des Frères musulmans à une phase d’enfermement de toute personne susceptible d’agir. »
Ebrahem Metwaly, un avocat dont le fils a été enlevé, a pris la tête du rassemblement des familles de disparus : « Il reste très difficile de recueillir des informations. Mais maintenant qu’on agit, que les familles parlent, que le mouvement commence à se faire connaître, la mobilisation avance. »
Les passages à tabac et les tortures par électrocution ou écartèlement des membres sont fréquents. « Entre le moment de l’arrestation et celui du procès, il peut s’écouler des semaines, des mois de calvaire dans des lieux tenus secrets », explique Tamer Ali, un jeune avocat qui œuvre au Centre Hisham Moubarak pour le droit.
La Constitution adoptée en janvier 2014 qualifie pourtant la torture de « crime imprescriptible » et le Code pénal interdit d’y recourir dans le but d’obtenir des aveux. « Ce sont donc eux les criminels », conclut Tamer Ali.
En février, les autorités ont annoncé la fermeture administrative de l’historique Centre Nadeem pour la réhabilitation des victimes de violence, l’organisation la plus active dans ce domaine grâce à l’accompagnement thérapeutique des victimes et la médiatisation de ces affaires.
Le système judiciaire est fait, selon les familles et les avocats, d’obstructions permanentes. Les procureurs et les juges refusent de mener des investigations réelles sur les disparitions ou sur les allégations de torture, lorsqu’ils ne se défaussent pas tout simplement sur les juridictions militaires au nom de la sûreté nationale.
« Les juges font partie du système et sont donc complices du régime, soupire Ossama Nassef, avocat et membre de la Coordination égyptienne pour les droits de l’homme. En tant qu’avocats de la défense, nous n’avons pas accès aux éléments du dossier. Et c’est encore pire devant les tribunaux militaires qui condamnent des civils à mort. »
Tabou national
Dans un pays où les travers de l’institution militaire sont un tabou national, le mouvement Non aux procès militaires contre les civils tient à se faire entendre. Sara Al-Sherif, l’une de ses figures de proue, dénonce « un état d’exception qui est devenue la norme. Les tribunaux militaires sont réservés aux auteurs de crimes contre l’armée. En réalité, on retrouve la même logique qu’au début de la révolution, lorsque les manifestants étaient accusés d’être des malfaiteurs ou des terroristes. »
Les médias, qui se faisaient l’écho des revendications des militants des droits de l’homme à cette époque, se conforment aujourd’hui – à quelques exceptions près comme le site Mada Masr, devenu emblématique – à la doctrine officielle de l’Etat égyptien. Les journalistes critiques, voire contestataires, vivent sous menace permanente lorsqu’ils ne sont pas emprisonnés. On estime qu’ils seraient au moins 24 dans les geôles égyptiennes.
Dans le très institutionnel Syndicat des journalistes, les manifestations de solidarité restent timides, les frondeurs risquant en effet de perdre leurs droits. L’un des membres confie : « Les journalistes sont condamnés dans des affaires criminelles ou des délits de presse [notamment le délit de fausses nouvelles], mais nous savons qu’il s’agit de procès politiques. »
Journaliste et membre de l’Observatoire arabe pour la liberté d’information et d’expression, Ahmed Abou Zeid estime que « les autorités traitent les journalistes et les militants comme des ennemis de la nation pour justifier les procès et les condamnations ».
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